jeudi 3 décembre 2020

Encre sympathique

Encre Sympathique - Patrick Modiano

Gallimard (2019) 

C'est un dossier qu'il retrouve par hasard qui lui remet en mémoire une enquête que lui confia le patron de l'agence Hutte. À la demande d'un certain Brainos, il devait rechercher la trace de Noëlle Lefebvre, disparue  soudainement. Seuls indices, une adresse dans le 15ème arrondissement et une carte au nom de la jeune femme, avec sa photo, permettant de retirer son courrier au guichet de la poste restante rue de la Convention. Premières instructions, interroger la concierge de l'immeuble puis passer au bureau de poste, aller s'installer dans un café, s'enquérir auprès du barman s'il avait vu Noëlle Lefebvre récemment et attendre.

 

 

Comme souvent dans les romans de Patrick Modiano, c'est un événement mineur qui sert de point de départ à l'intrigue, un nom, une adresse, une photo. À partir de presque rien, le narrateur plonge dans sa mémoire, ramène à la surface des rencontres avec des personnages qui vont lui fournir par bribes leurs propres souvenirs, chacun amenant sa pierre à l'ouvrage qui se construit au fil du roman.

 

Ici, le narrateur s'appelle Jean Eyben, il a travaillé pour Hutte pendant quelques mois puis à quitté l'agence en emmenant le dossier bleu de l'affaire Noëlle Lefebvre. Trente ans plus tard, en retrouvant le dossier, il se remémore  les quelques moments de sa vie où il a tenté d'en savoir plus sur cette jeune femme disparue, occasions de nous promener à ses côtés dans des décors disparus de Paris, mais aussi dans des souvenirs d'adolescence près du lac d'Annecy. Finalement, un voyage à Rome apportera une perspective nouvelle à son histoire avec Noëlle Lefebvre.

 

La lecture des romans de Patrick Modiano provoque chez moi toujours le même plaisir, inexplicable mais bien réel. Moi qui recherche pourtant dans mes lectures l'occasion d'apprendre quelque chose, sur une époque, sur un secteur d'activité, sur un phénomène de société, sur une culture ou sur l'art, je dois reconnaître que ce n'est pas ce que je trouve chez Modiano. Avec lui, c'est l'émotion qui surgit, la nostalgie de lieux que je n'ai pourtant pas connus, c'est la magie des noms de personnages  qui enclenchent le déroulé des souvenirs du narrateur. Je suis embarquée à chaque fois.

 

J'ai noté cependant quelque chose de nouveau dans ce roman. L'écrivain m'est apparu furtivement sous le narrateur, à quelques reprises, et je ne me souviens pas de cela dans ses autres romans. 

 

Je m'explique : à la page 14, Modiano écrit :

J'ai sorti de ma poche la carte que m'avait confiée Hutte. Aujourd'hui, un siècle plus tard, je me suis arrêté d'écrire un instant à la page 14 du bloc Clairefontaine pour regarder encore cette carte qui fait partie du "dossier".

 

Plus loin, page 101 :

Cette recherche risque de donner l'impression que j'y ai consacré beaucoup de temps - déjà cent pages -, mais ce n'est pas exact.

 

Et même page 63, il nous livre quelques réflexions sur ses recherches sur Internet, ancrant ainsi résolument son travail dans notre époque :

Aujourd'hui, j'entame la soixante-troisième page de ce livre en me disant que l'Internet ne m'est d'aucun secours. Sur celui-ci, pas de trace de Gérard Mourade ni de Roger Behaviour. Selon le navigateur, on compterait quelques Noëlle Lefebvre en France, mais aucune ne correspond à celle qui recevait des lettres à la poste restante.

Tant mieux, car il n'y aurait plus matière à écrire un livre. Il suffirait de recopier des phrases qui apparaissent sur un écran, sans le moindre effort d'imagination.

 

Modiano s'est-il déjà ainsi découvert dans ses précédents romans ? Je ne me rappelle pas l'avoir perçu et j'ai été surprise par ce que j'ai ressenti comme un lâcher-prise de l'auteur, comme un abandon. Rare sensation !


2 commentaires:

  1. Tu m'as donné envie de lire ce livre, ne serait-ce que pour ces incursions de l'auteur repérées... j'adore ça dans un roman. Merci pour ton coup de coeur !

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    1. Contente de t'avoir fait découvrir quelque chose !

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