mardi 23 mai 2023

Disent-ils


Disent-ils – Rachel Cusk

Éditions de l’Olivier (2016)
Traduit de l’anglais par Céline Leroy

Une femme, romancière britannique vient passer quelques jours à Athènes pour animer un atelier d’écriture. D’elle, nous saurons très peu de choses, juste qu’elle est divorcée, mère de deux enfants, qu’elle semble avoir des problèmes d’argent. Et nous connaitrons son prénom, trente pages avant la fin, sans que cela nous ait vraiment manqué.
En revanche, cette femme a un talent extraordinaire pour faire parler les autres, une capacité d’écoute sans pareil puisque tous ses interlocuteurs lui dévoilent leur vie, leurs préoccupations, leurs interrogations. Ces interlocuteurs, ce sont des amis qu’elles retrouvent à Athènes, une ville où elle a déjà séjourné, mais aussi des personnes qu’ils lui présentent à l’occasion d’un repas en commun ; ce sont également les participants de l’atelier qu’elle anime et ce sont aussi des inconnus qu’elle rencontre, comme ce milliardaire avant de se rendre à l’aéroport, ou bien son voisin dans l’avion qui l’invite par la suite pour des sorties en mer sur son bateau, ou encore cette femme qui lui succède dans l’appartement où elle a habité pendant son séjour à Athènes. Chacun a sa propre histoire, ses difficultés, certains s’intéressent à la narratrice et lui posent des questions, c’est ainsi que nous apprendrons quelques bribes de sa vie. D’autres sont trop préoccupés par leur propre situation pour se soucier d’elle.

 

Ça pourrait être terriblement ennuyeux, ces gens qui parlent d’eux, mais ça ne l’est pas. Sans doute parce que leurs expériences nous sont familières, leurs difficultés nous évoquent les nôtres, leur banalité les rend compréhensibles et proches.
 

J’aime beaucoup le style de Rachel Cusk, sans excès, peu démonstratif, presque économe mais très sensible, précis pour donner voix à l’intime dans le récit de chacun des personnages. 

Extraits :
Page 106 :

-    Mais qu’est-ce que tu racontes là, Paniotis ! s’exclama Angeliki. Que tes enfants ont émigré à cause du divorce de leurs parents ? Mon ami, j’ai peur que tu ne te croies un peu trop important. Les enfants partent ou restent selon leurs ambitions : leur vie leur appartient. Je ne sais comment en sommes venus à nous convaincre qu’au moindre mot de travers nous les marquons à vie alors que, évidemment, c’est ridicule, et, de toute façon, pourquoi leur vie devrait-elle être parfaite ? C’est notre propre idée de perfection qui nous tourmente, et elle s’enracine dans nos désirs.

Page 107 :

-    « Les aspects de la vie les plus étouffants, dit Angeliki, sont souvent ceux où nos parents ont projeté leurs propres désirs. Par exemple, on se lance dans notre existence d’épouse et de mère sans se poser de questions, comme si un élément extérieur nous propulsait ; à l’inverse, la créativité d’une femme, ce dont elle doute et qu’elle sacrifie toujours en faveur d’autres choses – alors qu’elle n’imaginerait pas une seconde sacrifier les intérêts de son mari ou de son fils – vient d’elle, d’un élan intérieur. »
À noter : Disent-ils est le premier opus d'une trilogie, qui se poursuit en 2018 avec Transit puis en 2020 avec Kudos.

mercredi 17 mai 2023

Cavalier, passe ton chemin

Cavalier, passe ton chemin - Larry McMurtry

Gallmeister (2021)
Traduit de l'américain par Josette Chicheportiche
Titre original : Horseman, pass by (1961)

Une ferme du Texas, dans les années 1950.
Lonnie, dix-sept ans, y vit en compagnie de ses grands-parents et de Hud, trente-cinq ans, fils issu d'un premier mariage de sa grand-mère. Halmea, la bonne noire, s'occupe de la cuisine et de la maison et deux cow-boys, Jesse et Lonzo, aident le grand-père à s'occuper des bêtes. Peu de distractions dans le coin, le rodéo annuel à Thalia, la ville voisine, est l'évènement majeur de l'année. Lonnie l'attend avec impatience. Mais cette année, une succession d'incidents va bousculer le train-train habituel et bouleverser l'avenir de Lonnie et des siens.

 Dans cette histoire de cow-boy, c'est Lonnie le narrateur.  C'est par ses yeux que le lecteur découvre petit à petit la vie du ranch, ses habitants, les tensions entre les groupes, le travail rude et répétitif, la chaleur et la poussière, la fatigue, les rares moments de répit. 

C'est par son point de vue d'adolescent, naïf et confiant, que l'on perçoit d'abord les évènements qui touchent le ranch. Puis, très vite, on ressent les menaces qui se précisent, à la fois avec la maladie qui touche le troupeau mais aussi avec le comportement violent et imprévisible de Hud. On prend aussi conscience que le monde change, que la vie que le grand-père voudrait transmettre à son petit-fils n'est plus conforme à l'évolution de la société. Lonnie lui-même est partagé entre son amour du ranch et de sa vie au milieu du troupeau et l'attrait des plaisirs de la ville, la compagnie des jeunes de son âge.

C'est un roman rude, les personnages ne sont pas forcément sympathiques, le rythme est assez lent, on sent le drame couver mais il prend du temps à se déclencher. Néanmoins, c'est une histoire que j'ai aimé découvrir, un auteur dont j'ai envie d'explorer l’œuvre plus avant. À suivre donc...

 Extrait page 12 :

Le soir, quand la traite des vaches était terminée et que nous avions fini de manger, nous nous installions sur la véranda, côté est, dans le tardif crépuscule du printemps, pour nous reposer et commenter la journée. Les nuits les plus chaudes, Grand-mère sortait, elle aussi, et se balançait pendant un moment dans le rocking-chair à l'assise en corde, confectionnant parfois des napperons au crochet pour les mettre sur les chaises de la salle à manger. Même Hud pouvait venir s'asseoir quelques minutes sur les marches, brossant ses bottes en daim rouge avant d'aller en ville. Mais bientôt, il partait dans sa Ford décapotable, et Grand-mère avait trop froid et retournait à son poste de radio. Grand-père et moi restions seuls sur la véranda, jusqu'à la fin de la meilleure heure - ce dernier petit moment quand lui et moi regardions un autre jour se transformer en nuit.