mercredi 17 juin 2020

Ses yeux bleus

Ses yeux bleux – Lisa Hågensen

Traduit du suédois par Rémi Casseigne
Actes Sud (2018) collection actes noirs


Le début : 

Pour quelles raisons Raili s’introduit-elle dans le chalet d’Olofsson, qui s’est noyé dans le lac tout proche, pour chercher de vieilles photos et surtout récupérer de précieux négatifs ? Pourquoi se cache-t-elle lorsqu’elle entend des pas dans la maison, qui craint-elle ? On ne le sait pas mais on comprend vite qu’elle a sans doute raison d’avoir peur lorsque le chalet prend feu et qu’elle doit faire appel à toute son énergie pour réussir à s’en extraire en sautant par une fenêtre à l’étage.

Retour deux mois en arrière : 

Raili Rydell, la quarantaine, bibliothécaire mal dans sa peau, s’apprête à passer tranquillement ses vacances d’été dans son chalet rustique au bord d'un petit lac, en pleine forêt. Elle y retrouve avec plaisir ses voisins, Sara et Anders, un couple à la retraite, très attentionnés envers elle, peut-être parce que Sara la verrait bien nouer une relation avec Staffan, leur fils, séparé de sa femme Louise et père de deux enfants dont il a la garde.
Au cours de son séjour, Raili fait connaissance des autres riverains du lac, ceux qui habitent de l'autre côté. Parmi eux, une famille avec deux jeunes enfants dont la mère est très dépressive. Leur voisin, Yngve Olofsson, est un homme bourru d'une cinquantaine d’années, que Raili prend au début pour un rustre. Puis ils sympathisent, Olofsson lui présente les autres riverains, lui parle de phénomènes étranges qu’il a constatés. Ainsi, il est persuadé qu’il a eu un chien dans le passé mais c’est un souvenir flou et il n’en retrouve pas trace dans ses photos de famille. Et puis, il se demande ce qu’est devenu le troisième enfant de ses voisins, il est sûr qu’il les a vus avec un bébé à un moment donné mais plus aucune trace de sa présence et personne de la famille n’en parle plus.
Raili est elle aussi victime d’hallucinations. Sont-elles dues aux médicaments qui lui ont été prescrits après l’extraction d’une dent cassée ? Ou bien est-ce un esprit qui flotte encore autour des ruines d’une ferme cachée dans les bois où se seraient déroulés des faits de sorcellerie au XVIIème siècle ?
La noyade d’Olofsson, alors qu’il venait de dire à Raili au téléphone qu’il avait découvert quelque chose, lui parait suspecte. Raili se lance à la recherche de la vérité, aidée par sa collègue de la bibliothèque.


Mon avis : 

Un roman qui mélange les genres, un thriller qui emprunte à l’histoire et au surnaturel, les surprises ne manquent pas. En parallèle à l’intrigue contemporaine, une histoire de sorcellerie du XVIIème siècle vient semer le trouble et suggérer une ambiance maléfique qui perdurerait dans la forêt. Voilà de quoi pimenter les péripéties de notre héroïne. La 4ème de couverture évoque une « sorte de délicieux croisement entre Bridget Jones et Hercule Poirot ». Comparaison un peu excessive, sans doute, mais c’est vrai que Raili est gaffeuse, qu’elle a quelques rondeurs, qu’elle aimerait bien se trouver un amoureux, qu’elle est obstinée. Elle se retrouve dans des situations horrifiques, elle risque sa vie à plusieurs reprises mais n’abandonne pas car elle est fidèle en amitié. Alors, lorsqu’il s’agit d’élucider la mort d’Olofsson ou de protéger la vie d’Yvla, elle ne lâche jamais le morceau !

Je crois que c’est la personnalité de l’héroïne qui m’a encouragée dans cette lecture car certaines scènes glauques auraient pu rapidement me mener à l’abandon. Le déroulement de l’enquête de Raili n’est pas toujours fluide, elle part sur de fausses pistes, évidemment, sinon ça n’aurait pas de charme, on se perd parfois dans des détails et des digressions mais c’est une histoire qui se lit assez vite, alors pourquoi pas, si vous êtes fan du genre !

Il semble que ce roman soit le premier d’une trilogie. Je n’ai pas l’impression que les suivants soient encore traduits en français. J’ai bien trouvé d’autres livres de Lisa Hågensen sur Goodreads mais uniquement en suédois, donc je suis bien incapable de vous dire s’il y a la suite de celui-ci parmi eux. Personnellement, je ne suis pas sûre que je lirai la suite lorsqu’elle sera disponible.


L'avis de Dasola qui m'a incitée à sortir ce livre de ma PAL.

C'est un livre que j'avais trouvé dans une des boîtes à livres installées dans ma commune dans quelques anciennes cabines téléphoniques. Si ce livre vous intéresse, dites-le moi dans les commentaires, je peux le faire circuler plutôt que de le remettre dans sa cabine d'origine !

Un extrait sur le site d'Actes Sud.

jeudi 11 juin 2020

Le Ghetto intérieur

Le Ghetto intérieur – Santiago H. Amigorena

P.O.L (2019)

Vincente Rosenberg, ancien capitaine de l’armée polonaise, a émigré en Argentine en 1928. Il s’y est marié, a trois enfants et dirige un magasin de meubles. Sa mère et un de ses frères sont restés à Varsovie, Vincente a mollement envisagé un temps de les faire venir à Buenos-Aires, plus pour faire comme ses amis que par réelle envie de réunir sa famille. 

Au fil des années, Vincente a tout fait pour devenir un vrai Argentin, il a délaissé son identité polonaise, il a oublié qu’il était juif. Il a négligé de répondre aux lettres que sa mère lui envoie régulièrement de Varsovie. Le seul lien qu’il a accepté de garder avec l’Europe, c’est son amour pour la littérature et la poésie allemandes.
 

Mais en 1940, il ne peut plus ignorer les nouvelles de Pologne, il les lit dans les journaux, ses amis en parlent sans arrêt, se félicitant d’avoir fait venir leurs familles à temps. Vincente devient alors plus attentif aux lettres que sa mère continue à lui écrire. Ce qu’elle lui raconte sur la construction du ghetto de Varsovie lui fait prendre conscience de la réalité de la situation. Il commence à ressentir personnellement le danger de la mécanique de destruction engagée par les nazis. Son sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa mère et de son frère envahit progressivement mais totalement son esprit, il redevient petit à petit un juif polonais qui a abandonné les siens, qui a adoré l’Allemagne qui persécute maintenant ses semblables. Tandis que les juifs polonais s’entassent dans le ghetto de Varsovie et y meurent de faim, Vincente s’enfonce dans la honte, dans le silence, dans son ghetto intérieur.

J’avais entendu parler de ce livre dans l’émission Le masque et la plume sur France-Inter, le 20 octobre 2019 et j’avais pressenti qu’il s’agissait d’un livre fort et émouvant. J’étais en dessous de la réalité, cette lecture m’a emmenée au-delà de l’émotion, c’est un vrai choc. Le processus d’extermination des juifs par les nazis est décrit très sèchement mais très précisément, déshumanisé, juste un objectif et des mesures nécessaires pour l’atteindre. On accompagne Vincente dans la progression de sa compréhension des évènements, dans son revirement et dans son enfermement, c’est très puissant, presque dérangeant. Par moment, j’avais envie d’arrêter ma lecture car j’avais l’impression de manquer d’air, d’être moi-même enfermée dans les pages de ce livre.

Une lecture difficile, éprouvante et nécessaire.

Extrait page 22 :
(…) Lorsqu’il était parti de Varsovie, sa mère lui avait fait jurer qu’il lui écrirait une fois par semaine. Mais alors qu’elle, elle n’avait jamais cessé, jusqu’en 1938, de lui envoyer plusieurs lettres par mois, Vincente n’avait tenu sa promesse que pendant la première année qui avait suivi son arrivée à Buenos Aires. 1929, 1930, 1931. Les années passaient et Vincente, à chaque fois qu’il recevait une lettre, maudissait les reproches de sa mère. 1932, 1933, 1934. Puis ces mêmes reproches avaient commencé de l’amuser et, avec Ariel, il s’en était parfois moqué. 1935, 1936, 1937. Puis il les avait reçus avec indifférence. 1938, 1939, 1940. Dire que maintenant, depuis trois déjà, c’est lui qui s’inquiétait de n’avoir pas assez de nouvelles de sa mère…
À propos de ce livre sur le site des éditions P.O.L