jeudi 17 novembre 2016

Ici et maintenant

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Ici et maintenant – Pablo Casacuberta

Éditions Métailié (2016)
Traduction de François Gaudry


Máximo Seigner, dix-sept ans, vit seul avec sa mère et son jeune frère de neuf ans, Ernesto, qu’il ne nomme jamais que « le nain », avec lequel il ne s’entend absolument pas. Leur père a disparu un beau jour, ce qui leur vaut la présence quasi constante de l’oncle Marcos, avec ses blagues lourdes et répétitives, que Máximo ne supporte pas non plus. Afin de contenter sa mère qui souhaite le voir travailler pendant les vacances scolaires, Máximo se présente à l’hotel Samarcanda qui a publié une offre d’emploi attrayante : Emploi d’avenir pour jeunes gens entre 15 et 20 ans possédant le goût du service, de l’ambition et du temps disponible. Employés de classe internationale pour un hôtel de classe internationale. Contre toute attente, Máximo est engagé, après un entretien un peu surréaliste avec la propriétaire de l’hôtel, Camila Badembauer. Le lendemain, il se présente à l’hôtel pour sa première journée de travail.

Comme beaucoup d’adolescents, Máximo est à la fois agaçant et attendrissant. Peu sûr de lui, solitaire, il s’est constitué une carapace de savoirs, plongé toute la journée dans deux revues scientifiques, qu’il connait par cœur, accumulant les connaissances où il espère trouver des réponses aux questions existentielles qu’il se pose. Il se sent incompris dans sa famille, éprouve une véritable haine pour son frère et du mépris pour son oncle. Il se rappelle avec nostalgie les moments passés avec son père. Lorsqu’il découvre l’annonce de l’hôtel, il est séduit par le caractère international du poste et espère pouvoir mettre à profit ses connaissances. L’aspect de l’hôtel refroidit rapidement son enthousiasme mais sa rencontre avec Mme Badembauer et un geste qu’elle fait à son encontre l’amènent à se projeter dans un avenir prometteur.  Ce qu’il n’imagine pas, c’est comment, en un jour et une nuit, sa vie va basculer de l’enfance à l’âge adulte. Il va découvrir le secret de sa mère, savoir ce qui est arrivé à son père et surtout établir une relation complètement différente avec son frère. Il va aussi devoir faire des choix et les assumer, et se détacher de son univers protecteur.

C’est un roman d’apprentissage très plaisant, le style est vif et dépouillé. Le lecteur suit facilement les pensées de l’adolescent et détecte rapidement ses contradictions. Par de nombreux flashbacks, on en apprend davantage sur la vie familiale et sur les évènements qui ont marqué Máximo, le maintenant enfermé dans un étau de préjugés. Sa journée et sa nuit à l’hôtel vont bouleverser sa vision de la vie. Au matin, sa rencontre avec un vieux libraire va définitivement le pousser à changer ses repères.

J’ai vraiment bien aimé ce livre. Le ton m’a semblé différent de ce que je lis habituellement. Peut-être est-ce parce qu’il s’agit d’un roman écrit par un auteur uruguayen, Pablo Casacuberta, né en 1969. Je connais très peu la littérature sud-américaine. J’ai trouvé ici l’envie d’en découvrir davantage. Peut-être Scipion, l’autre livre de Pablo Casacuberta traduit en français.

Extrait page 19
Je devais essayer de décrocher cet emploi. Mon honneur - disons-le – était en jeu. Sortir le matin avec des vêtements bien repassés pouvait me faire gagner de nombreux points sur le nain : rentrer à la maison fatigué, me mouvoir avec une lenteur épique et demander à ma mère un verre d’eau constitueraient, je voulais le croire, un coup aux effets destructeurs. Il y avait en outre cette précision, employés de classe internationale, qui excitait le côté le plus narcissique de mon caractère, cette mémorisation obsessionnelle des capitales du monde : savoir qu’Oulan-Bator était en Mongolie, que la monnaie de l’Angola était le kwanza, qu’Agostinho Neto avait dirigé la guerre d’indépendance en 1975, et qu’on ne devait plus dire Haute-Volta, autant de détails qui, selon moi, me rendaient beaucoup plus digne d’être considéré comme un employé de classe internationale que, par exemple et sans aller chercher très loin, l’oncle Marcos. (…) 
D'autres avis sur ce livre chez Charybde27, Miscellanées, Clara, et Keisha ainsi qu'une interview de l'auteur sur le site de Télérama.

mercredi 9 novembre 2016

Comment tu parles de ton père

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Comment tu parles de ton père – Joann Sfar

Albin Michel (2016)

Joann Sfar a perdu son père, après avoir assisté à son agonie, sur son lit d’hôpital. Ce livre, c’est son kaddish, celui qu’il n’a pas pu réciter devant la tombe.

En un récit très décousu, il raconte son père, ses grands-parents, sa mère morte à vingt-six ans alors que lui-même en avait trois et demi et dont la mort lui a été longtemps cachée par son père, justement. Il raconte aussi sa propre vie, ses amours plutôt raisonnables, sa difficulté à se détacher du modèle paternel, le havre que représente pour lui le dessin, son territoire réservé.

C’est un livre impossible à résumer, dense comme la vie, riche de l’héritage culturel que l’auteur a reçu des parents qui l’ont précédé.
Joann Sfar se retrouve définitivement orphelin à quarante-trois ans. Ne plus être l’enfant de personne, c’est un cap à franchir, ce peut être une épreuve. Tout le monde y est confronté à un moment donné de sa vie, plus ou moins tôt, dans des conditions très différentes selon la nature des décès. Joann Sfar, qui a toujours admiré son père, a eu le temps de voir la déchéance de celui-ci au cours de sa maladie. C’est aussi cela qu’il faut digérer, accepter et laisser derrière soi pour vivre sa propre vie, enfin libre de toute entrave du passé.

C’est un livre émouvant et sincère mais pas triste. On rit souvent des anecdotes que raconte l'auteur à propos de son père et de lui-même. On imagine sans peine l’enfant que Joann Sfar a été, déchiré par l’absence de sa mère et ébloui par la vie trépidante de son père. C’est un livre très personnel, l’écrire lui a sans doute fait du bien.


Quelques extraits de ce livre :

Au lieu de passer une vie à tenter de prouver que mon père avait tort, j’aurais mieux fait de prendre des notes. Pas pour désespérer, ni de l’amour ni de la nature humaine, mais enfin cela m’aurait aidé à comprendre les lois de l’attraction universelle.
 Je n’écris pas pour qu’on se souvienne de l’agonie. Je souhaite m’en débarrasser.
 Je dois beaucoup à mon père mais le plus grand cadeau qu’il m’a fait a consisté à ne pas savoir dessiner. Merci, papa, d’avoir laissé un espace vierge, dans lequel aujourd’hui encore je m’efforce de grandir.
C'est ma troisième lecture dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2016.

mardi 1 novembre 2016

New York Esquisses nocturnes

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New York Esquisses nocturnes – Molly Prentiss

Calmann-Lévy (2016)
Traduction de l’anglais de Nathalie Bru.


New-York, 1980. James Bennett est un critique d’art, enfin reconnu après des années difficiles. Sa chronique régulière dans le New-York Times est très attendue des lecteurs qui font confiance à son jugement sur les œuvres qu’il faut découvrir. James est doué de synesthésie, c’est-à-dire que ses sensations face aux choses et aux gens se traduisent en couleurs. Ainsi, il se représente sa femme, Marge, directrice artistique d’une agence de publicité, comme une fraise sauvage. C’est ce don de synesthésie qui lui apporte de la matière pour écrire, qui le plonge dans un univers de couleurs face à une œuvre ou un spectacle et qui lui fournit l’énergie nécessaire pour communiquer son enthousiasme à ses lecteurs.
Mais ce don est fragile et James le perd à l’occasion d’un évènement traumatique. Incapable d’écrire la moindre ligne inspirée, il est rejeté du Times, se retrouve entièrement dépendant de Marge et sombre dans la dépression. Alors qu’il s’est résolu à vendre aux enchères un des tableaux de sa collection d’art pour tenter de redresser sa situation financière, son don de synesthésie se réveille brutalement face à l’œuvre d’un artiste encore inconnu, Raul Engales, jeune peintre argentin qui a fui la dictature et qui fréquente le milieu artistique New-Yorkais où il côtoie des gens comme Jean-Michel Basquiat et Keith Haring. James tente alors de rencontrer ce nouveau génie, ce qui va s’avérer difficile, car Raul a été lui aussi victime d’un accident qui met son talent en péril et il refuse tout contact avec quiconque. C’est Lucy, la jeune femme représentée sur le tableau de Raul qui a tant impressionné James, qui va alors établir le lien entre les deux hommes, même si ce n’est pas de la façon la plus propice !


C’est une histoire foisonnante, dans laquelle j’ai eu un peu de mal à entrer. Les tourments de James Bennett, son égocentrisme et sa confusion ne le rendent pas forcément sympathique au début. Ce n’est que lorsqu’il est davantage question de Raul Engales que le roman démarre vraiment, à mon avis.
L’art et le génie créatif ne sont pas les seuls thèmes développés ici, il y a aussi la nostalgie du pays abandonné, le remord que Raul éprouve vis-à-vis de sa sœur restée en Argentine et avec laquelle il a volontairement rompu tout contact. Est évoqué aussi le thème de la filiation, dont James ne ressent l’importance que lorsqu’elle lui échappe.
Face aux deux hommes très centrés sur eux-mêmes et souvent coincés par leurs problèmes, ce sont les femmes qui agissent, qui assurent et qui ramassent les morceaux. Elles s’appellent Franca, Marge, Arlène, Winona et Lucy et ont toutes une place importante dans ce roman de passion et de couleurs.



Merci à PriceMinister et aux éditions Calmann-Lévy qui m’ont offert ce livre dans le cadre des Matchs de la Rentrée littéraire #MRL16.




 Cette lecture me fait aussi avancer dans le challenge 1% de la rentrée littéraire 2016 : 2/6



Ma première rencontre avec ce livre a eu lieu chez Sylire.