La télégraphiste de Chopin – Éric Faye
Seuil (2019)
À Prague, en 1995, Ludvík Slaný, journaliste à la télévision, est chargé par son rédacteur en chef, Filip Novák, de réaliser un documentaire sur une femme qui prétend que Frédéric Chopin lui rend régulièrement visite et lui dicte des œuvres inédites. Des experts se sont penchés sur ces morceaux, certains y voient la patte du maître, d’autres crient au plagiat et à la manipulation. En tout cas, l’affaire passionne les foules et une maison d’édition musicale annonce la sortie prochaine d’un disque où un interprète réputé jouera ces œuvres posthumes. La direction de la chaine de télévision a décidé d’éclaircir l’affaire avant la sortie du disque et de prouver qu’il ne s’agit que d’une supercherie.
Voici donc Ludvík Slaný et son cameraman qui passent de longues après-midis chez Věra Foltýnova, une veuve dans la cinquantaine, une femme modeste, tentant de la confondre, de débusquer ses dons de faussaire, de dénoncer la machination. Mais rien dans ces séances ne leur permet de mettre la sincérité de Věra en cause, même s’ils sont eux-mêmes incapables de percevoir la présence de Chopin dans la pièce lorsque Věra retranscrit les partitions sous la dictée du compositeur. Ludvík en vient alors à se faire aider par un détective, Pavel Černý, ancien agent des services secrets. Commence alors une enquête digne de l’époque de la Guerre Froide, avec filatures, écoutes téléphoniques, interception du courrier, fouilles et autres méthodes d’un temps révolu.
Je n’ai encore jamais été déçue par mes lectures d’Éric Faye, et ce roman-ci n’a pas failli, lui non plus. Éric Faye nous décrit un phénomène surnaturel, la visite de Chopin chez une femme sans compétences musicales particulières pour lui dicter des œuvres qu’il aurait composées depuis sa mort et on finit par l’accepter, tellement l’évènement est raconté de façon naturelle et crédible. Enfin, on accepte de croire ce que raconte Věra, elle est si humble, si sincère dans son propos et dans son attitude. Et on compatit aux états d’âme de Ludvík, journaliste scientifique, qui lutte contre l’incroyable mais qui n’arrive pas à trouver de preuves lui permettant d’arriver aux conclusions attendues par sa rédaction.
Ce qui est bien perceptible aussi, c’est la difficulté pour tous dans cet ancien pays du bloc de l’Est de rompre avec les habitudes du passé. On sent la chape de plomb qui pèse encore sur les relations entre les individus en 1995, aussi bien dans l’environnement professionnel que dans la vie de tous les jours. On perçoit les craintes, la paranoïa, la tendance facile à utiliser des méthodes qui ne respectent pas les libertés dès qu’il y a un rouage qui se grippe plutôt que de mettre les problèmes sur la table et d’en parler clairement.
Ce n’est que vingt ans plus tard, alors que sa vie professionnelle aura évolué, qu’il aura connu d’autres horizons, que Ludvík pourra passer la main à une jeune journaliste qui s’intéresse à l’affaire. À elle, il pourra enfin exprimer sincèrement ce qu’il a ressenti, raconter son trouble de l’époque, le dilemme où il se trouvait, les contradictions à résoudre.
Pour ce roman, Éric Faye s’est inspiré de la vie de Rosemary Brown, médium britannique qui prétendait communiquer avec des compositeurs décédés.
Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas adepte de sciences occultes mais je me suis laissée entrainer sans difficulté dans cette histoire surnaturelle. C’est la magie de la lecture ! Et je trouve qu’Éric Faye est très doué pour nous emmener loin de nos habitudes, en douceur et sans sensationnalisme.
N’hésitez pas, laissez-vous surprendre !
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