mardi 6 avril 2021

Conversations entre amis

Conversations entre amis – Sally Rooney

Éditions de l’Olivier (2019)
Traduction de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux
 

De nos jours, à Dublin. Frances et Bobbi, 21 ans, se connaissent depuis le lycée. Elles ont vécu ensemble une relation amoureuse, y ont mis fin et sont restées très amies. Elles sont toutes deux étudiantes à l’université. Frances écrit des poèmes et effectue un stage non rémunéré dans une maison d’édition. Elle est logée gratuitement par son oncle et reçoit très irrégulièrement une pension de son père, ce qui la met parfois dans une certaine précarité. Bobbi est issue d’un milieu plus favorisé et n’a pas besoin de travailler pour assurer sa subsistance. Les deux jeunes filles se produisent régulièrement sur scène, pour des performances de poésie, où elles déclament les écrits de Frances. En toutes circonstances, c’est Bobbi la plus à l’aise, c’est elle qui prend la lumière, ce qui convient à Frances. 

Un soir, elles rencontrent Melissa, 37 ans photographe et écrivaine, qui a déjà une certaine notoriété dans les milieux culturels et littéraires. Elle envisage d’écrire un article à propos des performances poétiques de Frances et Bobbi. Chez Melissa, qui les a invitées à prendre un verre après la fermeture des bars, les deux jeunes femmes font la connaissance de Nick, le mari de Melissa, acteur un peu connu grâce à une série télévisée. Bobbi est très vite séduite par le charme de Melissa. Quant à Frances, c’est plutôt la réserve de Nick qui l’attire et aussi la sensation qu’elle ne lui est pas indifférente.
 

Je me rends compte que mon résumé peut donner l’impression que je viens de terminer un banal roman de chick-litt, avec chassés-croisés amoureux entre les quatre personnages principaux, et adultère, jalousie, crises de larmes et repentirs au fil des pages. C’est d’ailleurs la crainte que j’ai eue au début de ma lecture. Mais heureusement pour moi et pour le livre, je me suis rendue compte qu’il y avait autre chose dans ce roman.
 

Le fait que Frances en soit la narratrice est déjà un avantage, c’est elle qui a la personnalité la plus intéressante : elle a du mal à trouver sa place dans la vie, elle est toujours admirative de sa copine Bobbi et a tendance à se mettre en retrait. On sait d’ailleurs peu de choses à propos de leur relation amoureuse passée. À l’issue de son stage chez l’éditeur, elle n’envisage pas de travailler et n’établit donc aucune relation de concurrence avec Philip, en stage comme elle, ce qui leur permet d’être amis. Ainsi, au sujet de ses amours, elle se confie plus à lui qu’à Bobbi. Son environnement familial est difficile, son père est alcoolique et peu fiable. D’une certaine façon, elle n’est pas encore sortie de l’adolescence. Sa relation avec Nick est sans doute un moyen de s’affirmer, d’autant qu’il est marié, trop vieux à son idée (il a 32 ans et on sent bien que c’est important pour elle). Peut-être que dans l’Irlande catholique, même à notre époque, commettre l’adultère est une grosse transgression. Frances vit également une relation difficile avec son corps, qu’elle maltraite pour se punir et qui la maltraite également. Elle découvre d’ailleurs qu’elle souffre d’endométriose mais il ne lui vient jamais à l’idée de se faire soigner, une fois le diagnostic posé.
 

Il faut aussi parler du style de Sally Rooney. Ce qui surprend au début, c’est qu’elle n’utilise aucune marque du dialogue. Pas de tiret, pas de guillemet, c’est parfois déroutant. Est-ce que le personnage s’exprime ou est-ce ce qu’il pense dans sa tête ? Qui parle ? Finalement, passé le premier étonnement, on s’y retrouve et ça donne un rythme certain au texte.
 

Comme c’est un roman qui se passe de nos jours, les personnages communiquent par sms, par email, au détriment de la conversation classique. Souvent, les choses importantes sont exprimées par le biais de l’écrit et non en face à face. L’autre personnage important de l’histoire, c’est Nick qui m’est resté très énigmatique. Pourquoi se lance-t-il dans cette liaison avec Frances alors qu’il a été fidèle à Melissa jusque-là, bien que leur mariage ne fonctionne pas très bien ? Lui aussi semble avoir du mal à trouver sa place dans la vie et j’ai l’impression qu’il est manipulé par sa femme qui trouve dans cette liaison un moyen de le sortir de la passivité où il est plongé.
 

Ce roman a reçu un accueil très chaleureux dans le monde anglo-saxon à sa sortie et l’irlandaise Sally Rooney est devenue, avec son deuxième roman, Normal People, une star récompensée par de nombreux prix littéraires.
Pour ma part, je suis loin de crier au génie mais je ne regrette pas ma lecture. C’est un premier roman, avec des imperfections, qui traite superficiellement de beaucoup de choses qui auraient mérité d’être développées, ce qui est souvent le défaut des premiers romans, mais il a le mérite de traiter sincèrement d’une jeunesse contemporaine, dans des situations crédibles.
Je lirai prochainement Normal People sans préjugés pour laisser à Sally Rooney toutes ses chances de me convaincre de son talent !
 

Extrait page 282 :

Qu’est-ce que tu vas faire ? Après tes études.
Je ne sais pas. Me trouver un boulot dans une université, si je peux.
Cette expression, « si je peux », montrait que Bobbi était en train de me parler de quelque chose de sérieux, quelque chose qui ne se transmettait pas avec des mots mais par un changement dans notre manière de communiquer. Non seulement il était absurde de la part de Bobbi de dire « si je peux », parce que sa famille était aisée, qu’elle faisait le nécessaire à la fac et qu’elle avait de bonnes notes, mais ça n’avait pas non plus de sens dans notre relation. Bobbi ne communiquait pas avec moi sur le mode du « si je peux ». Elle se posait en personne – peut-être la seule- capable de comprendre son redoutable pouvoir sur les circonstances et les gens. Elle pouvait avoir tout ce qu’elle voulait, et je le savais.

Des avis variés sur Babelio.