jeudi 22 février 2018

Deux remords de Claude Monet

Deux remords de Claude Monet - Michel Bernard

La Table Ronde (2016)

Un livre en trois parties qui s'articulent entre quatre tableaux, dont l’histoire et la réalisation concrétisent les liens entre Claude Monet, Camille sa première femme et Frédéric Bazille, autre peintre du mouvement impressionniste, mort trop tôt sous les balles des Prussiens dans les combats de 1870.









Frédéric Bazille, géant d’un mètre quatre-vingt-douze, figure allongé dans le tableau Le déjeuner sur l’herbe de Monet, que l'on a pu admirer à la fondation Vuitton lors de l'exposition de la collection Chtchoukine.




Frédéric Bazille prêta à Monet la robe verte dans laquelle il peignit Camille dans La femme à la robe verte, avant qu’elle ne soit son modèle favori dans de nombreuses œuvres et qu’elle ne devienne sa femme et la mère de ses deux fils. 

 




Camille est représentée à trois reprises dans le tableau Femmes au jardin, que Frédéric Bazille acheta pour soutenir un Monet désargenté et qu’il offrit à sa famille à Montpellier.











On devine à peine le visage de Camille sous les voiles blancs et les fleurs délicates lorsque Monet la peint sur son lit de mort.
 À la fin de sa vie, Claude Monet offrira ses Nymphéas à l’état français à condition que soit racheté le tableau Femmes au jardin et qu’il soit exposé au Louvre.

J’ai entendu parler de ce livre de Michel Bernard parce qu’il a reçu le prix des libraires en Seine en 2016, auquel participe une des librairies de ma commune. Quand j’ai vu qu’il était entré dans le catalogue de la médiathèque, je me suis mise sur la liste d’attente des réservations mais j’ai dû attendre plusieurs mois avant qu’il soit disponible. À sa lecture, j’ai compris son succès.

C’est un livre qui m’a passionnée, parce qu’il fait entrer le lecteur dans l’univers de Claude Monet, dans ses années de jeunesse, dans sa vie quotidienne avec Camille, au milieu des difficultés financières les premières années puis dans une existence matériellement plus bourgeoise quand le succès est venu. Plus tard, c’est un Monet vieillissant et malade que l’on suit avec émotion lors de ses efforts pour atteindre son but, faire acheter le tableau qu’il aime tant par l’état. Une très belle évocation !

Extrait page 92-93
Avec appétit, Monet parcourait Argenteuil et ses abords. Quittant le quartier neuf de la gare, il allait vers le vieux centre, sans manteau, un chandail sous la veste étroitement boutonnée, une écharpe autour du cou, un drôle de chapeau mou enfoncé sur la tête. Les rues se resserraient à son passage et les façades des maisons, l'une penchée, l'autre ventrue, venaient vers lui avec l'amitié des choses anciennes. Il remontait le temps. Les bruits du travail, fer martelé, cuir frotté, bois scié et cloué, débordaient des ateliers ouverts sur la rue. Le peintre respirait le petite ville. Il dépassait les carrières à plâtre et montait à travers les vignes jusqu'au moulin d'Orgemont. De cette hauteur déblayée par le vent, il regardait son nouveau territoire : Paris au loin, sur lequel flottait un édredon sale, les gribouillis de la banlieue, le fleuve, la campagne qui commençait devant lui et les marges du vieil Argenteuil où s'élevaient des cheminées d'usine. Il suivait les deux lignes des ponts routiers et de chemin de fer, détruits pour retarder l'envahisseur prussien et récemment reconstruits. Celui où passaient les voitures et les piétons était encore échafaudé. La fumée des bateaux à vapeur s'échevelait entre les montants métalliques du tablier neuf et les étais de bois. De l'agglomération étalée, il reconnaissait les quartiers neufs, les les lotissements allongés prés de la voie ferrée, des pavillons au milieu de minuscules carrés buissonneux. Le sien.

mardi 20 février 2018

Dans une coque de noix

Dans une coque de noix - Ian McEwan

Gallimard (2017) collection du monde entier
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon


Trio amoureux classique : la femme, son mari, son amant. Et un quatrième personnage, le narrateur, qui observe la situation, ou plutôt la devine, fœtus de huit mois et demi, bien au chaud dans le ventre de la femme. Il est l’enfant de Trudy et de John, le couple légitime déjà séparé depuis que Trudy a convaincu son mari d’aller loger ailleurs, sous prétexte de la fatigue de sa grossesse. Mais elle reçoit souvent la visite de Claude, son amant, qui déplait fortement à l’enfant. Et il n’a pas tort, cet enfant très clairvoyant qui a capté les intentions des deux amants vis-à-vis du mari gênant. Alors, il essaye d’influencer le cours des évènements, par des coups de pied par exemple, ou par des manœuvres à sa portée, pas toujours avec succès.

Difficile d’en dire plus au risque d’en trop révéler sur cette intrigue pleine de fantaisie parfois, mais qui tourne au drame le plus noir lorsque les amants fomentent leur complot. Il y a du suspense dans ce roman, une fin presque ouverte qui pourrait encore laisser place à des rebondissements, à condition d'avoir envie de donner une chance aux amants. Personnellement je n’ai aucune indulgence pour Trudy et Claude et le seul qui m’inspire de la tendresse dans cette histoire, c’est cet enfant que finalement personne ne désire et qui est déjà très réaliste sur son avenir.

Un roman caustique d’un auteur que je connais encore peu, découvert avec la lecture d’Opération Sweet Tooth il y a trois ans, et dont j'ai bien envie d'explorer l’œuvre plus avant !

Ça commence comme cela (page 13)

Me voici donc, la tête en bas dans une femme. Les bras patiemment croisés, attendant, attendant et me demandant à l'intérieur de qui je suis, dans quoi je suis embarqué. Mes yeux se ferment avec nostalgie au souvenir de l'époque où je dérivais dans mon enveloppe translucide, où je flottais rêveusement dans la bulle de mes pensées à travers mon océan privé, entre deux sauts périlleux au ralenti, heurtant doucement les limites transparentes de ma réclusion, la membrane révélatrice qui résonnait, tout en les atténuant, des voix de comploteurs unis par un projet ignoble. C'était au temps de ma jeunesse insouciante. Là, entièrement retourné, sans un centimètre à moi, les genoux repliés contre mon ventre, mes pensées comme ma tête sont bien engagées. Je n'ai pas le choix, mon oreille est plaquée jour et nuit contre ces parois sanguinolentes. J'écoute, je prends mentalement des notes, et je suis troublé. Je distingue des confidences funestes sur l'oreiller et je suis terrifié par ce qui m'attend, par ce à quoi je risque d'être mêlé.