jeudi 28 février 2019

Le diable est dans les détails

Le diable est dans les détails – Leïla Slimani

Coédité par le 1 et les éditions de l’Aube (2017)

Court recueil d’une cinquantaine de pages qui regroupe six textes écrits par Leïla Slimani dans le journal Le 1.

Certains de ses écrits font suite aux attentats islamistes qui ont touché la France en janvier et en novembre 2015. Dans le premier, alors qu’on lui a demandé d’écrire en se mettant dans la tête des tueurs de Charlie Hebdo, elle exprime son impossibilité à répondre à la consigne et préfère s’exprimer sur le rôle des écrivains face à la barbarie, prenant pour exemple Salman Rushdie ou Michel Houellebecq. Dans le deuxième, elle crie sa haine des extrémistes et son amour pour Paris et pour la liberté.

Dans d’autres textes, elle utilise la fiction pour mettre en scène la prise de conscience de citoyens ordinaires face à la montée de l’extrémisme, des hommes âgés qui ont la nostalgie de la tolérance et du vivre ensemble qu’ils ont connus dans une société mélangée. Dans un texte plus personnel, elle raconte les Noëls de son enfance, elle dont les grands-parents sont d’origines différentes, son grand-père musulman n’hésitant pas à revêtir la tenue du Père Noël pour la joie des enfants, sans pour cela renier ses convictions.

Et enfin, le dernier texte, Un ailleurs, dans lequel elle raconte la découverte du monde par une fillette grâce à la littérature. Une enfant qui n’a jamais quitté son pays, sa ville ou son village peut-être, mais qui, grâce aux livres que son père lui a proposés, a voyagé en Russie, aux États-Unis, de New York à la côte Ouest, a vécu plusieurs existences à Paris, de la Chine au Brésil, de l’Angleterre au Sahara. En moins de sept pages, Leïla Slimani raconte la magie de la lecture et je m’y suis retrouvée, moi qui ai aussi découvert tant de choses et d’endroits inconnus grâce à mes lectures d’enfance et de jeunesse.

Un texte qui m’a procuré un tel plaisir que je l’ai recopié avant de rendre ce livre à la médiathèque, afin de pouvoir m’y replonger autant que je le voudrais !

Bref, vous l’aurez compris, ce livre est un vrai bijou à ne pas manquer !

mardi 26 février 2019

Dans le faisceau des vivants

Dans le faisceau des vivants – Valérie Zenatti

Éditions de l’Olivier (2019)

Le 1er janvier 2018, lorsque Valérie Zenatti téléphone à Aharon Appefeld pour lui souhaiter une bonne année, elle apprend qu’il a été hospitalisé. Le 3 janvier, les nouvelles de la santé de l’écrivain n’étant pas très bonnes, elle réserve un billet d’avion aller-retour Paris-Tel-Aviv pour le lendemain matin. Hélas, dans le taxi qui l’emmène à l’aéroport de Paris, elle découvre sur son téléphone la mort d’Aharon Appelfeld dans la nuit. Valérie Zenatti est dévastée par l’annonce, elle qui a traduit depuis une quinzaine d’années tous les romans de l’écrivain israélien. Mais c’est surtout un ami qu’elle perd, car malgré leur différence d’âge, une grande amitié s’était installée entre eux. Elle vit les quelques jours qu’elle passe en Israël jusqu’aux obsèques dans la torpeur et la stupéfaction, état dont elle peine à sortir, une fois rentrée à Paris.
Elle plonge alors dans ses souvenirs, elle visionne des interviews d’Aharon Appelfeld, retrace le parcours de l’écrivain à travers son œuvre, cherchant des traces de son existence dans les multiples personnages de ses livres.
Puis, pour suivre le conseil d’une lectrice inconnue rencontrée dans l’aéroport lors de son départ pour Tel-Aviv, elle décide de se rendre en Ukraine, à Czernowitz où est né l’écrivain en 1932, une ville qui se trouvait alors en Roumanie. Elle y arrive le 16 février, jour anniversaire de la naissance d’Aharon. Et là, grâce à ses promenades dans les lieux où a vécu son grand ami, lieux qu’il a décrits dans ses livres et dont il lui a parlé, elle trouve enfin un certain réconfort.


Je n’ai pas lu Aharon Appelfeld mais je n’avais aucune crainte en commençant ce livre de Valérie Zenatti. D’elle, j’avais aimé le roman Jacob, Jacob, j’avais apprécié ses longues phrases et son art de donner vie à ses différents personnages. J’avais confiance en elle pour trouver les mots appropriés pour évoquer son ami, pour raconter une vie marquée par la tragédie et pour donner envie de découvrir son œuvre.

Bien sûr, j’avais raison de lui faire confiance, son livre est magnifique, je regrette juste que ma méconnaissance d’Aharon Appelfeld ne me permette pas d’en appréhender toutes les subtilités que je devine dans ce bel hommage. Mais ce livre ne se limite pas à cela, c'est aussi la description d'une amitié, de ce qui a rapproché deux personnes apparemment si différentes, deux écrivains certes, mais ayant choisi d'écrire l'un en hébreu et l'autre en français.

Quel beau moment de lecture !

Page 40-41 :
Curieusement (un de ses adverbes préférés car qui peut se targuer d'avoir vraiment une explication, de dire précisément pourquoi il a agi ainsi ou pas ?), lorsque j'écris mes propres livres, je vis pendant plusieurs mois avec ceux que l'on appelle mes personnages, ils accomplissent leur travail de transformation intérieure, ils cherchent en moi une raison de vivre en éclairant quelques zones d'ombre sur leur passage et quand le livre est achevé, ils me quittent, laissant derrière eux un sillage d'espoir fragile - d'autres que moi les aimeront peut-être. Tandis que lorsque je traduis ses livres, ses personnages entrent en moi, pas à pas, et une fois la traduction terminée, ils ne me quittent plus, ils font partie de moi.
Page 43 :
Je désire et redoute le prochain livre que je traduirai sans lui, sans pouvoir parler avec lui de son rapport secret avec ses personnages, sans le tenir au courant de ma progression, des sentiments qui me traversent au fil des chapitres jusqu'au point final, où une bénédiction inédite s'élève en moi, particulière à chaque livre, mais qui s'achève chaque fois de la même manière : merci d'être arrivée à ce jour. J'ignore comment ces livres-là imposeront leur présence, quels seront leur résonance et leur effet dans ma vie, et c'est heureux qu'il en soit ainsi, je sais que chacun d'eux sera une découverte de lui, des hommes, de moi.
Merci à Babelio et aux éditions de l'Olivier pour l'envoi gracieux de ce livre dans le cadre de l'opération Masse critique.

D'autres avis chez Sylire et sur Mes échappées livresques.

jeudi 21 février 2019

Pour services rendus

Pour services rendus – Ian Levison

Liana Levi (2018)
Traduit de l’anglais (US) par Fanchita Gonzalez Battle


Mai 1969, Tunnels de Cu Chi, 30 km au nord de Saïgon. Billy Drake arrive pour la première fois en zone de combat au Vietnam, où il se retrouve sous les ordres du sergent Fremantle, un homme énergique et vif, soucieux de ses hommes.
 

Octobre 2016, Michigan. Fremantle, le chef de la police de Kearns reçoit la visite de deux hommes faisant partie de l’équipe du sénateur Wilson Drake, en campagne pour sa réélection.  Le sénateur Drake n’est autre que le jeune Billy que Fremantle a sauvé de la mort autrefois alors qu’il était imprudemment sorti de son abri en pleine nuit pour satisfaire un besoin naturel, Billy la jeune recrue pas très douée, fragile dans un environnement hostile, qui n’espérait qu’une chose, rentrer au pays en bon état. Mais le temps a passé, le sénateur Drake a évoqué son passé de vétéran du Vietnam et a enjolivé son action pour se donner le beau rôle. Malheureusement pour lui, d’anciens soldats de son unité sont encore vivants et se souviennent de ce qui est arrivé. Entre autres, Peterson, qui fut gravement blessé au Vietnam et qui n’a pas supporté de voir les faits transformés par le sénateur. Alors, il a dit ce qu’il pensait dans une vidéo sur YouTube, il a raconté sa vérité et tout de suite la cote de sympathie de Drake a accusé le coup. Très mauvais pour l’élection, tout ça. Aussi, Drake souhaiterait que Fremantle accepte une interview télévisée dans laquelle il témoignerait de façon favorable pour son ancienne recrue, en souvenir du bon vieux temps !

C’est d’abord cette couverture colorée qui m’a attirée à la médiathèque, puis j’ai reconnu le nom de l’auteur d’Arrêtez-moi là que j’avais apprécié. Une phrase sur la quatrième de couverture a achevé de me convaincre d’emprunter ce livre : « Un roman au vitriol, où le mensonge est le nerf de la guerre et de la politique ».

C’est bien vrai, tout y est dans ce livre, la guerre, la politique, le mensonge et le vitriol.

La guerre, c’est celle du Vietnam où Mike Fremantle a effectué deux engagements consécutifs, d’où il est revenu sain et sauf, conscient et fier d’avoir fait son devoir. Sur le terrain, il a été un bon sergent, palliant les lâchetés de son supérieur, il a su mener ses hommes, il en a vu mourir beaucoup, il se souvient de Peterson et de son pied en bouillie au seuil de l’hélicoptère qui l’emmenait.
Dans la vie civile, Fremantle est devenu policier, c’est un bon chef, il soutient ses inspecteurs, il connait leurs faiblesses et n’arrive pas encore à lâcher prise, à soixante-dix ans passés. Il déteste le mensonge, il sait comment le contourner chez les suspects et les amener à sortir les phrases qui permettront l’inculpation. La guerre, il n’en parle jamais, même avec sa femme qui est vietnamienne. Alors, lorsque l’équipe de campagne du sénateur l’embarque dans un avion pour le Nouveau-Mexique, il se laisse faire, ému de revoir Billy Drake et touché que celui-ci se souvienne de lui.
Là, il découvre un nouveau monde, celui de la politique dont il n’a aucune idée, celui où la limite entre mensonge et vérité est très floue, celui où on se laisse facilement emporter à prononcer des phrases au-delà de ses convictions profondes, même si les souvenirs de moments occultés par les années reviennent en force et devraient le freiner.

J’ai vraiment pris plaisir à cette lecture, à la confrontation de ces deux mondes si différents. J’ai particulièrement aimé la critique caustique du monde politique, la main mise des communicants, leur façon d’exploiter les informations et de manipuler les témoins. À partir d’un moment, la vérité n’a plus d’importance, il faut continuer coûte que coûte dans la stratégie que l’on a choisie et mettre les moyens qu’il faut pour dénicher celui qui dira ce qu’il faut. Quant à Fremantle, on ne comprend pas comment il peut accepter de mentir ainsi, lui qui est si attaché à la notion de vérité. Il faut attendre les dernières pages pour enfin avoir la clé de l'énigme.
Un livre attachant à découvrir !