Avant que j’oublie – Anne Pauly
Éditions Verdier (2019)Son père vient de mourir à l’hôpital de Poissy. Alors qu’elle revoit les jours qui ont précédé le décès et qu’elle s’occupe des formalités, Anne Pauly raconte l’homme que fut son père, Jean-Pierre, unijambiste, violent, alcoolique, mais aussi adepte de spiritualité orientale, de poésie, artiste empêché, punk avant l’heure.
La préparation de la cérémonie des obsèques est l’occasion pour elle de réfléchir à la personnalité de son père et à leur relation. Anne se rend compte que ceux qui ont connu son père n’ont souvent pas vu l’homme sensible qu’il était, restant cantonnés à la première impression qu’il dégageait. D’ailleurs, dès qu’il est question de son père, très vite les gens évoquent sa femme morte d’un cancer quelques années auparavant et c’est vers elle que va leur commisération.
Plus tard, c’est le tri des affaires du défunt dans la maison familiale qu’il faut vider qui va être à la fois une épreuve et un travail de deuil, apportant à la narratrice un début d’apaisement.
Premier roman d’Anne Pauly, autobiographie non déguisée, ce livre est bien sûr très émouvant mais pas du tout larmoyant. Au début, le récit est d’ailleurs très sec, peu de traces d’émotion, comme si la jeune femme n’avait pas envisagé que son père puisse mourir. Et puis, petit à petit, la remontée des souvenirs laisse percer les sentiments, la sensation d’avoir été aimée par cet homme qui n’était pas apprécié même parmi ses proches. La découverte de la lettre d’une femme, amie d’enfance du père, qui lui avait gardé son affection, apporte un grand réconfort à Anne Pauly. Elle se sent enfin comprise, comme légitimée dans son amour filial. Oui, son père était digne d’amour, même s’il était détestable pour beaucoup.
Un très beau texte !
Page 47 :
Mais s’il fallait donner un palmarès, je décernerais un prix spécial à ce soir d’été où, parce qu’il jetait chaque soir du pain rassis et des trognons de pommes par la porte-fenêtre, un gros rat noir avait grimpé à l’étage par le tronc de le vigne vierge et s’était réfugié sous le canapé où je dormais. Cette fois-là, quand même, j’avais gueulé parce que j’avais halluciné de me retrouver à quatre pattes pour chasser un putain de rat à coups de balai. Depuis, quand quelqu’un essaie de m’expliquer l’esprit du punk, je le laisse dérouler.
Page 117-118 :
J’ai lu la lettre une seconde fois en me mouchant dans ma manche. Elle avait dû perdre beaucoup de gens dans sa vie pour savoir si bien dire au revoir. Moi aussi maintenant, grâce à elle, je savais comment faire pour lui faire mes adieux. J’ai planté là le râteau et je suis remontée. Sur un des petits coffres moches de l’entrée, j’ai réuni tous ses bouddhas, les grands, les petits, les en métal et les en plastique et j’ai placé tout le monde en petite assemblée. À côté, j’ai posé une armée de minuscules paysans japonais en corne tenant bâtons et fourches, puis le sage chinois à longue barbe et à tête dorée, le bûcheron en bois clair rapporté du Canada, la tabatière en forme de moine bedonnant et rigolard, un petit ours de jade vert dont il aimait les nuances laiteuses et un vieil indien en plomb qui, assis en tailleur fumait le calumet de la paix avec un air grave. Sur le côté, j’ai installé trois chouettes en céramique et les médailles sur pied de Gandhi, de Montaigne et d’un bison anonyme.
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