mardi 21 novembre 2017

Peggy dans les phares

Peggy dans les phares – Marie-Ève Lacasse

Flammarion (2017)

Pour les uns, Peggy était sublime, terrifiante, respectée, admirée. Pour les autres, paumée, ratée, alcoolique. Pour la plupart, élégante, habitée, chaleureuse. Le qualificatif le plus méchant qu’on ait pu lui attribuer, c’était inintéressante. Qui dit vrai ? J’ai voulu me faufiler dans leur histoire pour restituer une vérité fausse et vraie qui est la mienne, et qui pourrait, par le miracle de la fiction, être aussi la leur. (page 243)
J’ai entendu parler de ce livre de Marie-Ève Lacasse alors que je lisais Sagan et fils, le témoignage de Denis Westhoff consacré à sa mère. Il y était bien sûr question de Peggy Roche, celle qui fut la compagne de Françoise Sagan pendant quinze ans et dont la mort fut, selon Westhoff, une perte terrible pour sa mère.

Alors évidemment, j’ai eu envie de découvrir grâce au livre de Marie-Ève Lacasse qui fut Peggy Roche, mannequin-cabine, styliste, rédactrice de mode chez Elle, successivement épouse d’un photographe de guerre puis d’un acteur connu. Comment est-elle entrée dans le cercle de Sagan, pourquoi est-elle si peu connue, si peu mise en avant ? Quel a été son rôle auprès du charmant petit monstre ?

Des réponses à ces questions, j'en ai trouvé dans ce roman. Roman et pas document, car comme l’écrit Marie-Ève Lacasse dans sa conclusion citée en ouverture de ce billet, c’est sa vérité à elle qu’elle donne à lire dans ce livre, celle qu’elle a reconstituée après une longue enquête à partir des témoignages des proches qui ont bien voulu lui parler de Peggy. Mais il reste de nombreuses questions sans réponse à propos de cette femme discrète, sur son père, sur l’enfance, sur la relation avec Sagan et les raisons de celle-ci de maintenir sa compagne dans l’ombre.

La construction très libre de ce livre en fait une lecture agréable. Les allers et retours dans le temps gomment l’aspect documentaire pour faire ressortir tous les éléments romanesques de cette histoire, et apportent une pierre de plus à la découverte de la vie de Françoise Sagan. La romancière n’apparait pas toujours à son avantage chez Marie-Ève Lacasse, surtout lorsqu’elle semble ne pas assumer sa relation avec Peggy face à l’extérieur. Ainsi, lorsque Sagan reçoit chez elle, dans la maison qu’elle partage avec Peggy, elle demande à celle-ci de quitter les lieux avant l’arrivée des invités et de revenir comme si elle était elle-même une invitée.

On peut ressentir de l'agacement à la lecture de la description du milieu où vivaient Françoise Sagan et Peggy Roche, un univers superficiel où l'argent coule à flots - au moins dans les débuts - où les soirées arrosées d'alcool et de drogues se succèdent. J'ai volontairement laissé cet aspect de côté pour mieux apprécier la façon dont Marie-Ève Lacasse dessine le portrait de son héroïne et dépeint un amour durable et précieux, et c'est ce que je veux retenir de cette lecture.

mardi 14 novembre 2017

Un livre de raison

Un livre de raison – Joan Didion

Grasset (2017)
Traduit de l’anglais (US) par Gérard-Henry Durand


Grace Strasser-Mendana, la narratrice, est une américaine qui s’est mariée avec l’un des fils de la famille Mendana, au pouvoir du Boca Grande, un état imaginaire d’Amérique centrale. Grace était anthropologue, elle a travaillé avec Lévi-Strauss, puis elle s’est passionnée pour la biochimie. Elle est veuve, atteinte d’un cancer incurable. Elle a décidé d’être le témoin de Charlotte Douglas, une autre américaine, échouée à Boca Grande parce qu’elle recherche sa fille Marine, disparue à l’âge de dix-huit ans. Marine qui s’est enfuie avec un groupe de combattants révolutionnaires, Marine dont le corps aurait été retrouvé à la suite d’une opération de guérilla. Mais cela, Charlotte ne peut pas l’entendre et Grace s’est donnée pour tâche de reconstituer son parcours, sa quête pour retrouver sa fille.

Je suis très consciente que mon résumé ne donne qu’un aperçu très incomplet de ce livre assez bizarre. Deux femmes très différentes, l’une qui essaye de comprendre comment fonctionne l’autre et ce qui l’a conduite jusqu’à Boca Grande où elle a trouvé la mort. Autant Grace est rationnelle, attachée aux faits et aux chiffres, autant Charlotte Douglas est fantasque, passionnée, irréfléchie. Grace ne s’entend pas avec son fils, Charlotte est prête à tout pour sa fille. Grace a compris le fonctionnement politique de Boca Grande, ses dangers et les compromissions obligées si l’on veut rester en vie, Charlotte n’hésite pas à défier les agents de la CIA qui la surveillent et elle ne respecte aucune règle de conduite.

Peut-être faudrait-il lire plusieurs fois ce livre pour réussir à en extirper ce qu’a voulu nous raconter Joan Didion, il faudrait accepter de se confronter plusieurs fois à ces personnages qui ne sont pas sympathiques, l’un d’entre eux, Warren Bogart, premier mari de Charlotte et père de Marine, étant le pire de tous, raciste, sexiste, alcoolique et j’en passe ! La narration est heurtée, suivant en cela l’attitude de Charlotte Douglas, femme toujours au bord de l’abîme, instable, incapable de se poser. La description que donne Grace des soubresauts politiques qui traversent régulièrement le pays est savoureuse et certainement inspirée de faits réels.

Pour résumer, une lecture un peu difficile d’accès, qui permet néanmoins de découvrir plus avant le talent de Joan Didion, que j’ai toujours plaisir à explorer. Je me demande encore pourquoi l’auteur a nommé son livre « A book of Common Prayer » en version originale, il y a certainement une intention dans ce titre que je n’ai pas élucidée. Il faudra sans doute que je cherche à lire les articles parus aux États-Unis à propos de ce livre pour le découvrir. Si quelqu’un a une idée, ça m’intéresse !

À noter : ce roman est paru en français successivement chez plusieurs éditeurs : en 1978 chez Julliard, chez Robert Laffont en 2010 dans cette même traduction, avant l’édition chez Grasset que j’ai lue ici. On peut dire que les éditeurs français sont persévérants pour faire découvrir Joan Didion et son œuvre à leurs lecteurs !

dimanche 12 novembre 2017

Du fond de mon coeur

Du fond de mon cœur – Jane Austen

Traduit de l’anglais et présenté par Marie Dupin
Éditions Finitude (2015)


Le sous-titre de cet ouvrage, lettres à ses nièces, résume parfaitement la première partie de ce livre. Il s’agit de lettres que Jane Austen a adressées à trois de ses nièces, Anna, Fanny et Caroline.
Deux aspects dans ses lettres : d’abord, le côté documentaire sur la vie que menait Jane Austen, lorsqu’elle évoque son quotidien, les promenades, les visites diverses, les voyages et séjours chez ses frères. On y retrouve l’ambiance de son roman Emma. Et puis, ce qui est plus intéressant, ce sont ses conseils d’écritures à ses nièces et ses suggestions sur les textes qu’elles lui envoient pour commentaires et correction. Jane Austen, bien que restée célibataire, avait des idées très arrêtées sur ce qu’une jeune fille doit attendre d’une relation amoureuse et sur ce qui doit la conduire ou non au mariage !

Ensuite, dans la deuxième partie, sont rassemblées des lettres de Cassandre, la sœur de Jane, qui annoncent son décès aux nièces, leurs réponses suivies de leurs témoignages à propos de leur tante lorsqu’un neveu de Jane, Edward Austen-Leigh, les sollicitera pour préparer son livre en hommage à sa tante. Ce qui est assez surprenant dans ces témoignages, c’est la différence de perception de leur tante entre les nièces. Autant Anna et Caroline sont élogieuses à son sujet, pleines d’affection et de reconnaissance, autant Fanny est mesquine et critique, trahissant là d’une manière impardonnable celle qui l’aimait tant.

Un recueil très émouvant à lire sans hésitation si on est fan de Jane Austen, qui apporte un éclairage passionnant sur la façon dont elle construisait ses romans et qui fournit des clés pour comprendre quels étaient ses principes de vie. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit restée célibataire !

mercredi 8 novembre 2017

Les histoires de Franz

Les histoires de Franz – Martin Winckler

Éditions P.O.L (2017)

J’ai emprunté ce livre de Martin Winckler à la médiathèque parce qu’il était sur la table des nouveautés. De l’auteur, je n’ai lu que La maladie de Sachs, qui m’avait emballée !

Ces histoires de Franz, je n’en savais rien. Même pas qu’il faisait suite au précédent roman Abraham et fils paru en 2016, à propos duquel je n’avais rien lu non plus. Quand j’ai appris cela dans l’avertissement en début d’ouvrage, je me suis demandée s’il ne fallait pas rendre ce livre tout de suite et emprunter le précédent pour reprendre l’histoire dans l’ordre. Mais comme j’avais attendu celui-ci plusieurs semaines, j’ai commencé ma lecture et j’ai bien fait, d’autant que de fréquents retours dans le temps permettent de resituer la chronologie des évènements qui sont relatés dans le premier.

Je ne tenterai pas de résumer ce gros livre de plus de 500 pages. Ce serait trop difficile et ça dévoilerait trop de choses dont je veux laisser le plaisir de la découverte aux futurs lecteurs qui passeraient par ici.
Pour situer le cadre, je dirai juste qu’il s’agit d’une famille recomposée, les Farkas. Il y a Abraham, médecin, et son fils, Franz, celui du titre. La mère est morte très jeune en Algérie, pendant les évènements, victime d’un attentat, après lequel Franz lui-même est resté longtemps dans le coma. Après un séjour aux États-Unis, Abraham et son fils sont venus s’établir dans le Loiret et le médecin a engagé une assistante, Claire Delisse, veuve elle aussi, avec une fille, Luciane, plus âgée que Franz. Plus tard, Abraham et Claire se sont mariés, recréant ainsi une cellule familiale aimante et harmonieuse. Parce que Franz, devenu adolescent, postule pour aller vivre dans une famille aux États-Unis et y poursuivre ses études, il doit se présenter dans une lettre qu’il adresse à l’organisme chargé des sélections et fournir des témoignages et des recommandations. C’est le point de départ de ce roman, où se succèdent les voix de Franz, d’Abraham, de Claire, de Luciane et d’autres encore, qui racontent la vie, l’Histoire et en particulier les combats féministes des années 60-70, l’accès à la contraception et à l’avortement, et la façon dont ces luttes se vivent au quotidien pour un médecin engagé.

J’ai trouvé ce livre passionnant, original dans sa forme car il alterne de nombreux types de narration, et très humain, ce qui ne m’a pas surprise de la part de Martin Winckler. Maintenant, je n’ai plus qu’une envie, c’est de lire Abraham et fils, et qu’une impatience, c’est que la suite, Franz en Amérique, soit publiée !