samedi 31 octobre 2020

Elle a menti pour les ailes

Elle a menti pour les ailes – Francesca Serra

Éditions Anne Carrière (2020)
 

Lorsque j’ai découvert ce livre dans la liste des ouvrages proposés par Babelio pour l'opération Masse Critique de la rentrée, je n’ai pas hésité à le choisir. Ce roman venait d’obtenir le prix littéraire du journal Le Monde, alors j’étais très confiante et ravie d’en faire ma première lecture de la rentrée littéraire automne 2020.
 

Malheureusement, je n’ai pas réussi à entrer dans cette histoire. Quand je lis les critiques élogieuses à son propos sur Babelio, je m’aperçois que ce qui a plu à certains et certaines est ce qui m’a rebuté. Qualifié d’inclassable parce qu’il est à la fois un thriller et une chronique adolescente, c’est cette ambiguïté qui m’a agacée, j’ai eu l’impression que l’auteure n’arrivait pas à décider à qui elle s’adressait.
 

Je me rends compte que j’ai manqué de patience pour suivre les démêlés de ces adolescents, dont les échanges sur les réseaux sociaux sont trop détaillés à mon goût. Même si le sujet du harcèlement m’intéresse fortement, il est ici beaucoup trop dilué et je n’ai pas réussi à mettre mon agacement de côté pour savoir ce qui était arrivé à Garance, dont on apprend très vite la disparition. Si c’était un moyen d’attiser la curiosité du lecteur, avec moi ça n’a malheureusement pas fonctionné. Dommage, je n’aime pas abandonner un livre en cours de route mais là, j’ai déclaré forfait à la page 177. Un seul regret, ne pas savoir ce que veut dire le titre, bien énigmatique, du roman.
 

Merci à Babelio et aux éditions Anne Carrière pour l’envoi gracieux de ce livre.

lundi 26 octobre 2020

Les brumes de l'apparence

 

Les brumes de l’apparence – Frédérique Deghelt

Actes Sud (2014)
 

Gabrielle, parisienne à l’approche de la quarantaine, directrice d’une agence d’évènementiel, mariée à un chirurgien esthétique et mère d’un adolescent en terminale, est contactée par un notaire de province car elle a hérité d’un terrain et d’une maison dont elle ignore tout. Pour elle qui a vécu aux États-Unis, qui se sent citadine jusqu’au bout des ongles, se rendre dans un trou perdu en pleine campagne pour signer des papiers est complètement exotique et inattendu. Chez le notaire, elle découvre qu’il s’agit en fait d’une masure délabrée, abandonnée en pleine forêt. Elle fait la connaissance de sa tante, Francesca, dont elle ignorait l’existence et qui vit toujours dans le village. C’est une vieille femme, bienveillante et bizarre, qui a rencontré Gabrielle quand elle était enfant.
L’agent immobilier avec lequel elle a pris contact, semble sceptique sur la possibilité de vendre rapidement la forêt des Brumes. Chez l’épicière du village, Gabrielle apprend que l’endroit a mauvaise réputation dans la région, les locaux l’ont surnommé la terre des Sorcières parce qu’elle appartenait à une famille de guérisseurs. La mère de Francesca barrait le feu et soulageait les maux de ses patients par imposition des mains. La tante Francesca, elle, prédisait l’avenir et soignait par les plantes.
Contrainte de dormir sur place dans la masure, Gabrielle passe une nuit étrange :  plongée dans des sensations inhabituelles, elle fait un rêve très bizarre, au cours duquel elle se retrouve sur les lieux d’un accident de la route et porte assistance aux blessés. Le lendemain, sur la route du retour, confrontée dans la réalité à la même situation que dans son rêve, Gabrielle prend conscience de ses pouvoirs de médium, lorsqu’elle aide les mourants dans leurs derniers instants et lorsqu’elle calme les douleurs des blessés. Revenue à Paris, très troublée par ce qu’elle a vécu, elle se demande à qui de son entourage elle va pouvoir parler de ce qui lui est arrivé.

 

Je ne suis pas du tout adepte de sciences occultes et pourtant, j’ai beaucoup aimé ce livre. L’auteur introduit petit à petit des phénomènes mystérieux auxquels est confrontée Gabrielle, une femme très moderne et très cartésienne. Lorsque des évènements bizarres se produisent, elle ne peut faire autrement que d’observer ce qui se passe, d’accepter ses sensations et de suivre son instinct. Elle est consciente de l’anormalité de ce qui lui arrive mais sait que ça lui arrive réellement. Elle réalise alors que toute sa vie est basée sur une certaine superficialité et qu’elle ne peut même pas partager ce qu’elle a découvert avec la plupart de ses proches, en particulier son mari. 

C’est cet aspect du roman qui m’a le plus intéressée. J’ai lu sans chercher à les juger les situations paranormales qui sont racontées, sans me demander si c’était crédible ou pas, sans vouloir entrer dans un débat. La plume de Frédérique Deghelt est très agréable, le personnage de Gabrielle est attachant, ses interrogations à l’aube de la quarantaine sont légitimes, c’est juste la cause de sa remise en question qui est inhabituelle mais il faut se laisser emporter par la narration et laisser ses préjugés de côté. C’est ce que j’ai fait et je ne le regrette pas !

Extrait page 165 :

(…) Comment raconter à mes proches que ma tante m’a clairement parlé depuis sa mort, ou que son parfum de jasmin se manifeste régulièrement à bon escient ? Comme il m’est tout aussi impossible d’oublier que j’ai accompagné des gens juste après leur accident, que j’ai senti des fluides, des courants d’air chaud et froid, des présences qui se tenaient autour de moi, avec une sensation de plénitude extraordinaire, dans un lieu où le spectacle que j’avais sous les yeux aurait dû m’inciter à pleurer, à fuir ou à tomber dans les pommes.

Une interview de l'auteure à propos de ce livre.

jeudi 1 octobre 2020

L'enfant des ténébres

 

L'enfant des ténèbres - Anne-Marie Garat

Actes Sud (2008)

Ce deuxième tome de la trilogie d’Anne-Marie Garat, commencée avec Dans la main du diable, nous emmène en septembre 1933, presque vingt ans après que nous avons laissé Gabrielle et Millie en route vers les États-Unis. Je m’attendais à retrouver les personnages du premier roman, à apprendre d’emblée ce qu’ils étaient devenus pendant le conflit de 14-18 et dans l’après-guerre.  J’ai donc été assez désarçonnée par le début de ce roman. 

Certes, on y retrouve des figures connues mais elles n’avaient que des rôles secondaires dans le premier tome. Mais après tout, n’était-ce pas ce qui m’y avait plu, ce talent de l’auteure pour donner leur place aux personnages secondaires dans l'histoire, pour les faire exister au côté des héros et des héroïnes. J’avais d’ailleurs choisi un extrait qui se présentait presque comme un manifeste du rôle secondaire.
 

Dès les premières pages, apparaissent donc Élise, que l’on appelait Sassette au Mesnil, Simon Lewenthal le directeur des usines B&G, Pauline la petite-fille des Victor, Camille, la petite Millie devenue adulte, tout juste revenue incognito des États-Unis. Mais il n’est question que de ce qui les préoccupe en cette année 1933. Il faudra patienter avant de se raccorder aux évènements d’avant-guerre, avant de retrouver Gabrielle et Pierre, de démêler ce qui leur est arrivé parce que ce n’est plus le sujet d’Anne-Marie Garat dans ce roman.


Dans la main du diable nous faisait percevoir l’arrivée de la première guerre mondiale. Ici c’est à la montée du nazisme que nous assistons, aux prémices des bouleversements qui vont affecter l'Europe, que certains ne perçoivent pas mais que d’autres, attentifs et informés, voient approcher et auxquels ils se préparent.
 

Extrait page 367 :

[…] On se réveille un matin, son journal quotidien disparu. Au travail, un collègue manque, et dans la rue des boutiques se ferment. Un autre jour, on trouve la liste affichée du personnel prohibé ; on regarde l’appariteur de la faculté la piquer au tableau. Le médecin de famille n’a plus le droit de vous soigner, n’a plus le droit de prendre l’autobus, d’écouter la radio, de sortir le soir ; le lendemain, la crémière vous reproche, à mots à peine couverts, de ne pas avoir levé le bras au passage d’un camion de SA dans la rue, et dans le square les enfants, deux par deux, accompagnés de leur instituteur, chantent en chœur la mort des juifs, de leur voix cristalline. Il aurait fallu un singulier aveuglement pour ne pas recouper les informations fragmentaires mais convergentes : de l’autre côté du Rhin avait lieu une révolution inédite et criminelle, Pierre et elle en étaient effarés. À leur arrivée en France, ils étaient encore mal informés, mais le séjour à Löchen, cette année assombri, la lecture de la presse, les bruits qui couraient les avaient vite dessillés, et cela revenait de loin, l’angoisse diffuse d’un monde basculant dans la folie, son horizon de colère, l’étrange lumière de soufre qui irradie de quelque incendie lointain, tout l’escadron cabré de haine amassant ses troupeaux de nuages livides, qu’une tornade souffle et répand d’un seul instant dans la totalité du ciel. On se réveille un matin dans le bruit du tocsin, les cloches sonnent à toute volée, il est trop tard, trop tard… […]

Comme dans le premier épisode, c’est un roman multiple que propose Anne-Marie Garat : espionnage, Histoire, sociologie, thriller, roman d’amour, roman d’aventure, tous ces aspects se succèdent et s’entremêlent sur près de 650 pages, rythmés comme dans un feuilleton. Encore un pavé où l’on se perd, où l’on est porté par le style inimitable de l’auteure. Toujours ces longues descriptions, ces digressions jamais inutiles car, même si on ne comprend pas toujours leur raison au moment où on les lit, leur signification apparait plus tard. D’ailleurs, ce roman à peine terminé, je l’ai recommencé pour remettre d’aplomb dans ma tête tous ces fils narratifs qui tissent une histoire complexe et passionnante. 

Et puis, je voulais tenter d'identifier cet enfant des ténèbres, que j'ai cru, plusieurs fois, trouver dans ces pages. L'auteure, elle-même, le désigne, une fois. Mais, pour moi, cet enfant est multiple dans cette histoire, presque universel mais il reste encore une énigme, que peut-être une troisième lecture permettrait de sortir du roman. C'est dire combien ce livre recèle de richesse et de mystère !
 

Maintenant, j’ai hâte de plonger dans le troisième tome, Pense à demain, 720 pages chez Actes Sud. Mais je vais attendre quelques semaines, choisir entre-temps des lectures d’un abord plus facile, pour me reposer un peu, pour laisser décanter mes impressions avant la prochaine étape !