lundi 25 novembre 2019

La disparue de Porzanec

La disparue de Porzanec – Hervé Huguen

Éditions Palémon (2019)

Victor Kerzatry est retrouvé mort, deux balles dans le thorax, dans sa garçonnière de Pont-Labbé. Aucune trace de la femme qu’il avait manifestement reçue chez lui avant d’être abattu. Cet antiquaire de Quimper était l’époux d’Élisa Kerzatry, fraîchement élue députée du Finistère, qui fermait les yeux sur les infidélités de son mari. Au commissaire Baron, chargé de l’enquête, elle peut seulement indiquer que la dernière conquête de son mari s’appelait Alix. À l’heure où Victor a été tué, elle était seule chez elle, alibi assez léger. La police découvre rapidement l’identité de la maîtresse de Victor, elle est mariée, elle travaille aux archives départementales où elle n’est pas apparue depuis deux jours, sans que personne ne sache où elle est. Son mari revient d’un déplacement professionnel à Cherbourg, il n’a donc pas connaissance de la disparition de sa femme. Quand il l’apprend, il ne semble pas inquiet, certain que sa femme l’a tout simplement quitté et déjà prêt au divorce. Assez vite, la police découvre qu’il n’a pas dit toute la vérité sur son voyage. Voilà donc deux suspects assez évidents, la femme du mort et le mari de sa maîtresse. Mais bien sûr, il ne faut pas se fier aux évidences et le commissaire Baron va avoir fort à faire pour dénouer les fils de cette intrigue.

Roman policier régional très ancré dans l’actualité puisqu’il se déroule à l’automne 2018, dans les premières semaines de la crise des Gilets Jaunes. Lors de ses déplacements à Pont-Labbé, Quimper et Briec, le commissaire croise les protestataires sur les ronds-points. Elisa Kerzatry doit rencontrer leurs représentants lors d’une réunion publique.
Un peu comme dans les romans de la suédoise Viveca Sten, le lecteur suit de près le déroulement de l’enquête, les différentes pistes qui se succèdent, les voies sans issue et les retournements de situation.  Et je me rends compte que j’aime beaucoup cela dans les intrigues policières, suivre pas à pas le raisonnement de l’enquêteur, explorer les éventualités, voir tout s’effondrer d’un coup et repartir vers autre chose. Sans divulguer la solution de l'énigme, je peux dire qu’elle est inattendue !

J’ai reçu ce livre dans la cadre de l’opération Masse critique Mauvais genre organisée par Babelio.
Je ne connaissais ni l’auteur, ni la maison d’édition installée à Quimper qui publie principalement des romans policiers situés dans l’Ouest de la France. La disparue de Porzanec est le seizième tome de la série Les enquêtes du commissaire Baron écrite par Hervé Huguen. Un auteur que je continuerai à lire avec plaisir, parce que j'ai bien aimé son style, fluide et précis dans les descriptions. L'intrigue est bien ficelée, crédible et menée avec rythme.

Merci à Babelio et aux éditions Palémon pour l’envoi de ce livre.

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mercredi 13 novembre 2019

Dans l'ombre du paradis

Dans l’ombre du paradis – Viveca Sten

Albin Michel (2019)
Traduit du suédois par Rémi Cassaigne


L’île de Sandhamn est en émoi : Une immense maison est en construction au sud de l’île, au mépris des règles de l’urbanisme local. Son propriétaire est un riche suédois vivant à Londres, Carsten Jonsson, qui ne craint pas, en effet, de bousculer le droit, certain d’obtenir ce qu’il veut en y mettant le prix. Il s’est déjà mis à dos son plus proche voisin en faisant déborder son ponton sur la propriété de celui-ci. Mais Carsten ne doute pas qu’il arrivera à mettre les habitants de l’île dans sa poche, sa première manœuvre étant de les inviter tous à une pendaison de crémaillère fastueuse. La soirée est un succès mais au petit matin, un incendie détruit complètement un bâtiment annexe de la propriété, où un cadavre calciné est retrouvé. Qui est-ce ? Qui est l’auteur de l’incendie ? Un riverain mécontent ? Ou bien faut-il chercher du côté des relations d’affaires de Carsten, qui a investi de grosses sommes dans une entreprise russe et qui voit ses projets de cotation en bourse remis en question.

Voilà donc une enquête compliquée pour Thomas Andreasson et ses collègues de la police de Nakka, qui oblige Thomas à interrompre ses vacances, une fois de plus. L’identification du cadavre est le plus gros point d’interrogation. La personnalité complexe de Carsten, ses affaires louches en Russie, sa volonté de s’implanter dans l’île sans respecter les usages locaux, sont autant de pistes dans la résolution de l’enquête.

Par rapport aux épisodes précédents de la série de Viveca Sten, la construction du roman est très différente. Si on excepte le faux départ du premier chapitre, il faut dépasser la page 150 pour que se produise l’incendie et que soit découvert le corps calciné. Avant cela, la présentation de Carsten et de sa famille se met doucement en place. L’explication de la situation professionnelle de Carsten m’a semblé très laborieuse, le détail de ses montages financiers et de ses projets m’a presque noyée ! Heureusement, les développements de l’enquête accélèrent enfin le rythme et on retrouverait l’allant habituel des précédents romans, si les interrogations existentielles de Thomas sur la poursuite de sa carrière ne venaient assombrir l’ambiance. J'ai apprécié de retrouver Nora Linde, toujours là pour apporter un peu de légèreté et fournir quand il le faut des renseignements bien utiles au dénouement.

En résumé, un roman différent des précédents, moins agréable à lire au début à cause du temps pris à l’installation de l’intrigue. Ensuite, comme je l’ai dit, une fois que l’enquête commence, on retrouve le ton habituel de la série. Je suis impatiente de lire le prochain épisode qui n’est encore traduit ni en français, ni en anglais (parution prévue en mai 2020), mais dont j’ai pu lire des commentaires sur la version allemande dans Goodreads. Malheureusement, je ne me sens pas prête à lire un roman entier en allemand !

Une remarque en passant à l’intention de l’éditeur : Je m’interroge sur la quatrième de couverture où Carsten est nommé Larsson au lieu de Jonsson et où « Nora Linde n’a d’autre choix que de solliciter son meilleur ami et collaborateur, Thomas Andreasson… ». Est-ce une habitude de faire rédiger la quatrième de couverture par quelqu’un qui n’a manifestement pas lu le livre !

vendredi 1 novembre 2019

Casting sauvage

Casting sauvage - Hubert Haddad

Zulma (2018)

Damya, une jeune danseuse blessée lors des attentats du 13 novembre à Paris, a dû renoncer à sa passion, la danse et au rôle de Galatée qu’elle devait tenir dans un ballet. Après de longs mois d’hospitalisation et de rééducation, Lyle, une amie, lui a proposé une mission à priori impossible : dénicher une centaine de figurants pour un film, La douleur, d’après l’œuvre de Marguerite Duras. Ceux qu’elle doit recruter seront les revenants des camps, à leur arrivée à la gare de l’Est. Les directeurs de casting habituels s’y sont déjà cassé les dents. Mais Lyle connait bien son amie, sa capacité à approcher les gens que la vie n’a pas épargné. Alors Damya ratisse les quartiers de Paris et repère les maigres, les anorexiques, les marginaux, les ravagés, les étudiants qui ne mangent pas à leur faim. Elle profite de cette quête pour tenter de retrouver le jeune homme qu’elle avait rencontré la veille de l’attentat et qui lui avait donné rendez-vous le lendemain au café où elle a été blessée. Elle croit le voir souvent, elle aperçoit sa silhouette au coin d’une rue, furtivement. Qui était-il ?

160 pages seulement et pourtant, quel voyage dans Paris que celui que nous propose Hubert Haddad dans ce beau roman ! Un Paris loin de la ville lumière pour touristes, un Paris où les beaux quartiers n’ont aucun intérêt. Le Paris du roman, c’est celui des gares, celui des quartiers populaires et mal famés, celui où survivent les miséreux, les sans-papiers, les sans-logis. Et pourtant, ce sont eux qui vont accepter ce que leur propose Damya, elle qui trouve une raison de vivre dans ces longues marches à travers la ville, claudicante et légère, qui refuse de s’appesantir sur son destin brisé. C’est aussi le Paris des arts, la danse, la sculpture, le théâtre, que l’on perçoit au fur et à mesure des rencontres que fait Damya.

Une écriture poétique, une prose un peu précieuse parfois, des termes surannés, des tournures inhabituelles, j’ai été assez surprise du style d’Hubert Haddad que je lis pour la première fois. Est-ce courant chez lui ? En tout cas, j’ai beaucoup aimé ce roman, tantôt onirique lorsqu'il évoque les rêves de Damya, tantôt très ancré dans le présent lorsqu'il décrit les camps de Roms de la porte de la Chapelle ou les migrants dans les rues de la capitale.

Page 67
Lyle se fichait bien que Duras, diligente dans une Commission d’attribution du papier et les domaines lénitifs de l’aide à l’édition, eût passivement collaboré à l’origine avant de se déclarer résistante pour avoir distribué des tracts ou torturé un gestapiste, entre autres faits d’armes subsidiaires. Cette complaisance faite de sentimentalité blasée, d’élitisme féroce et d’aveuglement autour des blessures les plus graves la gênait aux entournures sans qu’elle eût son mot à dire et surtout, ne dérogeant elle-même en aucun cas à ses fonction de planificatrice ubiquitaire, ne cessait de la questionner sans qu’elle pût en définir les causes.

Page 92-93
[…] D’expérience ou d’instinct, après quelques rebuffades, Damya laissait à leur destin les relégués et bannis d’eux-mêmes, les désespérés sur la défensive et l’espèce étrange des désirants en combustion infamante. Il suffisait d’un échange de regards. Elle savait distinguer maintenant les solitudes. Paris regorgeait d’exilés que personne n’attendait nulle part. Ils allaient innombrables, hommes et femmes pour tous invisibles, n’espérant rien que la miséricorde des rues. Certains se cachaient si bien au sein des foules que l’antique faucheuse eût pu les y cueillir en toute discrétion. D’autres au contraire les fuyaient, ne pouvant assumer la moindre attention, serait-ce d’un enfant ou d’un chien. Le casting sauvage, elle l’avait appris à ses dépens, était un comble d’artifice. Il s’agissait d’abuser des innocents avec des leurres et quelques sous.
D'autres avis chez Lyvres, Mémo Émoi, Murmures de Kernach et Lettres Express.