vendredi 26 mars 2021

Baudelaire et Jeanne L'amour fou

Baudelaire et Jeanne L’amour fou – Brigitte Kernel 

Éditions Écriture (2021)


Face à une œuvre, je me pose souvent la question : où l’artiste a-t-il trouvé son inspiration ?
 

Dans ce livre de Brigitte Kernel, j’ai trouvé une réponse en ce qui concerne une partie de l’œuvre de Charles Baudelaire, puisque l’ouvrage très documenté permet de découvrir les relations qui ont existé entre le poète et sa muse, Jeanne Duval, celle qui lui a inspiré de nombreux poèmes des Fleurs du Mal.
 

Dans l’avertissement des premières pages, Brigitte Kernel présente son travail, un récit basé sur des faits réels et des passages romancés où elle tente de reconstituer la relation entre le poète et sa muse. Pour marquer la différence entre le réel et ce qui est sorti de son imagination, elle propose un code simple : nommer les protagonistes par leur patronyme quand les faits sont avérés et utiliser leurs prénoms quand l’imagination est à l’œuvre.
 

Un récit qui se lit comme un roman, de nombreux extraits de poèmes viennent appuyer la narration, des extraits de lettres, d’articles illustrent le propos sans l’alourdir. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cette biographie partielle de Baudelaire et surtout à relire des poèmes étudiés au lycée ou entendus ailleurs, dans des chansons par exemple.
Ainsi, les premiers vers du poème Les bijoux :

La très-chère était nue et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

En fin d’ouvrage, les poèmes cités dans le corps du récit sont proposés dans leur intégralité et replacés dans l’œuvre de Baudelaire.
 

Un beau moment de lecture que je dois à l’opération Masse critique de Babelio. Merci à eux et à l’éditeur, Écriture, pour l’envoi gracieux de ce livre.

mercredi 10 mars 2021

La familia grande

La familia grande – Camille Kouchner

Seuil (2021) 

 
D’habitude, je ne précipite pas pour lire ces ouvrages dont tout le monde parle, dont il est question pendant quelques semaines sur tous les médias. J’avais d’ailleurs lu les articles publiés dans le Monde à son propos ainsi que les extraits choisis par le journal et je pensais, à tort, en rester là.
Mais le hasard a mis ce livre à ma portée et je l’ai lu, très vite, car j’ai été happée par la plume de Camille Kouchner et j’ai aussitôt pris conscience qu’il ne s’agissait pas seulement d’une dénonciation de l’inceste. Cette dénonciation, c’est ce qu’en ont retenu les médias lorsqu’ils ont parlé de ce livre dans leurs colonnes, sur leurs ondes et sur leurs écrans.
 

 

Ce que j’en ai perçu, c’est le poids qui pesait sur Camille Kouchner depuis une trentaine d’années, le poids du silence qui lui avaient imposé son frère et son beau-père, la victime et l’abuseur. L’un, parce qu’il avait choisi le silence pour tenter d’oublier, l’autre parce que c’était un moyen de banaliser les agressions dont il était l’auteur et d’imposer sa loi. Silence que se voyait reprocher Camille Kouchner à chaque fois qu’un proche, au fil des années, apprenait l’infâme vérité : pourquoi n’as-tu rien dit ?
 

Dans ce livre, Camille Kouchner raconte l’enfance, son milieu familial à priori privilégié, une famille éclatée, recomposée, agrandie par un cercle d’amis qui se retrouvent tous les étés au bord de la mer. Un environnement de carte postale, une liberté revendiquée, où l’on rejette les carcans bourgeois pour en imposer d’autres, plus modernes et dans l’air du temps. Une famille qui finalement prend peu soin de ses enfants, les laisse vivre des expériences qui ne sont pas de leur âge, où l’émancipation des femmes prend le pas sur la sécurisation des enfants.
 

Elle raconte aussi son mal être, le poids du silence et de la culpabilité, sa stupeur face à la réaction de sa mère quand elle est mise au courant de nombreuses années après les faits. Et on comprend alors comment l’écriture du livre a dû lui faire du bien, pourquoi il fallait qu’elle porte à la connaissance de tout le monde les faits qu’elle avait dû taire si longtemps, parce que c’était sans doute pour elle la seule façon de se sortir de la gangue où elle était engluée.
 

Après ma lecture, j’ai regardé en replay l’émission La Grande Librairie dont Camille Kouchner était l’invitée. Ce qui m’a surpris, c’est qu’au cours de l’entretien, Camille Kouchner a beaucoup utilisé le terme d’emprise pour expliquer ce qui s’était joué dans cette famille, alors qu’elle n’utilise jamais le mot dans son texte. Je me suis demandé si elle n’avait pris conscience de cette emprise qu’après l’avoir écrit, à la faveur d’un livre qu’elle cite dans l’entretien mais que je n’ai, hélas, pas mémorisé.
 

Un lecture coup de poing que je recommande et que je vois comme un moyen de saluer le courage qu’a eu Camille Kouchner. Je perçois la publication de ce livre comme un encouragement à toutes les victimes du silence de parler pour se libérer, quelque soient les raisons du silence qui leur a été imposé.