dimanche 25 août 2019

La fille qui brûle

La fille qui brûle – Claire Messud

Gallimard (2018)
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon


Royston, Massachussetts. Julia et Cassie se connaissent depuis l’école maternelle. Cassie Burns vit seule avec sa mère, Bev, dans une petite maison à la lisière de la forêt. Julia habite avec ses parents, une journaliste free-lance et un dentiste. Deux amies qui passent leurs journées ensemble, qui s’inventent des histoires comme tous les enfants. Ensemble, elles transgressent les règles édictées par les parents, surtout par la mère de Cassie, qui voue à sa fille un amour surprotecteur et exclusif. Elles se baignent dans la carrière désaffectée alors que c’est interdit, elles pénètrent dans un vieil asile abandonné et s’y recréent un monde imaginaire. Et puis, l’univers familial de Cassie est bouleversé par la rencontre de sa mère avec un homme qui vient s’installer chez elles et qui se met à imposer des règles de vie très contraignantes. La rentrée au collège vient également perturber la relation des deux amies, elles ne sont plus dans la même classe, elles ne se comprennent plus et s’éloignent l’une de l’autre.

Dans ce livre, c’est Julia qui parle. Dès le premier paragraphe, on sait que Cassie est partie, qu’elle et sa mère ont quitté la région. Pour Julia, la vie n’est plus comme avant et ne pourra plus l’être. Alors elle raconte cette amitié qui durait depuis l’enfance, cette relation entre elle et Cassie, elles étaient presque siamoises même si elles étaient physiquement très différentes. Et puis, en classe de cinquième, tout a changé, Julia a senti que Cassie s’éloignait, elle a tenté de maintenir le lien mais insidieusement il s’est rompu. Par la suite, ce que Julia a su de Cassie, c’est de la bouche de Peter qu’elle l’a appris, un garçon qu’elle aime depuis l’enfance mais qui lui a un temps préféré Cassie, plus mystérieuse, plus attirante par sa fragilité et ses blessures. Plus tard enfin, lors d’une disparition de Cassie, c’est Julia qui saura la retrouver, sans parvenir néanmoins à sauver leur amitié.

Un roman plein de charme au rythme un peu lent parfois. Je ne connaissais pas l’auteur, Claire Messud, que j’ai pu entendre à propos de ce livre dans l’émission L’humeur vagabonde de Kathleen Evin sur France-Inter. Une rencontre à écouter ici.

Le début :
On pourrait penser que ça ne me tracasse plus. Il y a longtemps que les Burns ont déménagé. Deux ans se sont écoulés. Mais je ne peux toujours pas m’étendre au soleil sur les rochers au bord de la carrière, ni tremper mes doigts de pied dans l’eau froide et limpide, ni entendre les autres filles chanter sans avoir conscience que Cassie n’est plus là. Alors je dirais bien quelque chose – mais ce n’est pas possible, voyez-vous. C’est comme si elle n’avait jamais existé.


D'autres avis chez Marjo, chez Agathe et chez Shangols.

jeudi 22 août 2019

Quelle n'est pas joie

Quelle n’est pas ma joie – Jens Christian Grøndahl

Gallimard (2018) – Collection du monde entier
Traduit du danois par Alain Gnaedig


Ellinor, soixante-dix ans, vient d’enterrer Georg, son mari. Elle décide de vendre la maison où ils ont vécu, dans la banlieue chic de Copenhague, et suscite l’incompréhension de son entourage parce qu’elle choisit d’aller s’installer à Vesterbro, le quartier défavorisé de son enfance.
Dans un long monologue adressé à Anna, la première épouse de Georg, elle parle à celle qui fut son amie et qui est morte, engloutie avec Henning, le mari d’Ellinor, dans une avalanche alors qu’ils étaient tous les quatre en vacances dans les Dolomites. Issue d’un milieu social très différent de celui d’Anna, Ellinor, qui n’a pas connu son père et qui a vécu dans la pauvreté, était très admirative de la jeune femme, éblouie par la joie de vivre de la jeune mère de famille à qui tout semblait réussir. À la mort d’Anna, Ellinor, dont le corps du mari n’a jamais été retrouvé, a secondé Georg pour élever les deux garçons qu’il avait eus avec Anna. Les années ont passé et les deux veufs ont fini par se marier, sans que jamais Ellinor n’évoque ses origines, le secret qu’elle a toujours tu.


C’est une vie vécue à la place d’une autre qui se raconte dans les pages de ce beau roman et c’est une femme qui n’a jamais osée être elle-même qui parle. Une femme qui a intériorisé la honte de sa mère, l’enfance sans figure paternelle, le chagrin de ne pouvoir donner la vie, la douleur de la disparition de son premier mari. C’est le moment de tout remettre à plat, même si elle sait qu’il reste des questions sans réponse puisque Anna, Henning et Georg, les seuls qui savaient, ont disparu pour toujours. Parler à Anna lui fait du bien, la libère, on la sent prête à prendre les rênes et à décider enfin de son sort pour les années qui lui restent.

C’est la première fois que je lis un roman de Jens Christian Grøndahl et j’ai beaucoup apprécié sa plume. Il donne la parole à une femme avec beaucoup de justesse. Au cours de ma lecture, jamais je n’ai trouvé d’incongruité, jamais je ne me suis dit que son propos était celui d’un homme et qu’une femme ne s’exprimerait pas comme cela.

Un livre fort et émouvant, dont l’ambiance tranche complètement avec l’illustration de la couverture.

Le début :
Voilà, ton mari est mort lui aussi, Anna. Ton mari, notre mari. J’aurais aimé qu’il repose à côté de toi, mais tu avais déjà des voisins, un avocat et une dame qui a été enterrée il y a deux ans. L’avocat était là depuis longtemps quand tu es arrivée. J’ai trouvé une concession libre pour Georg dans la rangée suivante. De ta tombe, on peut voir l’arrière de la sienne. J’ai opté pour du calcaire, même si le monsieur des pompes funèbres m’a dit que c’était sensible au vent et au mauvais temps. Quelle importance ? Je n’aime pas le granit. Les jumeaux auraient voulu du granit, pour une fois ils étaient d’accord. Le granit, c’est trop lourd, et notre Georg s’est plaint d’une douleur à la poitrine. Nous aurions dû prendre cela plus au sérieux, mais il l’a traitée par le mépris. Il commençait par se plaindre, et quand je partageais son inquiétude, il ignorait tout. Il était comme ça, Georg.

lundi 19 août 2019

4 3 2 1

4 3 2 1 – Paul Auster

Actes Sud (2018)
Traduit de l’américain par Gérard Meudal


Qu’est-ce qui détermine le parcours d’une vie, quelle est la part du hasard et des choix que l’on fait ? C’est ce que j’ai perçu de ce gros roman de Paul Auster, plus de mille pages où il raconte quatre vies de son héros Archie Ferguson, petit-fils d’immigré russe venu de Minsk. Mille pages pour proposer quatre chemins différents selon les évènements qui se déroulent dans l’enfance, selon les choix des parents, au gré des accidents de la vie, en fonction des goûts et des envies du garçon puis de l’adolescent. 

Au côté d’Archie Ferguson, on revisite l’histoire des États-Unis d’après-guerre, le mandat de Kennedy et son assassinat, la lutte des noirs pour les droits civiques, la guerre du Vietnam, la révolte des universités, l’émancipation féminine, des évènements que l’on croit connaitre et qu’on redécouvre différemment, par le regard de quatre personnages, même s’il s’agit toujours de Ferguson.

C’est un livre que j’ai hésité à aborder, à cause de son nombre de pages et en raison de ma crainte d’y être noyée, d’y passer trop de temps, de ne pas m’y retrouver dans ces quatre histoires. Et c’est vrai que ma lecture n’a pas toujours été facile : plusieurs fois, j’ai dû relire quelques pages du précédent chapitre concernant l’un des Ferguson pour me remettre dans son histoire, me souvenir de ce qui lui était arrivé. L’auteur nous facilite un peu la tâche puisque la vie de l’un de ses Ferguson s’achève assez rapidement dans un accident imprévisible raconté d’une façon neutre et sèche qui m’a laissée abasourdie et incrédule jusqu’à ce que je termine le chapitre 3.1, que je tourne la page, que j’arrive au 3.2 et que sur la page suivante, je lise le 3.3. Ainsi, c’était vrai, l’histoire de cet Archie s’était arrêtée. Les autres Archie auront plus de temps pour vivre leur vie mais un seul conclura le roman, celui que j’aurais dû pressentir, celui dont le parcours rappelle beaucoup celui de Paul Auster.

Ce qui peut aussi rebuter, c’est le poids de ce livre, son épaisseur, sa présence physique, 1210 grammes dans mes petites mains, je les ai bien sentis et j’ai souvent préféré lire ce roman posé sur la table en étant assise sur une chaise plutôt que de le tenir devant moi, adossée à l’oreiller de mon lit ou bien lovée dans un fauteuil. J’aurais pu choisir de le lire en version numérique pour éviter cet inconvénient mais je n’ai pas franchi le pas, je préfère encore tourner les pages en papier !

Une belle lecture qui m’a fait renouer avec l’écriture de Paul Auster que je n’avais pas lu depuis assez longtemps et que j’ai eu plaisir à retrouver. Et vous, l’avez-vous lu, ce pavé et qu'en avez-vous pensé ?


Pour prolonger l'expérience vécue avec ce roman, j'ai apprécié les vidéos et les émissions de radio qui lui ont été consacrées, regroupées sur le site d'Acte Sud.