mercredi 16 décembre 2020

La télégraphiste de Chopin

La télégraphiste de Chopin – Éric Faye

Seuil (2019)

 À Prague, en 1995, Ludvík Slaný, journaliste à la télévision, est chargé par son rédacteur en chef, Filip Novák, de réaliser un documentaire sur une femme qui prétend que Frédéric Chopin lui rend régulièrement visite et lui dicte des œuvres inédites. Des experts se sont penchés sur ces morceaux, certains y voient la patte du maître, d’autres crient au plagiat et à la manipulation. En tout cas, l’affaire passionne les foules et une maison d’édition musicale annonce la sortie prochaine d’un disque où un interprète réputé jouera ces œuvres posthumes.  La direction de la chaine de télévision a décidé d’éclaircir l’affaire avant la sortie du disque et de prouver qu’il ne s’agit que d’une supercherie.

Voici donc Ludvík Slaný et son cameraman qui passent de longues après-midis chez Věra Foltýnova, une veuve dans la cinquantaine, une femme modeste, tentant de la confondre, de débusquer ses dons de faussaire, de dénoncer la machination. Mais rien dans ces séances ne leur permet de mettre la sincérité de Věra en cause, même s’ils sont eux-mêmes incapables de percevoir la présence de Chopin dans la pièce lorsque Věra retranscrit les partitions sous la dictée du compositeur. Ludvík en vient alors à se faire aider par un détective, Pavel Černý, ancien agent des services secrets. Commence alors une enquête digne de l’époque de la Guerre Froide, avec filatures, écoutes téléphoniques, interception du courrier, fouilles et autres méthodes d’un temps révolu.

Je n’ai encore jamais été déçue par mes lectures d’Éric Faye, et ce roman-ci n’a pas failli, lui non plus. Éric Faye nous décrit un phénomène surnaturel, la visite de Chopin chez une femme sans compétences musicales particulières pour lui dicter des œuvres qu’il aurait composées depuis sa mort et on finit par l’accepter, tellement l’évènement est raconté de façon naturelle et crédible. Enfin, on accepte de croire ce que raconte Věra, elle est si humble, si sincère dans son propos et dans son attitude. Et on compatit aux états d’âme de Ludvík, journaliste scientifique, qui lutte contre l’incroyable mais qui n’arrive pas à trouver de preuves lui permettant d’arriver aux conclusions attendues par sa rédaction.

Ce qui est bien perceptible aussi, c’est la difficulté pour tous dans cet ancien pays du bloc de l’Est de rompre avec les habitudes du passé. On sent la chape de plomb qui pèse encore sur les relations entre les individus en 1995, aussi bien dans l’environnement professionnel que dans la vie de tous les jours. On perçoit les craintes, la paranoïa, la tendance facile à utiliser des méthodes qui ne respectent pas les libertés dès qu’il y a un rouage qui se grippe plutôt que de mettre les problèmes sur la table et d’en parler clairement.

Ce n’est que vingt ans plus tard, alors que sa vie professionnelle aura évolué, qu’il aura connu d’autres horizons, que Ludvík pourra passer la main à une jeune journaliste qui s’intéresse à l’affaire. À elle, il pourra enfin exprimer sincèrement ce qu’il a ressenti, raconter son trouble de l’époque, le dilemme où il se trouvait, les contradictions à résoudre.

Pour ce roman, Éric Faye s’est inspiré de la vie de Rosemary Brown, médium britannique qui prétendait communiquer avec des compositeurs décédés.

Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas adepte de sciences occultes mais je me suis laissée entrainer sans difficulté dans cette histoire surnaturelle. C’est la magie de la lecture ! Et je trouve qu’Éric Faye est très doué pour nous emmener loin de nos habitudes, en douceur et sans sensationnalisme. 

N’hésitez pas, laissez-vous surprendre !
 

jeudi 3 décembre 2020

Encre sympathique

Encre Sympathique - Patrick Modiano

Gallimard (2019) 

C'est un dossier qu'il retrouve par hasard qui lui remet en mémoire une enquête que lui confia le patron de l'agence Hutte. À la demande d'un certain Brainos, il devait rechercher la trace de Noëlle Lefebvre, disparue  soudainement. Seuls indices, une adresse dans le 15ème arrondissement et une carte au nom de la jeune femme, avec sa photo, permettant de retirer son courrier au guichet de la poste restante rue de la Convention. Premières instructions, interroger la concierge de l'immeuble puis passer au bureau de poste, aller s'installer dans un café, s'enquérir auprès du barman s'il avait vu Noëlle Lefebvre récemment et attendre.

 

 

Comme souvent dans les romans de Patrick Modiano, c'est un événement mineur qui sert de point de départ à l'intrigue, un nom, une adresse, une photo. À partir de presque rien, le narrateur plonge dans sa mémoire, ramène à la surface des rencontres avec des personnages qui vont lui fournir par bribes leurs propres souvenirs, chacun amenant sa pierre à l'ouvrage qui se construit au fil du roman.

 

Ici, le narrateur s'appelle Jean Eyben, il a travaillé pour Hutte pendant quelques mois puis à quitté l'agence en emmenant le dossier bleu de l'affaire Noëlle Lefebvre. Trente ans plus tard, en retrouvant le dossier, il se remémore  les quelques moments de sa vie où il a tenté d'en savoir plus sur cette jeune femme disparue, occasions de nous promener à ses côtés dans des décors disparus de Paris, mais aussi dans des souvenirs d'adolescence près du lac d'Annecy. Finalement, un voyage à Rome apportera une perspective nouvelle à son histoire avec Noëlle Lefebvre.

 

La lecture des romans de Patrick Modiano provoque chez moi toujours le même plaisir, inexplicable mais bien réel. Moi qui recherche pourtant dans mes lectures l'occasion d'apprendre quelque chose, sur une époque, sur un secteur d'activité, sur un phénomène de société, sur une culture ou sur l'art, je dois reconnaître que ce n'est pas ce que je trouve chez Modiano. Avec lui, c'est l'émotion qui surgit, la nostalgie de lieux que je n'ai pourtant pas connus, c'est la magie des noms de personnages  qui enclenchent le déroulé des souvenirs du narrateur. Je suis embarquée à chaque fois.

 

J'ai noté cependant quelque chose de nouveau dans ce roman. L'écrivain m'est apparu furtivement sous le narrateur, à quelques reprises, et je ne me souviens pas de cela dans ses autres romans. 

 

Je m'explique : à la page 14, Modiano écrit :

J'ai sorti de ma poche la carte que m'avait confiée Hutte. Aujourd'hui, un siècle plus tard, je me suis arrêté d'écrire un instant à la page 14 du bloc Clairefontaine pour regarder encore cette carte qui fait partie du "dossier".

 

Plus loin, page 101 :

Cette recherche risque de donner l'impression que j'y ai consacré beaucoup de temps - déjà cent pages -, mais ce n'est pas exact.

 

Et même page 63, il nous livre quelques réflexions sur ses recherches sur Internet, ancrant ainsi résolument son travail dans notre époque :

Aujourd'hui, j'entame la soixante-troisième page de ce livre en me disant que l'Internet ne m'est d'aucun secours. Sur celui-ci, pas de trace de Gérard Mourade ni de Roger Behaviour. Selon le navigateur, on compterait quelques Noëlle Lefebvre en France, mais aucune ne correspond à celle qui recevait des lettres à la poste restante.

Tant mieux, car il n'y aurait plus matière à écrire un livre. Il suffirait de recopier des phrases qui apparaissent sur un écran, sans le moindre effort d'imagination.

 

Modiano s'est-il déjà ainsi découvert dans ses précédents romans ? Je ne me rappelle pas l'avoir perçu et j'ai été surprise par ce que j'ai ressenti comme un lâcher-prise de l'auteur, comme un abandon. Rare sensation !


vendredi 27 novembre 2020

Pense à demain

Pense à demain - Anne-Marie Garat

Actes Sud (2010)
 

15 août 1963. À Paris, Christine Lewenthal, la fille de Camille et de Simon, profite de sa solitude en ce jour férié, dans le petit appartement de la rue Buffon que lui a donné sa mère. 

Au Mesnil, à la ferme des Armand, Antoine Donné assiste au repas familial traditionnel pour lequel il a abrégé ses vacances. Il n’aspire qu’à rejoindre son appartement dans les cités de Nanterre, il ne se sent plus à sa place parmi les siens. Sur le chemin du retour, le passage est obstrué par un véhicule inconnu, stationné près de l’ancienne maison des maîtres, la demeure des Bertin-Galay, abandonnée depuis longtemps. 

Il fait ainsi la connaissance d’Alex Jamais, jeune historien à la recherche d’information sur la famille Galay, et sur Pierre Galay en particulier. En vidant l’appartement de son grand-père, Maximilien Jamais, Alex a trouvé des documents et de très vieux films, très fragiles. Le peu qu’il a réussi à en voir lui a montré des scènes d’horreur et donné la certitude qu’il détient une preuve importante d’un massacre dû à des substances chimiques. Antoine, qui n’a aucun contact avec les Galay suggère à Alex de venir le samedi suivant au village car Valentine Guillemot, la benjamine d’une branche connexe de la famille Galay, se marie. Antoine, qui est projectionniste, propose aussi à Alex de lui faire rencontrer une spécialiste de la Cinémathèque pour tenter d’exploiter les films qu’il détient. 

Le jour de la cérémonie, les deux jeunes gens se mêlent aux invités sur le parvis de l’église, grâce au talent de socialisation d’Alex et aux relations d’enfance d’Antoine avec un des convives, celui qu’on appelait Petit et qui est devenu un grand acteur de théâtre, Louis Personne. Ils font aussi la connaissance de Christine et de William, son cousin, jeune pianiste virtuose. Un drame survient au cours de la soirée et l’expérience vécue en commun, même si elle ne les concerne pas, commence à souder les relations entre les jeunes gens. Valentine, vite échappée de son mariage malheureux, et Leni, une jeune allemande débarquée à Paris, vont rapidement s’intégrer au nouveau groupe d’amis.
 

Dans ce troisième et dernier tome, c’est une nouvelle génération qui tient la vedette : Christine Lewenthal et son cousin William Galay, Antoine Donné, Alex Jamais, Leni Zeisser et Valentine Guillemot. Des jeunes gens bien de leur temps, aux prises avec les difficultés de leur époque.  Mais le hasard des trouvailles et des rencontres va leur faire découvrir des évènements auxquels ont été mêlés leurs grands-parents et leurs parents, des morceaux d’histoire qu’on leur a cachés et qui étaient restés des énigmes pour le lecteur des précédents tomes.


J’ai beaucoup aimé ce roman, plus encore que le précédent. Peut-être parce qu’il se déroule à une époque que j’ai vécue, bien qu’étant encore enfant. Le quotidien des héros me parle, les lieux où ils vivent aussi. Sans doute, Anne-Marie Garat a-t-elle aussi fréquenté ces endroits et vécu partiellement ces évènements. J’ai senti dans son écriture une implication personnelle plus forte, parfois même une jubilation à raconter les expériences de ses personnages. 

Comme toujours, elle utilise ses héros pour aborder des thèmes variés : La vie politique des débuts de la Vème république grâce à Martin Guillemot qui est le méchant de service dans ce tome ; le cinéma, autant comme divertissement que comme témoignage d’une époque, avec toutes les interrogations qu’il peut soulever. Ainsi, pour Alex, il est très important de savoir qui est celui qui tourne la manivelle de la caméra qui filme des horreurs et quelle y est sa part de responsabilités, son but en filmant. 

Il est aussi question, au travers des jeunes femmes mais pas seulement, de la condition féminine qui évolue fortement dans ces années pré-68, la contraception, l’avortement, l’indépendance financière, l’envie de ne plus se conformer à des modèles traditionnels et la difficulté de ces choix, quel que soit le milieu dont on vient. 

J’ai été très surprise d’apprendre qu’en 1963, il y avait déjà des troubles à l’université de la Sorbonne, des manifestations, des occupations d’amphi, une surpopulation d’étudiants, des problèmes d’affectation dans les filières, des listes d’attente ! 

Antoine, qui vit à Nanterre et qui a connu la prison en tant qu’objecteur de conscience, vit pleinement les conséquences de la guerre d’Algérie, l’entassement des rapatriés dans les bidonvilles et dans les nouvelles cités HLM, les ratonnades pratiquées par des groupes armés issus des mouvances extrêmes.

On prend conscience également des bouleversements qui touchent le monde agricole, des difficultés pour garder les terres face aux projets d’urbanisation, des changements des modes de production, de la scission qui s’installe au sein des familles entre les enfants qui restent à la ferme et ceux qui s’échappent à la ville.

Quelques figures secondaires de l’épisode précédent, comme Étienne Louvain, devenu Melville, et Élise, la libraire, prennent une place plus centrale et agissent comme des passeurs auprès des jeunes héros, les aident à éclaircir les secrets de famille et les épisodes restés dans l’ombre de l’Histoire, brefs ils les accompagnent vers le monde des adultes.

Une énigme parcourt le roman, quelle est cette malédiction qui frappe la famille Guillemot, ciblant successivement ses différentes générations ? La résolution est inattendue mais fait le lien avec le titre du premier roman de la série, Dans la Main du diable 

Je suis enchantée de ces longs mois passés au côté d’Anne-Marie Garat, grâce à son écriture foisonnante, à son habileté à construire une fresque familiale qu’elle poursuit dans un long épilogue jusqu’en 2010, rapprochant en quelque sorte tous ces personnages de notre histoire personnelle.
Commencée juste après le premier confinement, cette trilogie a mobilisé mon esprit de manière favorable, m'a aidé à m'échapper d'un quotidien bien banal et restera certainement un moment fort et agréable de 2020.

samedi 31 octobre 2020

Elle a menti pour les ailes

Elle a menti pour les ailes – Francesca Serra

Éditions Anne Carrière (2020)
 

Lorsque j’ai découvert ce livre dans la liste des ouvrages proposés par Babelio pour l'opération Masse Critique de la rentrée, je n’ai pas hésité à le choisir. Ce roman venait d’obtenir le prix littéraire du journal Le Monde, alors j’étais très confiante et ravie d’en faire ma première lecture de la rentrée littéraire automne 2020.
 

Malheureusement, je n’ai pas réussi à entrer dans cette histoire. Quand je lis les critiques élogieuses à son propos sur Babelio, je m’aperçois que ce qui a plu à certains et certaines est ce qui m’a rebuté. Qualifié d’inclassable parce qu’il est à la fois un thriller et une chronique adolescente, c’est cette ambiguïté qui m’a agacée, j’ai eu l’impression que l’auteure n’arrivait pas à décider à qui elle s’adressait.
 

Je me rends compte que j’ai manqué de patience pour suivre les démêlés de ces adolescents, dont les échanges sur les réseaux sociaux sont trop détaillés à mon goût. Même si le sujet du harcèlement m’intéresse fortement, il est ici beaucoup trop dilué et je n’ai pas réussi à mettre mon agacement de côté pour savoir ce qui était arrivé à Garance, dont on apprend très vite la disparition. Si c’était un moyen d’attiser la curiosité du lecteur, avec moi ça n’a malheureusement pas fonctionné. Dommage, je n’aime pas abandonner un livre en cours de route mais là, j’ai déclaré forfait à la page 177. Un seul regret, ne pas savoir ce que veut dire le titre, bien énigmatique, du roman.
 

Merci à Babelio et aux éditions Anne Carrière pour l’envoi gracieux de ce livre.

lundi 26 octobre 2020

Les brumes de l'apparence

 

Les brumes de l’apparence – Frédérique Deghelt

Actes Sud (2014)
 

Gabrielle, parisienne à l’approche de la quarantaine, directrice d’une agence d’évènementiel, mariée à un chirurgien esthétique et mère d’un adolescent en terminale, est contactée par un notaire de province car elle a hérité d’un terrain et d’une maison dont elle ignore tout. Pour elle qui a vécu aux États-Unis, qui se sent citadine jusqu’au bout des ongles, se rendre dans un trou perdu en pleine campagne pour signer des papiers est complètement exotique et inattendu. Chez le notaire, elle découvre qu’il s’agit en fait d’une masure délabrée, abandonnée en pleine forêt. Elle fait la connaissance de sa tante, Francesca, dont elle ignorait l’existence et qui vit toujours dans le village. C’est une vieille femme, bienveillante et bizarre, qui a rencontré Gabrielle quand elle était enfant.
L’agent immobilier avec lequel elle a pris contact, semble sceptique sur la possibilité de vendre rapidement la forêt des Brumes. Chez l’épicière du village, Gabrielle apprend que l’endroit a mauvaise réputation dans la région, les locaux l’ont surnommé la terre des Sorcières parce qu’elle appartenait à une famille de guérisseurs. La mère de Francesca barrait le feu et soulageait les maux de ses patients par imposition des mains. La tante Francesca, elle, prédisait l’avenir et soignait par les plantes.
Contrainte de dormir sur place dans la masure, Gabrielle passe une nuit étrange :  plongée dans des sensations inhabituelles, elle fait un rêve très bizarre, au cours duquel elle se retrouve sur les lieux d’un accident de la route et porte assistance aux blessés. Le lendemain, sur la route du retour, confrontée dans la réalité à la même situation que dans son rêve, Gabrielle prend conscience de ses pouvoirs de médium, lorsqu’elle aide les mourants dans leurs derniers instants et lorsqu’elle calme les douleurs des blessés. Revenue à Paris, très troublée par ce qu’elle a vécu, elle se demande à qui de son entourage elle va pouvoir parler de ce qui lui est arrivé.

 

Je ne suis pas du tout adepte de sciences occultes et pourtant, j’ai beaucoup aimé ce livre. L’auteur introduit petit à petit des phénomènes mystérieux auxquels est confrontée Gabrielle, une femme très moderne et très cartésienne. Lorsque des évènements bizarres se produisent, elle ne peut faire autrement que d’observer ce qui se passe, d’accepter ses sensations et de suivre son instinct. Elle est consciente de l’anormalité de ce qui lui arrive mais sait que ça lui arrive réellement. Elle réalise alors que toute sa vie est basée sur une certaine superficialité et qu’elle ne peut même pas partager ce qu’elle a découvert avec la plupart de ses proches, en particulier son mari. 

C’est cet aspect du roman qui m’a le plus intéressée. J’ai lu sans chercher à les juger les situations paranormales qui sont racontées, sans me demander si c’était crédible ou pas, sans vouloir entrer dans un débat. La plume de Frédérique Deghelt est très agréable, le personnage de Gabrielle est attachant, ses interrogations à l’aube de la quarantaine sont légitimes, c’est juste la cause de sa remise en question qui est inhabituelle mais il faut se laisser emporter par la narration et laisser ses préjugés de côté. C’est ce que j’ai fait et je ne le regrette pas !

Extrait page 165 :

(…) Comment raconter à mes proches que ma tante m’a clairement parlé depuis sa mort, ou que son parfum de jasmin se manifeste régulièrement à bon escient ? Comme il m’est tout aussi impossible d’oublier que j’ai accompagné des gens juste après leur accident, que j’ai senti des fluides, des courants d’air chaud et froid, des présences qui se tenaient autour de moi, avec une sensation de plénitude extraordinaire, dans un lieu où le spectacle que j’avais sous les yeux aurait dû m’inciter à pleurer, à fuir ou à tomber dans les pommes.

Une interview de l'auteure à propos de ce livre.

jeudi 1 octobre 2020

L'enfant des ténébres

 

L'enfant des ténèbres - Anne-Marie Garat

Actes Sud (2008)

Ce deuxième tome de la trilogie d’Anne-Marie Garat, commencée avec Dans la main du diable, nous emmène en septembre 1933, presque vingt ans après que nous avons laissé Gabrielle et Millie en route vers les États-Unis. Je m’attendais à retrouver les personnages du premier roman, à apprendre d’emblée ce qu’ils étaient devenus pendant le conflit de 14-18 et dans l’après-guerre.  J’ai donc été assez désarçonnée par le début de ce roman. 

Certes, on y retrouve des figures connues mais elles n’avaient que des rôles secondaires dans le premier tome. Mais après tout, n’était-ce pas ce qui m’y avait plu, ce talent de l’auteure pour donner leur place aux personnages secondaires dans l'histoire, pour les faire exister au côté des héros et des héroïnes. J’avais d’ailleurs choisi un extrait qui se présentait presque comme un manifeste du rôle secondaire.
 

Dès les premières pages, apparaissent donc Élise, que l’on appelait Sassette au Mesnil, Simon Lewenthal le directeur des usines B&G, Pauline la petite-fille des Victor, Camille, la petite Millie devenue adulte, tout juste revenue incognito des États-Unis. Mais il n’est question que de ce qui les préoccupe en cette année 1933. Il faudra patienter avant de se raccorder aux évènements d’avant-guerre, avant de retrouver Gabrielle et Pierre, de démêler ce qui leur est arrivé parce que ce n’est plus le sujet d’Anne-Marie Garat dans ce roman.


Dans la main du diable nous faisait percevoir l’arrivée de la première guerre mondiale. Ici c’est à la montée du nazisme que nous assistons, aux prémices des bouleversements qui vont affecter l'Europe, que certains ne perçoivent pas mais que d’autres, attentifs et informés, voient approcher et auxquels ils se préparent.
 

Extrait page 367 :

[…] On se réveille un matin, son journal quotidien disparu. Au travail, un collègue manque, et dans la rue des boutiques se ferment. Un autre jour, on trouve la liste affichée du personnel prohibé ; on regarde l’appariteur de la faculté la piquer au tableau. Le médecin de famille n’a plus le droit de vous soigner, n’a plus le droit de prendre l’autobus, d’écouter la radio, de sortir le soir ; le lendemain, la crémière vous reproche, à mots à peine couverts, de ne pas avoir levé le bras au passage d’un camion de SA dans la rue, et dans le square les enfants, deux par deux, accompagnés de leur instituteur, chantent en chœur la mort des juifs, de leur voix cristalline. Il aurait fallu un singulier aveuglement pour ne pas recouper les informations fragmentaires mais convergentes : de l’autre côté du Rhin avait lieu une révolution inédite et criminelle, Pierre et elle en étaient effarés. À leur arrivée en France, ils étaient encore mal informés, mais le séjour à Löchen, cette année assombri, la lecture de la presse, les bruits qui couraient les avaient vite dessillés, et cela revenait de loin, l’angoisse diffuse d’un monde basculant dans la folie, son horizon de colère, l’étrange lumière de soufre qui irradie de quelque incendie lointain, tout l’escadron cabré de haine amassant ses troupeaux de nuages livides, qu’une tornade souffle et répand d’un seul instant dans la totalité du ciel. On se réveille un matin dans le bruit du tocsin, les cloches sonnent à toute volée, il est trop tard, trop tard… […]

Comme dans le premier épisode, c’est un roman multiple que propose Anne-Marie Garat : espionnage, Histoire, sociologie, thriller, roman d’amour, roman d’aventure, tous ces aspects se succèdent et s’entremêlent sur près de 650 pages, rythmés comme dans un feuilleton. Encore un pavé où l’on se perd, où l’on est porté par le style inimitable de l’auteure. Toujours ces longues descriptions, ces digressions jamais inutiles car, même si on ne comprend pas toujours leur raison au moment où on les lit, leur signification apparait plus tard. D’ailleurs, ce roman à peine terminé, je l’ai recommencé pour remettre d’aplomb dans ma tête tous ces fils narratifs qui tissent une histoire complexe et passionnante. 

Et puis, je voulais tenter d'identifier cet enfant des ténèbres, que j'ai cru, plusieurs fois, trouver dans ces pages. L'auteure, elle-même, le désigne, une fois. Mais, pour moi, cet enfant est multiple dans cette histoire, presque universel mais il reste encore une énigme, que peut-être une troisième lecture permettrait de sortir du roman. C'est dire combien ce livre recèle de richesse et de mystère !
 

Maintenant, j’ai hâte de plonger dans le troisième tome, Pense à demain, 720 pages chez Actes Sud. Mais je vais attendre quelques semaines, choisir entre-temps des lectures d’un abord plus facile, pour me reposer un peu, pour laisser décanter mes impressions avant la prochaine étape !

mardi 4 août 2020

Corentine

Corentine – Roselyne Bachelot

Plon (2019)
Lu dans l’édition Pocket (2020)


Lorsque j’ai sélectionné ce livre dans la liste proposée par Babelio pour l’opération Masse Critique, j’étais loin de me douter que lorsque j’en commencerais la lecture, son auteure serait devenue ministre de la Culture ! Nomination que j’ai d’ailleurs vite oubliée, tant l’univers où nous emmène ce livre est dépaysant.

En 1919, une jeune veuve de guerre, bien mise, en tailleur et voilette, descend à Gourin du train en provenance de Paris. Elle est accompagnée de sa fille, a rendez-vous chez le notaire pour finaliser l’acquisition d’une maison cossue où elle a l’intention de s’installer et d’ouvrir une boutique de confection. Une fois les formalités effectuées, la jeune femme, Corentine, rend visite à sa mère, Marie-Louise, dans la misérable ferme où elle est née à la fin du XIXème siècle, une masure de quarante mètres carrés, où vivait la famille entière. Sept enfants, un père et une mère journaliers, les ainées qui s’occupent des petits, seuls les garçons peuvent aller à l’école, on ne mange pas souvent à sa faim. Corentine y a vécu jusqu’à l’âge de sept ans, puis a été « vendue » par ses parents comme bonne à un marchand de chevaux de Gourin. Lorsque son père a voulu la reprendre car le maire du village lui a reproché d’avoir placé sa fille avant l’âge réglementaire de dix ans, Corentine a refusé de le suivre, car au moins, là, elle mange à sa faim, même si les journées de travail sont épuisantes. Plus tard, à douze ans, Corentine trouve une place de bonne à Paris, chez un docteur. Là, pendant trois ans, elle renoue avec la faim et des conditions de vie encore difficiles, face à une patronne radine et malveillante. Puis, elle est embauchée chez une vicomtesse, dans un hôtel particulier de la rue du Bac. Elle a une chambre rien que pour elle, les repas sont abondants, elle a sa place dans la hiérarchie des domestiques d’une grande maison mais les dangers d’abus divers y sont nombreux. Néanmoins, Corentine parviendra à apprendre à lire et à écrire et à s’élever dans l’échelle sociale.

Roselyne Bachelot l’écrit dans l’avant-propos : cette histoire est presque un roman. Tout y est vrai, reconstitué à partir des souvenirs de sa grand-mère, des témoignages de proches, des lectures qui lui ont permis de replacer Corentine dans les différents environnements où elle a tracé son chemin de vie.

Ce que j’ai trouvé le plus marquant, ce sont les conditions de vie dans la ferme, la promiscuité, la saleté, les cochons qui vivent dans la maison ! On imagine l’odeur pestilentielle qui devait y régner ! Et la faim ! D’après Roselyne Bachelot, c’est ce qui obnubilera sa grand-mère toute sa vie, même si par la suite, elle vit dans de meilleures conditions. Mais on comprend que cette faim, alliée à une intelligence et une force de caractère remarquables ont donné à la petite paysanne la volonté de sortir de sa misérable condition et de ne pas se cantonner à l’avenir de domestique qui semblait tracé pour elle.

Et puis, je dois dire que j’ai trouvé aussi dans le récit de cette enfance morbihannaise un écho à ce que me racontait mon grand-père, né en 1907, donc une vingtaine d’années plus tard que l’héroïne, dans un village au fin fond du Morbihan. Lui, c’est son engagement dans la Marine qui lui permettra de sortir de sa campagne, de s’éduquer et de voir du pays. J’ai souvent senti dans ses propos la fierté et le soulagement d’avoir échappé à une vie de misère. La vie de Corentine n’est finalement pas si loin de mon histoire familiale.

tous les livres sur Babelio.com

lundi 27 juillet 2020

Heather Mallender a disparu

Heather Mallender a disparu – Robert Goddard

Sonatine (2012)
Traduit de l’anglais par Catherine Orsot Cochard

Harry Barnett, la cinquantaine, a quitté l’Angleterre après des déboires professionnels, pour s’exiler à Rhodes, où il est devenu le gardien de la villa de vacances d’Alan Dysart, un homme politique britannique avec lequel il est ami depuis longtemps. Désabusé et alcoolique, Harry mène une existence terne et monotone où il se complait.
Sa routine est agréablement dérangée par l’arrivée d’Heather Mallender, une jeune femme venue se ressourcer après une période de dépression, suite à la mort violente de sa sœur dans une explosion revendiquée par L’IRA. À sa demande, Harry lui fait visiter l’île et une relation amicale se noue entre les deux. Peu avant son retour en Angleterre, Heather demande à Harry de l’accompagner de nouveau sur le mont Prophitis Ilias. Harry, fatigué, laisse la jeune femme se lancer dans l’ascension du mont. Mais elle ne revient pas. Les secours et la police, malgré leurs recherches, ne la retrouvent pas.
Harry, qui a travaillé pour le père d’Heather et qui a été licencié pour cause de malversations, est évidemment le premier soupçonné de la disparition d’Heather. Mais en l’absence de preuves, il est finalement relâché. Alors qu’il s’occupe de rassembler les affaires de la jeune femme, il découvre le récépissé de dépôt d’une pellicule photographique. Il récupère les clichés et se rend compte que les vingt-quatre photos reconstituent le parcours d’Heather au cours des derniers mois. Il comprend qu'ils illustrent son enquête personnelle pour comprendre l’assassinat de sa sœur. Harry décide alors de se remettre dans les pas d’Heather, espérant trouver ce qu’il est advenu de la jeune fille. Le voilà donc de retour en Angleterre, tenu d’affronter des gens avec lesquels il n’est pas en bon terme, la famille d’Heather en premier lieu.

Le démarrage de ce roman est lent, pas vraiment passionnant. Je me sentais écrasée par le soleil de Rhodes et engluée dans la vie monotone de Harry. Mais la découverte des photos et le retour en Angleterre redynamisent l’histoire et j’ai commencé à me prendre au jeu de cette enquête sur les traces d’Heather, au cours de laquelle on en apprend aussi beaucoup sur le personnage de Harry. Confronté à un passé qu'il a voulu fuir, Harry va devoir faire des efforts pour s'extraire de sa déchéance et il va réaliser que certains n'ont pas hésité à profiter de son manque de confiance en soi.

C’est le deuxième roman de Robert Goddard que je lis et j’ai trouvé de nombreuses similitudes entre celui-ci et Sans même un adieu. Un héros malchanceux, à qui rien ne réussit, mais qui trouve dans les valeurs auxquelles il tient l’énergie nécessaire pour se secouer et s’occuper du sort de quelqu’un d’autre.
La construction de l’intrigue est aussi similaire, avec l’aboutissement de la quête du héros aux trois-quarts du roman et la suite de l’histoire avec des rebondissements inattendus dans le dernier quart.

Bref, un thriller modéré, ce qui me convient tout à fait et m’incite à continuer ma découverte des romans de Robert Goddard.

Quelques avis chez Babelio.


lundi 20 juillet 2020

Attentifs ensemble


Attentifs ensemble – Pierre Brasseur

Rivages/Noir (2020)

Ils s’appellent Marion, Franck, Manu, Elena, Tamara, Grégoire, Jean-Marc, Pierre, Hendrix, Sylvain, Alice, Hicham, Basile, Marianne, Youssef, Cyrille, Karim, Lola, Isabelle.
Ils vivent et travaillent à Paris ou en banlieue, viennent de milieux très différents et n’avaient sans doute rien en commun.
Pourtant, ils se retrouvent en fin de semaine dans une ferme isolée de l’Yonne, où Tamara et Jean-Marc, anciens soixante-huitards, vivent en autarcie et les reçoivent sans poser de questions. Certains viennent là pour le plaisir de retrouver les copains, pour jouer au foot, boire des coups autour d'un barbecue.
D’autres, à l’insu des premiers, ont des objectifs très différents, ils ont décidé d’agir contre ce qui les révolte dans la société et ont mis en œuvre une stratégie d’attaque de la banlieue en trois semaines.

Leurs actions commencent doucement par un « prélèvement » de fruits et légumes chez un épicier bio à Clichy et une redistribution au marché de Lorraine dans la même commune. Puis, ensuite, ce sont des cadres qui sont enlevés à leur sortie de l’entreprise, gardés quelques heures puis relâchés sans réelle violence. À chaque fois, les évènements sont filmés puis diffusés sur le Net, revendiqués par un mystérieux mouvement, le FRP, qui se réclame à la fois du Général de Gaulle, le résistant et pas le président qu’il est devenu par la suite, et de principes de solidarité et de fraternité.

La police met du temps à réagir aux premières actions, puis confie l’affaire à Guillaume Wouters, un capitaine spécialisé dans les nouvelles formes de militantisme, que sa concierge prend pour un bénéficiaire du RSA qu’elle ne se prive pas de critiquer auprès du voisinage. Puis, lorsqu’il devient clair que ces actions vont au-delà de la farce, la sous-direction antiterroriste prend les choses en main, tandis que l’angoisse commence à monter dans l’opinion.

C’est un roman efficace, qui privilégie l’action tout azimut et j’ai eu un peu de mal au début avec cette lecture tant elle diffère de la précédente ! Là-bas, trois pas dans une rue de Paris pouvaient donner lieu à une quinzaine de phrases de description. Ici, tout va vite, les actions s’enchaînent, se déroulent parfois en parallèle, les intervenants sur une action ont des missions simples, qui se succèdent parfaitement dans une mécanique bien préparée. On est en plein dans l’actualité, l’informaticien qui pilote la réalisation et la mise en ligne des vidéos est un as de la technique, un champion de la communication, percutant et habile qui sait à merveille exploiter les outils à sa disposition.

Dommage que les personnages soient peu fouillés, parfois à la limite de la caricature. Personnellement, j’aurais aimé en savoir un peu plus sur leur passé, leurs motivations, mais cela aurait forcément ralenti le rythme.
Passée la surprise des premières actions menées, j’ai été assez captivée par la façon dont est menée l’enquête des forces de police, l’importance d’un indice minime repéré sur une vidéo et qui va se révéler déterminant dans le démantèlement du groupe.
La façon dont ce qui aurait pu rester au niveau de farces potaches peut se transformer en action terroriste, aussi bien par l’extrémisme de certains des militants que par l’intervention policière est très emblématique des dérives que l’on a pu observer dans des mouvements récents. Ça fait peur et ça donne à réfléchir !

Un extrait page 69 :
Ils traversent des zones commerciales qui montrent la manière dont notre vieille France a été découpée à l'équerre : « Les managers sont les nazis d'aujourd'hui, affirme Marion, et nous, nous sommes les résistants. » Franck ne répond pas, et elle songe qu'ils devront frapper ces ZAC infernales, un jour, s'ils en ont le temps. Mais elle sait bien qu'ils ne l'auront pas, et pourront seulement souhaiter que des inconnus poursuivent leur travail dans des banlieues de plus en plus lointaines, Beauvais voire Dieppe et Orléans, jusqu'à Bombay et à Rio - où ils seront déjà, grâce à l'argent de la maison, transféré par Hendrix sur des comptes étrangers, pour s'y construire de nouvelles vies avec l'espoir de rester libres.


Merci à Babelio et aux éditions Rivages qui m'ont adressé ce livre dans le cadre d'une opération Masse Critique.

tous les livres sur Babelio.com

jeudi 9 juillet 2020

Dans la main du diable

Dans la main du diable – Anne-Marie Garat

Actes Sud (2006)

Paris, septembre 1913. Gabrielle Demachy accompagne sa tante Agota au ministère de la guerre où celle-ci est convoquée. Immigrée hongroise, Agota vit en France depuis plus de trente ans et elle craint quelque complication administrative qui pourrait aboutir à une expulsion. Mais l’annonce qui leur est faite est tout autre : comme elles le redoutaient depuis longtemps, Endre, le fils d’Agota dont elles étaient sans nouvelles depuis des années, est décédé cinq ans auparavant à Rangoon en Birmanie. Une malle avec des effets personnels est arrivée par bateau au Havre et leur sera livrée pour confirmation de l’identité du défunt. Gabrielle, qui était amoureuse de son cousin, et sa tante sont effondrées et révoltées du peu d’information qui leur est donnée. Le secrétaire du militaire qui les a reçues, Michel Terrier, apparemment ému de leur détresse, promet à Gabrielle de faire son possible pour leur fournir des éclaircissements. Quelques semaines plus tard, il reprend contact avec Gabrielle et lui apprend que la malle a été ramenée par un certain Dr Galay, médecin ayant séjourné aux Colonies à l’époque où Endre y était lui-même. Gabrielle veut immédiatement se rendre chez ce Dr Galay pour l’interroger mais Terrier le lui déconseille fortement. Le médecin a été impliqué dans des affaires pas très nettes et le rencontrer pour lui poser des questions se rapportant à son séjour aux Colonies pourrait être dangereux. Par un heureux concours de circonstances, Terrier repère une annonce proposant un emploi d’institutrice pour s’occuper de la fille du Dr Galay, une fillette de quatre ans, orpheline de mère, laissée jusqu’à présent uniquement aux soins des bonnes de sa grand-mère. Voilà donc un moyen pour Gabrielle de se rapprocher du Dr Galay, sans pour autant dévoiler la raison de son intérêt. Gabrielle obtient le poste et se retrouve à la campagne, dans la maison de la famille Bertin-Galay, où Mathilde Bertin-Galay, la mère du Docteur, a décidé d’envoyer Millie, la fillette dont la santé est assez fragile.

Ainsi commence ce roman-fleuve de 900 pages, et l’on devine très vite que ce Michel Terrier n’est pas que ce modeste secrétaire au ministère de la Guerre et que la mission qu’il confie sur le mode de la plaisanterie à Gabrielle a peut-être d’autres enjeux. Gabrielle a vécu jusque-là une existence très protégée, couvée par deux femmes aimantes et attentionnées. Maintenant qu’elle sait qu’Endre ne reviendra pas, elle a envie de sortir du cocon protecteur et de vivre sa vie en devenant plus indépendante. Et, plus que tout, elle veut découvrir ce qui est arrivé à son cousin. Cet emploi d’institutrice qui lui permet d’entrer subrepticement dans le cercle familial du Dr Galay tombe donc à pic pour répondre à ses aspirations.

J’avais eu l’occasion de découvrir l’écriture d’Anne-Marie Garat avec son roman Le grand Nord-ouest et j’avais été emportée par son souffle épique. Je me souvenais avoir lu des critiques élogieuses sur Dans la main du diable mais jusqu’à présent, j’avais hésité à me lancer dans la lecture de ce gros pavé de 900 pages. C’est l’approche des vacances et l’envie de plonger dans un récit que je devinais mémorable qui m’ont décidée à l’emprunter à la médiathèque .

Autant le dire tout de suite, j’ai été emballée par cette lecture, par le style d’Anne-Marie Garat, par l’abondance des descriptions, par le soin qu’elle met à souligner le moindre détail du décor où évoluent ses personnages, par l’analyse minutieuse de leurs pensées et de leurs états d’âme. Elle ne s’attache pas uniquement aux personnages principaux de l’intrigue, elle accorde la même attention aux seconds rôles, aux différents membres de la famille, aux domestiques, aux voisins, n’hésitant pas à faire de longues digressions pour situer leur environnement, leurs habitudes, leurs occupations professionnelles.

Un exemple avec le frère du Dr Galay, cinéaste, que l’on suit lors du tournage d'un film lorsqu’il réalise quelques scènes dans la propriété familiale, utilisant tous les membres de la maisonnée comme figurants. Au cours d’une conversation avec Gabrielle, il explique son intérêt pour les personnages secondaires de son film, réfutant justement ce terme de secondaire et j’ai eu l’impression qu’Anne-Marie Garat exprimait par son intermédiaire son point de vue rapporté à l’univers du roman.

Extrait page 289 :
Alors Gabrielle, séduite par sa fougue et par sa vitalité, se laissa aller, accoudée à la grande table : le menton dans la main, l’écouta décrire son film avec enthousiasme, comment il adaptait le roman-fleuve d’Eugène Sue en coupant quelques épisodes, en sacrifiant à son corps défendant les péripéties secondaires. Pour garder du nerf à sa fresque, du rythme, il rusait avec les lois avares de l’économie. Mais il ne s’en consolait pas, parce que rien n’est facultatif dans un tel roman !
-- Il n’y a pas d’épisode, ni de personnage secondaire, entendez-vous ? Chacun a sa fonction, chacun réclame d’exister. Chacun est le héros de son histoire personnelle. Chacun donne la chair, le sang, la vie de notre imaginaire, comme dans la vie, nom de Dieu ! Qui est secondaire, dans la vie, hein ? Vous êtes secondaire, vous ? Les gens sont pressés, ils veulent du sommaire, vite raconté ! Et les banquiers sont là pour vous le rappeler : le cinéma, c’est de l’argent : alors on coupe. On fait des petites coupures, vous comprenez ? Moi je veux du souffle, une symphonie luxueuse !
 
Autre exemple de digression, concernant Mathilde Bertin-Galay, qui a pris la suite de son père dans la direction de l’entreprise de biscuit familiale. On la suit dans ses préoccupations de chef d’entreprise, confrontée à une grève, puis face à la nécessité de moderniser et de diversifier la production face aux menaces de guerre qu’elle perçoit très bien. Tout cela contribue à étendre la portée du roman bien au-delà d’une intrigue pourtant déjà bien riche, à l’ancrer dans son époque et à bâtir une fresque d’une ampleur formidable.

Je ne veux pas détailler les rebondissements de ce roman que l’on pourrait présenter comme un roman d’espionnage, puisque c’est la base de l’intrigue, mais c’est aussi tellement plus que cela, que j’aurais l’impression par cette classification de trahir le magnifique travail de l’auteur, autant sur la construction de ce roman-fleuve que sur l’énorme recherche documentaire qui a certainement participé à sa conception.

Une vraie réussite pour moi et j’ai déjà hâte de lire la suite de ce roman qui démarrait une trilogie qui s’étend jusqu’aux années 2010.

mercredi 17 juin 2020

Ses yeux bleus

Ses yeux bleux – Lisa Hågensen

Traduit du suédois par Rémi Casseigne
Actes Sud (2018) collection actes noirs


Le début : 

Pour quelles raisons Raili s’introduit-elle dans le chalet d’Olofsson, qui s’est noyé dans le lac tout proche, pour chercher de vieilles photos et surtout récupérer de précieux négatifs ? Pourquoi se cache-t-elle lorsqu’elle entend des pas dans la maison, qui craint-elle ? On ne le sait pas mais on comprend vite qu’elle a sans doute raison d’avoir peur lorsque le chalet prend feu et qu’elle doit faire appel à toute son énergie pour réussir à s’en extraire en sautant par une fenêtre à l’étage.

Retour deux mois en arrière : 

Raili Rydell, la quarantaine, bibliothécaire mal dans sa peau, s’apprête à passer tranquillement ses vacances d’été dans son chalet rustique au bord d'un petit lac, en pleine forêt. Elle y retrouve avec plaisir ses voisins, Sara et Anders, un couple à la retraite, très attentionnés envers elle, peut-être parce que Sara la verrait bien nouer une relation avec Staffan, leur fils, séparé de sa femme Louise et père de deux enfants dont il a la garde.
Au cours de son séjour, Raili fait connaissance des autres riverains du lac, ceux qui habitent de l'autre côté. Parmi eux, une famille avec deux jeunes enfants dont la mère est très dépressive. Leur voisin, Yngve Olofsson, est un homme bourru d'une cinquantaine d’années, que Raili prend au début pour un rustre. Puis ils sympathisent, Olofsson lui présente les autres riverains, lui parle de phénomènes étranges qu’il a constatés. Ainsi, il est persuadé qu’il a eu un chien dans le passé mais c’est un souvenir flou et il n’en retrouve pas trace dans ses photos de famille. Et puis, il se demande ce qu’est devenu le troisième enfant de ses voisins, il est sûr qu’il les a vus avec un bébé à un moment donné mais plus aucune trace de sa présence et personne de la famille n’en parle plus.
Raili est elle aussi victime d’hallucinations. Sont-elles dues aux médicaments qui lui ont été prescrits après l’extraction d’une dent cassée ? Ou bien est-ce un esprit qui flotte encore autour des ruines d’une ferme cachée dans les bois où se seraient déroulés des faits de sorcellerie au XVIIème siècle ?
La noyade d’Olofsson, alors qu’il venait de dire à Raili au téléphone qu’il avait découvert quelque chose, lui parait suspecte. Raili se lance à la recherche de la vérité, aidée par sa collègue de la bibliothèque.


Mon avis : 

Un roman qui mélange les genres, un thriller qui emprunte à l’histoire et au surnaturel, les surprises ne manquent pas. En parallèle à l’intrigue contemporaine, une histoire de sorcellerie du XVIIème siècle vient semer le trouble et suggérer une ambiance maléfique qui perdurerait dans la forêt. Voilà de quoi pimenter les péripéties de notre héroïne. La 4ème de couverture évoque une « sorte de délicieux croisement entre Bridget Jones et Hercule Poirot ». Comparaison un peu excessive, sans doute, mais c’est vrai que Raili est gaffeuse, qu’elle a quelques rondeurs, qu’elle aimerait bien se trouver un amoureux, qu’elle est obstinée. Elle se retrouve dans des situations horrifiques, elle risque sa vie à plusieurs reprises mais n’abandonne pas car elle est fidèle en amitié. Alors, lorsqu’il s’agit d’élucider la mort d’Olofsson ou de protéger la vie d’Yvla, elle ne lâche jamais le morceau !

Je crois que c’est la personnalité de l’héroïne qui m’a encouragée dans cette lecture car certaines scènes glauques auraient pu rapidement me mener à l’abandon. Le déroulement de l’enquête de Raili n’est pas toujours fluide, elle part sur de fausses pistes, évidemment, sinon ça n’aurait pas de charme, on se perd parfois dans des détails et des digressions mais c’est une histoire qui se lit assez vite, alors pourquoi pas, si vous êtes fan du genre !

Il semble que ce roman soit le premier d’une trilogie. Je n’ai pas l’impression que les suivants soient encore traduits en français. J’ai bien trouvé d’autres livres de Lisa Hågensen sur Goodreads mais uniquement en suédois, donc je suis bien incapable de vous dire s’il y a la suite de celui-ci parmi eux. Personnellement, je ne suis pas sûre que je lirai la suite lorsqu’elle sera disponible.


L'avis de Dasola qui m'a incitée à sortir ce livre de ma PAL.

C'est un livre que j'avais trouvé dans une des boîtes à livres installées dans ma commune dans quelques anciennes cabines téléphoniques. Si ce livre vous intéresse, dites-le moi dans les commentaires, je peux le faire circuler plutôt que de le remettre dans sa cabine d'origine !

Un extrait sur le site d'Actes Sud.

jeudi 11 juin 2020

Le Ghetto intérieur

Le Ghetto intérieur – Santiago H. Amigorena

P.O.L (2019)

Vincente Rosenberg, ancien capitaine de l’armée polonaise, a émigré en Argentine en 1928. Il s’y est marié, a trois enfants et dirige un magasin de meubles. Sa mère et un de ses frères sont restés à Varsovie, Vincente a mollement envisagé un temps de les faire venir à Buenos-Aires, plus pour faire comme ses amis que par réelle envie de réunir sa famille. 

Au fil des années, Vincente a tout fait pour devenir un vrai Argentin, il a délaissé son identité polonaise, il a oublié qu’il était juif. Il a négligé de répondre aux lettres que sa mère lui envoie régulièrement de Varsovie. Le seul lien qu’il a accepté de garder avec l’Europe, c’est son amour pour la littérature et la poésie allemandes.
 

Mais en 1940, il ne peut plus ignorer les nouvelles de Pologne, il les lit dans les journaux, ses amis en parlent sans arrêt, se félicitant d’avoir fait venir leurs familles à temps. Vincente devient alors plus attentif aux lettres que sa mère continue à lui écrire. Ce qu’elle lui raconte sur la construction du ghetto de Varsovie lui fait prendre conscience de la réalité de la situation. Il commence à ressentir personnellement le danger de la mécanique de destruction engagée par les nazis. Son sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa mère et de son frère envahit progressivement mais totalement son esprit, il redevient petit à petit un juif polonais qui a abandonné les siens, qui a adoré l’Allemagne qui persécute maintenant ses semblables. Tandis que les juifs polonais s’entassent dans le ghetto de Varsovie et y meurent de faim, Vincente s’enfonce dans la honte, dans le silence, dans son ghetto intérieur.

J’avais entendu parler de ce livre dans l’émission Le masque et la plume sur France-Inter, le 20 octobre 2019 et j’avais pressenti qu’il s’agissait d’un livre fort et émouvant. J’étais en dessous de la réalité, cette lecture m’a emmenée au-delà de l’émotion, c’est un vrai choc. Le processus d’extermination des juifs par les nazis est décrit très sèchement mais très précisément, déshumanisé, juste un objectif et des mesures nécessaires pour l’atteindre. On accompagne Vincente dans la progression de sa compréhension des évènements, dans son revirement et dans son enfermement, c’est très puissant, presque dérangeant. Par moment, j’avais envie d’arrêter ma lecture car j’avais l’impression de manquer d’air, d’être moi-même enfermée dans les pages de ce livre.

Une lecture difficile, éprouvante et nécessaire.

Extrait page 22 :
(…) Lorsqu’il était parti de Varsovie, sa mère lui avait fait jurer qu’il lui écrirait une fois par semaine. Mais alors qu’elle, elle n’avait jamais cessé, jusqu’en 1938, de lui envoyer plusieurs lettres par mois, Vincente n’avait tenu sa promesse que pendant la première année qui avait suivi son arrivée à Buenos Aires. 1929, 1930, 1931. Les années passaient et Vincente, à chaque fois qu’il recevait une lettre, maudissait les reproches de sa mère. 1932, 1933, 1934. Puis ces mêmes reproches avaient commencé de l’amuser et, avec Ariel, il s’en était parfois moqué. 1935, 1936, 1937. Puis il les avait reçus avec indifférence. 1938, 1939, 1940. Dire que maintenant, depuis trois déjà, c’est lui qui s’inquiétait de n’avoir pas assez de nouvelles de sa mère…
À propos de ce livre sur le site des éditions P.O.L

lundi 18 mai 2020

Sans même un adieu

Sans même un adieu – Robert Goddard

Éditions Sonatine (2016)
Traduit de l’anglais par Claude et Jean Demanuelli


1923 : Au petit déjeuner, Geoffrey Staddon, architecte à Londres, apprend par sa femme, Angela, que Consuela Caswell, épouse de Victor Caswell, est inculpée du meurtre par empoisonnement de sa nièce et de tentative d’empoisonnement de son propre époux et de la mère de la victime. Geoffrey est abasourdi et désespéré. Avant guerre, il avait construit la maison des Caswell, sa première grosse commande qui lui avait apporté un début de notoriété. Mais la raison première de sa stupeur, c’est qu’il était tombé amoureux de Consuela Caswell, un amour partagé qui les avait conduit à envisager de s’enfuir ensemble. Hélas, Geoffrey n’avait pas résisté à l’attrait d’un projet de construction d’un très bel hôtel dans Londres et avait abandonné Consuela, disparaissant sans explication et sans même un adieu.
Depuis, Geoffrey s’est marié avec la fille de l’homme pour qui il a construit l’hôtel, ils n’ont pas d’enfants, sa carrière n’a pas vraiment décollé, sa vie est assez terne. Plus de dix ans ont passé mais il a gardé un fort sentiment de culpabilité après sa trahison envers Consuela. Il ne peut la croire coupable des crimes dont elle est accusée. Aussi, lorsque la fille de Consuela, une toute jeune adolescente, vient lui demander son aide pour sortir sa mère de cette affaire qui pourrait la conduire à la pendaison, Geoffrey décide de tout tenter pour se racheter et sauver la jeune femme.


J’ai lu ce gros livre de 660 pages en un temps record. L'auteur prend son temps pour installer son intrigue, le flashback d'avant guerre nous oblige à la patience. Mais ensuite, les rebondissements s’enchaînent, les méchants redoublent de noirceur pour contrer les tentatives désespérées de Geoffrey pour découvrir la vérité qui permettrait d’innocenter Consuela. Tout se ligue contre lui, il faut dire que Geoffrey est un vrai loser, tout ce qu’il essaye échoue, il est naïf, faible, c’est l’anti-héros incarné. Et pourtant, je l’ai bien aimé, ce personnage, parce qu’il est sincère, incapable de roublardise et il n’est pas épargné dans son combat. Malgré ses multiples échecs, il arrive à faire évoluer la situation dans le sens qu’il souhaite, même si ses efforts ne lui apportent pas personnellement la récompense qu’il mériterait.

Un beau souvenir de lecture, ce serait typiquement un livre de vacances idéal, ce fut une belle aide en période de confinement, malgré quelques longueurs et peut-être un excès de péripéties !  Quand on aime, on ne compte pas !

vendredi 15 mai 2020

Sheila Levine est morte et vit à New York

Sheila Levine est morte et vit à New York – Gail Parent

Traduit de l’anglais par Renée Rosenthal
Rivage Poche (2014)


Sheila Levine, trente ans, célibataire, juive new-yorkaise, a décidé de se suicider, fatiguée d’avoir passé les dix précédentes années de sa vie à essayer de se marier. Comme elle regrette de ne pas avoir suivi le conseil de sa mère qui lui enjoignait de se trouver un mari avant la fin de ses études à l’université ! Mais non, Sheila a préféré prendre son temps, elle a fait la difficile et elle se retrouve à trente ans, sans bague au doigt mais avec ses kilos en trop, enseignante alors qu’elle rêvait de travailler dans le show business, découragée et pas décidée à vivre seule plus longtemps. Mais si elle a ratée sa vie, elle ne ratera pas sa sortie : Elle a choisi la date, le prochain 4 juillet, a réservé un emplacement au cimetière, sélectionné une pierre tombale, contacté le rabbin qui prononcera la prière.

J’ai commencé ce livre avec un peu de scepticisme à la lecture des premières pages. Je ne m’attendais pas à cet univers de chick lit et je n’étais pas sûre de capter tout l’humour juif new-yorkais des années 1970 qui s’y exprimait. Et puis cette impression n’a pas duré, la chick lit s’est transformée en une fable caustique et féministe, j’ai souri et ri aux mésaventures de Sheila, à ses tentatives de se libérer de l’attention envahissante de ses parents, à ses envies d’indépendance, à ses rêves du Prince Charmant qui ne vient pas ou même qui n’existe pas ! En fait, ce qui manque à Sheila, c’est un vrai projet, un challenge à relever, qui lui redonne confiance en ses possibilités et la préparation de sa disparition programmée lui apporte un élan insoupçonné.

Cette lecture a été une éclaircie bienvenue pendant le confinement, malgré les funèbres plans de son héroïne. Comme l’humour est toujours présent, aucun risque de sombrer dans la morosité !

jeudi 30 avril 2020

Le confident

Le confident – Hélène Grémillon

Édition Plon (2010)

Paris, 1975. La mère de Camille vient de mourir. Parmi les nombreuses lettres de condoléances qu’elle a reçues, Camille a trouvé un courrier plus volumineux d’un certain Louis, qu’elle ne connait pas. Le contenu lui fait d’abord croire à une erreur de destinataire. Puis d’autres lettres de la même veine lui parviennent, racontant une histoire commençant quelques années avant la seconde guerre mondiale. Louis, le fils du médecin et de la mercière, aime depuis l’enfance Annie, qui souffre d’asthme et qui aime peindre. L’adolescente s’est liée d’amitié avec Mme M., une jeune femme qui vient d’emménager avec son mari dans une belle propriété du village, et qui permet à Annie de venir peindre chez elle. Plusieurs années plus tard, Mme M. propose un étrange marché à Annie et Louis ne peut qu’être le spectateur d’une tragédie en marche.

C’est un roman assez déroutant. Comme Camille, au début on ne comprend absolument pas en quoi elle peut être concernée par ce qui est raconté dans les lettres qu’elle reçoit. Comme elle est éditeur, elle envisage même que ce pourrait être un auteur qui lui envoie son livre par morceaux afin de susciter son intérêt. Et puis, le narrateur des lettres change : Après Louis, c’est Annie qui prend la parole, puis ce sera Mme M. On commence alors à replacer Camille dans l’histoire, Camille pour qui s’éclaircissent certains épisodes de l’enfance, Camille qui envisage sous un jour nouveau ses relations avec ses parents.

Une lecture qui commence doucement et qui devient de plus en plus prenante, davantage encore quand arrive la période de la guerre dont les soubresauts accentuent le caractère dramatique de l’histoire qui nous est dévoilée. Les changements de narrateur permettent d’aborder les évènements sous des points de vue différents, chacun a sa propre vérité et ses propres motivations, le lecteur doit souvent revoir ses premières impressions. C’est déstabilisant et ça participe de la tension narrative.

Ce livre est un premier roman et il a obtenu plusieurs prix, bien mérités à mon avis.

mercredi 15 avril 2020

Nino dans la nuit

Nino dans la nuit - Capucine et Simon Johannin

Éditions Allia (2019)

Quand je commence à trainer autant sur une lecture, que je lis des magazines ou des BD, c'est mauvais signe ! Signe que je m'ennuie, que ça tourne en rond, que ça ne me plait pas. Alors mieux vaut renoncer, abandonner.
 

Pourtant ça démarrait bien. Le héros tente de s'engager dans la légion étrangère, on saura plus tard pour quelle raison. Les épreuves de sélection sont décrites d'une plume alerte et caustique, les autres postulants sont présentés finement. Mais les tests biologiques sont sans appel, le héros est recalé. Retour à la vie parisienne et à la galère. Une embauche dans un entrepôt, des conditions de travail d'un autre âge et hélas si actuelles, le propos est intéressant mais ça ne dure pas.
 

Ensuite, ce sont surtout les journées sans but, l'alcool, la drogue, les joints, les boîtes de nuit glauques et quelquefois, des éclairs de lumière lorsque le héros parle de celle qu'il aime, de celle qu'il ne veut pas perdre. Mais ça n'a pas suffit à me donner envie de continuer ce roman. Dommage !

mardi 14 avril 2020

Terres fauves

Terres fauves – Patrice Gain

Éditions Le mot et le reste (2018)

David McCae, jeune écrivain new-yorkais, travaille à la rédaction des mémoires du gouverneur Kearny, en campagne pour sa réélection. À la demande de Kearny, son éditeur l’envoie en Alaska interviewer un des amis du gouverneur, Dick Carlson, célèbre alpiniste, ce qui permettrait d’enrichir l’ouvrage d’un avis élogieux et de capter de nouveaux électeurs parmi les fans de Carlson. Pour David, citadin convaincu, l’arrivée en Alaska est rude. L’alpiniste n’est pas coopératif, c’est un homme désagréable et brutal. Lors d’une partie de chasse sur une île isolée, David découvre des faits gênants à propos de son hôte et il en informe son éditeur. Bizarrement, lors du départ de l’île, il n’y a plus de place dans l’hélicoptère qui assure le transport vers la terre ferme. Pas grave, on reviendra le chercher lors de la prochaine rotation. Les heures passent, la nuit tombe, David comprend qu’il est abandonné sur l’île, face à une nature inhospitalière, peuplée d’animaux dangereux. 

Ça commence comme un roman de survie, lorsque David doit se démener pour trouver de l’eau, de la nourriture et un abri pour la nuit, lorsqu’il comprend que personne ne reviendra le chercher ce jour-là. Puis il réalise que son séjour va peut-être se prolonger et qu’on ne l’a pas simplement oublié.

Confronté à un danger extrême, gravement blessé, il va être miraculeusement sauvé et rapatrié sur la terre ferme. Mais comme pour confirmer ses premières impressions, l’Alaska est une terre rude pour qui a appris des informations compromettantes et David devient alors la cible d’une chasse à l’homme cruelle et sans scrupules.

On se retrouve alors dans un thriller où tout semble permis pour éliminer le témoin gênant et David devra oublier ses bonnes manières pour s'échapper du guêpier où il s’est involontairement fourré. L’aventure va l’obliger à sortir de lui-même, à reconsidérer sa vie et à choisir de nouvelles priorités.

J’ai découvert ce livre lors d’une séance organisée par ma librairie et je me souviens que la jeune libraire qui l’avait présenté était restée très énigmatique, tout en ne tarissant pas d’éloges sur ce roman.

Mon début de lecture a été un peu difficile car l’ennui et l’incertitude où baigne le héros se transmettent au lecteur, je ne voyais pas très bien où l’auteur voulait nous emmener. Mais l’histoire s’accélère et ensuite, dès que le héros se retrouve seul sur l’île, les péripéties se succèdent, l’angoisse monte et on tourne les pages en se demandant ce qui nous attend, au fur et à mesure du changement de genre du roman.

Belle découverte d’un auteur que je ne connaissais pas. Il a d’autres livres chez le même éditeur, qui existent en numérique, ce qui est bien intéressant en cette période de confinement !

vendredi 3 avril 2020

Avant que j'oublie


Avant que j’oublie – Anne Pauly

Éditions Verdier (2019)

Son père vient de mourir à l’hôpital de Poissy. Alors qu’elle revoit les jours qui ont précédé le décès et qu’elle s’occupe des formalités, Anne Pauly raconte l’homme que fut son père, Jean-Pierre, unijambiste, violent, alcoolique, mais aussi adepte de spiritualité orientale, de poésie, artiste empêché, punk avant l’heure.
La préparation de la cérémonie des obsèques est l’occasion pour elle de réfléchir à la personnalité de son père et à leur relation. Anne se rend compte que ceux qui ont connu son père n’ont souvent pas vu l’homme sensible qu’il était, restant cantonnés à la première impression qu’il dégageait. D’ailleurs, dès qu’il est question de son père, très vite les gens évoquent sa femme morte d’un cancer quelques années auparavant et c’est vers elle que va leur commisération.
Plus tard, c’est le tri des affaires du défunt dans la maison familiale qu’il faut vider qui va être à la fois une épreuve et un travail de deuil, apportant à la narratrice un début d’apaisement.


Premier roman d’Anne Pauly, autobiographie non déguisée, ce livre est bien sûr très émouvant mais pas du tout larmoyant. Au début, le récit est d’ailleurs très sec, peu de traces d’émotion, comme si la jeune femme n’avait pas envisagé que son père puisse mourir. Et puis, petit à petit, la remontée des souvenirs laisse percer les sentiments, la sensation d’avoir été aimée par cet homme qui n’était pas apprécié même parmi ses proches. La découverte de la lettre d’une femme, amie d’enfance du père, qui lui avait gardé son affection, apporte un grand réconfort à Anne Pauly. Elle se sent enfin comprise, comme légitimée dans son amour filial. Oui, son père était digne d’amour, même s’il était détestable pour beaucoup.

Un très beau texte !

Page 47 :
Mais s’il fallait donner un palmarès, je décernerais un prix spécial à ce soir d’été où, parce qu’il jetait chaque soir du pain rassis et des trognons de pommes par la porte-fenêtre, un gros rat noir avait grimpé à l’étage par le tronc de le vigne vierge et s’était réfugié sous le canapé où je dormais. Cette fois-là, quand même, j’avais gueulé parce que j’avais halluciné de me retrouver à quatre pattes pour chasser un putain de rat à coups de balai. Depuis, quand quelqu’un essaie de m’expliquer l’esprit du punk, je le laisse dérouler.

Page 117-118 :
J’ai lu la lettre une seconde fois en me mouchant dans ma manche. Elle avait dû perdre beaucoup de gens dans sa vie pour savoir si bien dire au revoir. Moi aussi maintenant, grâce à elle, je savais comment faire pour lui faire mes adieux. J’ai planté là le râteau et je suis remontée. Sur un des petits coffres moches de l’entrée, j’ai réuni tous ses bouddhas, les grands, les petits, les en métal et les en plastique et j’ai placé tout le monde en petite assemblée. À côté, j’ai posé une armée de minuscules paysans japonais en corne tenant bâtons et fourches, puis le sage chinois à longue barbe et à tête dorée, le bûcheron en bois clair rapporté du Canada, la tabatière en forme de moine bedonnant et rigolard, un petit ours de jade vert dont il aimait les nuances laiteuses et un vieil indien en plomb qui, assis en tailleur fumait le calumet de la paix avec un air grave. Sur le côté, j’ai installé trois chouettes en céramique et les médailles sur pied de Gandhi, de Montaigne et d’un bison anonyme.

samedi 22 février 2020

Post-scriptum

Post-scriptum - Jane Birkin

Post-scriptum – Jane Birkin

Journal 1982-2013

Fayard (2019)

Deuxième tome des extraits du journal de Jane Birkin, traduits de l’anglais et annotés par l’auteur de 2016 à 2019.

Ce deuxième volume commence à la naissance de Lou Doillon et se termine le jour du décès de Kate Barry. Dans la courte postface, Jane indique qu’elle n’a plus écrit dans son journal après ce drame.

Il y a encore, comme dans le premier tome, la joie de vivre, l’insouciance et toujours la culpabilité de Jane qui ne sent jamais à la hauteur, qui doute toujours d’elle, en particulier vis-à-vis de ses filles.  
Au fur et à mesure des pages, on l’accompagne dans sa vie trépidante de chanteuse et de comédienne, les absences de la maison pour cause de tournée ou de film dont elle souffre beaucoup lorsqu’elle est éloignée de ses filles. On rit souvent au récit d’expériences fantasques ou de situations cocasses qui ont l’air d’être sa spécialité !

À côté de cette vie extraordinaire, ces extraits de journal et les commentaires plus récents de Jane montrent qu’en dépit de ses succès, elle est confrontée, comme tout un chacun, aux épreuves de l’existence. Et là, comme tout le monde, il faut encaisser, s’angoisser, souffrir, faire face, et les occasions ne manquent pas. Sa vie avec Jacques Doillon n’est pas un long fleuve tranquille et elle doit affronter l’adolescence difficile de Kate, les décès de Serge Gainsbourg et de son père à quelques jours d’écart, le chagrin de Charlotte. Puis vient le temps des engagements - guerre en Bosnie, soutien aux sans-papiers, qui lui apporte une certaine maturité et la sort de l’image qu’elle renvoyait auparavant. On perçoit aussi son évolution par rapport à la chanson, la reconnaissance qu’elle éprouve vis-à-vis de Gainsbourg et le rôle qu’elle veut tenir dans la continuité de son œuvre. Avec le temps qui passe, elle a le courage de tenter de nouvelles expériences au théâtre, au cinéma. Elle chante d’autres chansons que celles de Gainsbourg. Et puis, vient la maladie contre laquelle elle se bat courageusement, à sa façon, toujours fantasque et comme sur un fil.

En conclusion, un récit émouvant, un parcours atypique que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire car on revisite des évènements à travers la perception de Jane Birkin. C’est quelquefois très surprenant.

Pour finir, un extrait qui figure dans une lettre à Lou, écrite de Bosnie en 1995 (pages 213-214)
On part. Au revoir aux garçons. On traverse les champs. Il pleut sur Mostar, ville ravagée aux ruines misérables. Pas un toit, pas un mur sans vérole. Il pleut sur Mostar et c’est bien, le temps qu’il fait. Des cabanons et les gens marchent sans courir, ce n’est plus la guerre. Prise de mélancholie je ne croyais plus à la vie, alors j’ai cherché la guerre et là-bas j’ai appris, on m’a donné une généreuse leçon sur le fait de profiter de la vie. Là-bas, j’ai trouvé la paix, aussi étrange que ça puisse sembler. Survivre. Professeurs et étudiants avec cette envie de partager leur connaissance. Donner, donner, cette élégance, cet effort de dignité. J’ai eu peur, j’ai pleuré, pour moi, pas pour eux, c’était mesquin. Est-ce que cette situation d’urgence les a rendus plus beaux ? Est-ce qu’on pourrait plus ne plus s’habituer à la vie normale ? Chaque mouvement de doigt était urgent là-bas, panique, j’ai pensé à moi pour la première fois en six jours, le cœur en paix, le cœur s’emballe, une voiture chic, BMW, c’est fini, on est loin. Puis non, c’est pas vrai, j’ai sursauté quand une hirondelle a plongé devant nous, sur la route, qu’elle ne meure. Ce serait trop bête, je veux tenir à la vie, à l’hirondelle.

mardi 4 février 2020

Une longue impatience

Une longue impatience – Gaëlle Josse

Éditions Noir sur Blanc (2017) - Notabilia

Avril 1950, dans un bourg breton non nommé. Louis, un garçon de 16 ans, n’est pas rentré chez lui. Sa mère, Anne, la narratrice, ne sait que trop ce qui a pu provoquer cette fugue. Elle veut croire les gendarmes, rassurants, qui affirment qu’il va bientôt rentrer. Où irait-il, à cet âge-là, sans argent ? Mais les jours passent et toujours aucune nouvelle du garçon. Une remarque d’un des gendarmes la conduit au port voisin. Sur le registre de la capitainerie, l’officier des Affaires maritimes retrouve bien le nom de Louis. Il s’est embarqué sur un navire de commerce, à destination de la Réunion, puis Durban, Buenos Aires et Valparaiso. Le bateau devrait revenir peu avant Noël. Commence alors une longue attente pour Anne avec deux vies en parallèles : celle d’une mère de famille de deux jeunes enfants et d’épouse du pharmacien qui tente d’assumer le quotidien, et celle d’une mère pleine de l’espoir de revoir son fils, qui scrute la mer, perchée sur la falaise, qui se remémore les épreuves qu’elle et Louis ont traversées, qui prépare le retour de son fils.

C’est un roman poignant et fort. Anne est une héroïne magnifique, tout en retenue, modeste et endurante. C’est une femme qui ne se plaint pas, une femme qui garde espoir, qui écrit des lettres lumineuses à son fils, lui racontant le festin qu’elle lui réserve pour le jour de son retour.

Je ne peux pas trop raconter ce qui se passe dans ce livre pour ne pas trop en dévoiler. Mais, comme d’habitude avec Gaëlle Josse, on est immergé dans l’ambiance qu’elle installe si bien, on vit au côté de l’héroïne, on ressent ses états d’âme, son courage, on comprend son dilemme et sa retenue de femme des années cinquante, on sent le temps qui passe et l’espoir qui ne faiblit pas.

Le titre du livre aurait pu être « Une longue patience » mais il n’aurait pas traduit correctement l’état d’esprit de son héroïne. Je ne l’ai pas sentie patiente, ça voudrait dire qu’elle s’est résignée. Elle ne se résigne pas, elle vit en elle le retour de son fils et elle se prépare à la fête, avec impatience.

Page 89
Et à table, je serai là, au milieu de vous tous, car ce jour-là, la maison sera ouverte à tous ceux qui voudront se joindre à nous et se réjouir, ce sera table ouverte, je le veux ainsi, ce sera un temps pour oublier les mauvais regards, les paroles amères, les curiosités déplaisantes, les jalousies. Je veux croire que ceux qui nous rejoindront ne seront là que pour partager notre joie.

vendredi 31 janvier 2020

BD en janvier

Une séance de rangement a été l'occasion de remettre la main sur quelques albums de bandes dessinées que j'avais gagnés grâce à un quizz proposé par le journal Le Monde.

Comme je n'étais pas passionnée par ma lecture en cours, je me suis changé les idées en lisant ces quelques volumes. Ça tombe bien, on parle beaucoup de BD en ce moment puisque le 47ème festival d'Angoulême se tient ces jours-ci.

Voici les albums que j'ai lus ce mois-ci :

L'avocat, une série en trois tomes :

1 - Jeux de loi
2 - Nécessité fait loi
3 - La loi du plus faible
Après la lecture du tome 1 qui m'a été offert, j'ai été obligée d'emprunter les deux suivants à la médiathèque pour découvrir la suite sans tarder !


Un avocat habitué à défendre des rebelles ou des laissés-pour-compte accepte de défendre l'ex-femme irakienne d'un ami, accusée d'être une ancienne officier de l'armée de Sadam Hussein et d'avoir à ce titre torturé des opposants, ce que la jeune femme nie.


Un voyage en Irak lui permet de démontrer l'innocence de sa cliente et il obtient sa remise en liberté. Jusqu'à ce qu'une rencontre avec une vieille femme lui mette le doute à l'esprit.



Une enquête bien menée autour de sujets actuels, avec des réminiscences d'autres luttes armées qui ont laissé des traces dans la vie des protagonistes. J'ai dévoré ces trois tomes avec un grand intérêt.


Scénario de Laurent Galandon et Frank Giroud
Dessin de Frédéric Volante
Couleurs de Christophe Bouchard
Collection Troisième Vague aux éditions Le Lombard.




BAGDAD INC.

Le lieutenant Charlene Van Evera, juge-avocate de l'US Marine Corps, est envoyée en Irak en 2004 pour élucider une enquête autour d'un mystérieux tueur en série qui mutile des victimes civiles, alors que l'armée américaine est toujours sur place pour participer à la sécurisation et à la reconstruction du pays.
Elle va avoir fort à faire pour identifier le tueur.

La couverture de l'album n'est pas très engageante mais je l'ai oublié assez vite, une fois entrée dans cette enquête passionnante, qui, ici aussi, nous immerge dans un univers contemporain et très réaliste.

Scénario de Stephen Desberg
Dessin de Thomas Legrain
Couleurs de Benoît Bekaert et Elvire de Cock
Collection Troisième Vague One-Shot aux éditions Le Lombard.


Le tome 16 de la série I.R.$, Options sur la guerre.


Agent spécial de l'IR$, l'organe de perception des impôts aux États-Unis, Larry B. Max est appelé à intervenir sur une affaire de trafic d'armes en Afrique de l'Ouest, à laquelle un sénateur américain et un général de l'US Army semblent être mêlés. Tous les coups sont permis !

Je découvre cette série avec le tome 16, ce qui n'est pas trop gênant car les épisodes me paraissent assez indépendants les uns des autres. Les tomes précédents sont à la médiathèque, je sens qu'ils feront partie de mes prochaines lectures BD.

Scénario de Stephen Desberg
Dessin de Vrancken
Crayonné de Koller
Couleurs de Mikl
Collection Troisième Vague aux éditions Le Lombard

Merci au journal Le Monde et aux éditions Le Lombard pour ces albums. Leur envoi comportait deux autres albums dont je parlerai une prochaine fois.