mardi 26 mars 2024

Les Enfants endormis

Les Enfants endormis


Les Enfants endormis – Anthony Passeron

Éditions Globe (2022)  


En réponse à une question banale, Anthony Passeron apprend le prénom du frère de son père, cet oncle Désiré dont on ne parle jamais dans la famille. Pourquoi son père est-il allé le chercher un jour à Amsterdam ? Pourquoi cette évocation le contrarie-t-il à ce point ?


Dans la famille, tous ont fait pareil à propos de Désiré. Mon père et mon grand-père n'en parlaient pas. Ma mère interrompait toujours ses explications trop tôt, avec la même formule : « C'est quand même bien malheureux tout ça. » Ma grand-mère, enfin, éludait tout avec des euphémismes à la con, des histoires de cadavres montés au ciel pour observer les vivants depuis là-haut. Chacun à sa manière a confisqué la vérité. Il ne reste aujourd'hui presque plus rien de cette histoire. Mon père a quitté le village, mes grands-parents sont morts. Même le décor s'effondre.
Alors Anthony s'est décidé à écrire ce livre pour qu'il reste quelque chose de son histoire familiale.  

Pour leur montrer que la vie de Désiré s'était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et pour les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés.
Ce chaos du monde, c'est l'enfer de la drogue et ses conséquences, c'est à dire le Sida. C'est l'histoire que raconte ce livre, celle d'une famille entrainée par l'un des siens dans la tragédie. Mais pour en rappeler le caractère universel, Anthony Passeron raconte en parallèle l'histoire du Sida, vue de la communauté scientifique et médicale. Pour faire évoluer ses deux récits, il a pris le parti d'en alterner les chapitres et ainsi les deux histoires sont imbriquées, l'une illustrant l'autre. Et ce qui pourrait paraître théorique dans l'une vient aussitôt trouver un aspect très concret dans l'autre.

L'histoire du Sida, nous la connaissons tous, plus ou moins, mais Anthony Passeron la raconte d’une façon très claire, très simple, en rappelant les médecins et les chercheurs qui ont été importants dans les premiers temps et sur le long terme. Grâce à ce récit, on se souvient des noms, ceux qui ont été mis en avant, ceux qui ont été récompensés, ceux qui ne l’ont pas été. On redécouvre les épisodes de l’apparition de la maladie, le travail des équipes françaises et américaines et la compétition qui s'installe, les succès et les échecs, les fausses pistes, les espoirs et le combat toujours d’actualité. Et surtout, on se rappelle les peurs, l’exclusion des malades, les préjugés et la bêtise.

C’est un livre important pour se rappeler ce qu’ont été les années Sida et pour apprécier le chemin parcouru dans la lutte contre la maladie même si on attend toujours un vaccin. La route est encore longue !

J’ai beaucoup apprécié ce livre et l’alternance des deux récits, aussi intéressants et passionnants l’un que l’autre. L’histoire familiale illustre très concrètement un phénomène qui touche l’humanité toute entière et permet d’un ressentir immédiatement les aspects sociologiques et intimes. Une vraie réussite !

 

mercredi 13 mars 2024

La Colère et l'Envie

La Colère et l'Envie - Alice Renard 

Éditions Héloïse d'Ormesson (2023)

Isor est une enfant différente, autiste peut-être, mais le mot n’est jamais prononcé. Elle vit avec ses parents, qui, après de nombreuses errances médicales et scolaires, ont décidé de la garder à la maison et se sont progressivement isolés de tout le reste. Ils ont encore leurs activités professionnelles mais ont adapté leurs horaires pour se relayer auprès de l’enfant. Un jour, alors qu’il y a des travaux chez eux, ils confient la fillette de 13 ans à un voisin, un homme âgé, qui vit seul. Il a été photographe, il adore la musique. Entre lui et l’enfant se noue une relation de confiance et d’amour. Isor passe alors ses journées chez Lucien et s’ouvre petit à petit à la vie. Jusqu’à ce qu’un évènement vienne rompre les habitudes et pousse Isor vers le monde, vers le passé de Lucien.
 

J’ai beaucoup aimé ce livre, construit en trois parties. 

Dans la première, le père et la mère s’expriment tour à tour et racontent leur vie avec Isor, le bouleversement qu’a amené l’arrivée de cette enfant pas comme les autres chez eux. Les deux parents sont très différents et chacun survit à sa façon. La mère est aimante, surprotectrice, centrée sur son enfant. Le père ne comprend pas sa fille, lui en veut, elle lui fait peur. 

Dans la deuxième partie, c’est Lucien qui raconte sa découverte d’Isor, son irruption chez lui et le progressif apprivoisement qui s’établit entre eux. On perçoit que Lucien a vécu un drame et que la présence d’Isor vient combler un manque. 

Dans la troisième partie, Isor a disparu, Lucien est à l’hôpital. Commence alors le récit d’une libération et d’un envol, au travers des réactions des parents et des nouvelles qu'ils reçoivent de leur fille. Même si l’épopée d’Isor est peu crédible, je l’ai perçue comme un conte, comme le récit d’une aventure initiatique dans laquelle elle s’embarque, comme pour se substituer à Lucien qui n’en a plus les moyens.
 

C’est un premier roman, Alice Renard est toute jeune, née en 2002, elle étudie la littérature médiévale à la Sorbonne. Donc rien à voir avec le sujet de ce livre ! Mais quel talent pour créer un univers, varier les styles, donner la voix à ses personnages et en particulier à Isor. Une histoire très forte et très maitrisée.
 

J’ai découvert ce livre car il fait partie de la sélection du prix Libraires en Seine 2024 et cette année, pour la première fois, j’ai décidé de lire toute la sélection, en alternant les achats et les emprunts en bibliothèque. Ce qui m’y a incitée, c’est que j’ai déjà lu un des titres proposés, Eden, que j’avais aussi beaucoup aimé. J'ai depuis lu un des autres livres en lice et il est très bien aussi. Le choix va être difficile !