vendredi 30 novembre 2012

Toxic Blues

Toxic Blues - Ken Bruen
Série noire Gallimard (2005)
Traduit de l'anglais par Catherine Cheval et Marie Ploux



A la fin de Délirium Tremens, Jack Taylor quittait Galway pour aller se réfugier à Londres, se faire un peu oublier et bien décidé à ne plus toucher à l’alcool. Après plusieurs mois d’exil, il revient dans sa ville natale, buveur conscient comme il l’avoue et dépendant à la cocaïne. Il retrouve ses vieux amis, Jeff, tenancier du Nestor’s et Cathy, qui attend un bébé. Première soirée à Galway, première fiesta et première gueule de bois le lendemain, les habitudes sont vite reprises. Jack fait la connaissance de Sweeper, un tinker (c’est ainsi que sont appelés les gitans en Irlande), qui lui confie une mission : découvrir qui tue les tinkers, quatre hommes en six mois. La police locale, toujours dirigée par le surintendant Clancy, ne fait rien, prétextant qu’il s’agit de règlements de compte internes. Jack accepte et vient emménager dans une maison que lui prête Sweeper. Très vite, Jack a son idée sur le tueur, un travailleur social assez atypique et désagréable, mais pas de preuves. Il va falloir en trouver.

Comme dans Délirium Tremens, on ne peut pas dire que Jack dépense beaucoup d’énergie à résoudre les énigmes dont il est censé s’occuper. Et quand il se met de tête de partir en quête de renseignements, dans les bars de préférence, il se retrouve rapidement dans un état comateux qui ne favorise pas la réflexion. Heureusement, Jack a de bons copains qui lui viennent en aide et démêlent pour lui les fils de l’écheveau, pas toujours les bons d’ailleurs. Et puis, sous son blouson de cuir défraichi, Jack a le cœur tendre, incapable de résister à une femme amoureuse et il se laisse embarquer dans des histoires sentimentales, sans illusion et sans désir de s’impliquer vraiment.

C’est très noir, encore une fois, mais la peinture de la société irlandaise est féroce et ne ménage personne, pas plus les locaux que les quelques anglais qui trainent dans Galway. Seules les figures féminines de Cathy et de Laura apportent un peu de fraîcheur dans cette histoire glauque et désespérée. 
J’ai bien aimé les multiples références musicales et littéraires qui ponctuent les chapitres et animent les pages. Il faudrait se concocter une playlist à écouter pendant la lecture, au risque de sombrer dans la dépression !  A déguster avec parcimonie.

A retrouver chez emiLie, Yv et Kathel, par exemple.
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dimanche 18 novembre 2012

Pour seul cortège


Pour seul cortègeLaurent Gaudé 
Actes Sud (2012 )


A Babylone, Alexandre se meurt, terrassé par la fièvre. Il a envoyé chercher Dryptéis, la veuve d’un de ses compagnons d’armes qui vit recluse dans un temple éloigné, parmi des prêtres, avec son enfant dont personne ne connait l’existence. A regret, elle laisse son fils à la garde d’une servante et part vers Babylone. 
Un autre guerrier, Érycléops, de retour d’une mission qu’Alexandre lui avait confiée aux confins de l’Inde, se dirige aussi vers la grande cité, impatient de retrouver son maître. Mais il arrive presque trop tard. Alexandre aura juste le temps de poser les yeux sur lui avant de sombrer dans la mort. 
Commencent alors les luttes d’influence entre les anciens généraux d’Alexandre, pour la prise du pouvoir. Certains ont compris que seuls vaincront ceux qui auront le corps du défunt. Un cortège immense se met alors en route pour escorter Alexandre vers sa dernière demeure. Craignant pour sa vie, Dryptéis suit l’injonction d’Héphaistion, son défunt mari , de toujours rester sous la protection d’Alexandre. Dissimulée sous un voile rouge, elle se joint aux pleureuses qui accompagnent la dépouille pour une marche qui va durer des semaines.


Dans ce récit épique et tragique, plusieurs voix s’intercalent avec celle du narrateur, pour composer un roman parfait, si on considère le style, la langue, et même l’histoire qui nous est contée.  Mais, pour moi, l’ensemble est trop parfait dans la forme, l’exercice de style masque l’émotion pendant une grande partie du livre. Heureusement, au fur et à mesure que le personnage de Dryptéis prend de l’importance, le récit s’humanise, quand le sentiment maternel lui donne tous les courages. Alors surgit l’empathie qui manquait tant au début et le sort d’Alexandre devient secondaire. Seule compte alors cette mère aimante et déterminée à protéger son enfant et à tout faire pour le retrouver, même si elle peut seulement l'observer de loin.

J’ai donc un avis mitigé sur ce livre, que j’ai lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire 2012 organisés par PriceMinister, que je remercie pour cet envoi. 


Puisque la règle est d’attribuer une note à ce roman, je donne un 13/20, bien que je n'ai pas l'habitude de noter mes lectures.

Pour d'autres avis, voici les billets de Noann, Claudia, Dédale sur Biblioblog, Gambadou, Kathel, Miss Bouquinaix et plus encore sur Babelio.

La fiche du livre sur le site d'Actes Sud, pour un extrait et des compléments audiovisuels.

Dans l'extrait que je choisis ci-dessous, c'est  Érycléops qui s'exprime, alors qu'il revient vers Babylone (page 56).
Ton état empire de jour en jour, Alexandre, mais tu m'entends, n'est-ce pas ? Chasse la fièvre de tes yeux, regarde-moi un instant. Je vais te dire ce qu'il s'est passé dans la salle du palais de Pâtalipoutra. Dhana Nanda t'a répondu, Alexandre. Écoute. Lorsque j'ai transmis ton message, il s'est levé de son trône. La salle a fait silence. Il ne me quittait pas des yeux. Était-ce moi qu'il voyait ou était-il en train d'imaginer, à travers moi, ce à quoi tu ressemblais ? Je ne sais pas. Il était calme. C'est un homme aux traits purs. J'ai vu la ferveur des guerriers à ses côtés et je l'ai reconnue, c'est la même que celle qui nous portait lorsque nous t'escortions dans la bataille. Je l'ai regardé et j'ai compris comment tout allait finir, Alexandre. 

lundi 12 novembre 2012

Plage


PlageMarie Sizun
Arléa (2010)
  
Dimanche 26 juillet  sur une plage de Finistère : Premier jour de vacances pour Anne, une jeune femme trentenaire, qui vient de s’installer, seule, à l’hôtel de la Plage. Elle doit patienter  sept jours avant l’arrivée de François, l’homme qu’elle aime, il viendra la rejoindre après quelques jours de vacances avec sa femme et ses enfants. 
En attendant, elle passe ses journées à la plage et observe ses voisins. A l’hôtel, elle résiste à la sollicitude de Mme Quéméneur, la directrice de l’établissement, qu’elle perçoit comme intrusive. Elle préfère profiter de sa solitude pour s’adresser à son amant absent, raconter son enfance et ses relations avec ses parents, revivre leur rencontre,  décortiquer leur relation, l’imaginer loin d’elle et se projeter dans les quelques jours qu’ils passeront ensemble.
Elle puise son espoir dans les appels téléphoniques qu’elle reçoit les premiers jours puis, dès le mardi, plus de nouvelles, elle ne peut que subir l’absence et ressasser sa frustration. Après quelques jours de repli sur soi, elle lie connaissance avec une jeune mère et ses enfants, qu’elle avait observées, et  découvre que le monde est petit : en effet, la jeune femme connait François et Anne va petit à petit comprendre beaucoup de choses.

C’est le premier livre de Marie Sizun que je lis et j’ai beaucoup apprécié sa plume. J’ai craint par moment que l’histoire ne soit qu’un nouveau Backstreet, tant Anne est indulgente envers le silence de son ami et se contente de sa situation. Mais la solitude lui donne le temps de réfléchir et de prendre conscience de sa situation. Après quelques heures de désarroi, elle se ressaisit et sa rencontre avec la jeune femme de la plage va déterminer un autre futur, apportant une note d’optimisme à cette histoire qui aurait pu devenir déprimante.
J’ai aussi beaucoup aimé les descriptions des usagers de la plage, qu’Anne regarde et écoute en catimini, cherchant à découvrir qui ils sont, prenant prétexte des conflits qu’elle imagine dans les couples mal assortis pour savourer sa vie à elle et ses relations avec François. Avec Anne Sizun, j’ai vraiment retrouvé l’ambiance des plages de mon enfance,  quel que soit le temps, quand on profite des rayons du soleil ou qu’on se calfeutre sous des cabanes de parasols lorsque le temps se gâte. C’était aussi dans le Finistère, est-ce un hasard ?

Les avis de Sylire et de Clara.

Un extrait (page 63) :
Je n’ai pas d’amie. Tu t’en es déjà étonné. Tu ne comprends pas. Pourtant, c’est ainsi : je n’ai jamais eu d’amie, ni quand j’étais enfant, ni à présent. A l’école, au lycée, on m’aimait bien, sans plus. J’étais ailleurs. Sur les photos de classe, on ne me voit pas. Une petite fille effacée, floue. Et plus tard, à l’université, je crois que c’est moi qui ne voyais personne : je passais, en étrangère. Je me trouvais bien comme ça. J’avais besoin de cette distance, de cette liberté. J’ai bien eu deux ou trois histoires amoureuses, pour voir, par acquit de conscience : des aventures dirait ma mère dans son langage fleuri ; aventures si peu aventureuses qu’elles sentaient l’ennui dès le début. Je t’ai raconté. Tout ça n’avait aucune importance.