dimanche 28 décembre 2014

Ces instants-là

Ces instants-làHerbjørg Wassmo
Éditions Gaïa (2014)
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier


Ces instants-là, ce sont tous les épisodes d’une vie de femme, les évènements marquants et les moments plus insignifiants, ceux qui tissent au fur et à mesure une existence où il faut se battre pour exister, pour surmonter la maladie et ses crises, pour exprimer son talent, pour résister à ceux qui veulent éteindre la flamme qu’elle porte en elle, qui veulent imposer leur mode de pensée, leur médiocrité ou leur résignation.
Ce sont aussi les instants qui ne sont jamais racontés, dont le lecteur prend conscience à la faveur de quelques phrases, ceux qui expliquent la haine que l’héroïne porte à son père et la réserve qu’elle conserve face à sa mère.

C’est un roman fort, imprégné de féminisme, mais pas seulement. C’est aussi un livre sur la difficulté de devenir un auteur, de faire entendre sa voix, de comprendre soi-même que l’on a des choses à dire et qu’elles ont de la valeur. Une œuvre âpre et puissante, en harmonie avec la nature sauvage de la Norvège que l’on découvre au travers de ces pages.

Lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire 2014 organisés par PriceMinister. Merci à Olivier pour l’organisation.


Deux extraits du livre à découvrir sur le site des éditions Gaïa.

vendredi 12 décembre 2014

La chute des princes

La chute des princes Robert Goolrick
Traduit de l’anglais par Marie de Prémonville
Editions Anne Carrière (2014)


Grandeur et décadence d’un trader new-yorkais dans les années 80. Il a vécu comme un prince, cumulant tous les excès : alcool, drogue, sexe. Il a gagné des millions de dollars, en a dépensé autant. Il a échappé aux ravages du sida mais a vu ses amis tomber comme des mouches. Et puis un jour, tout s’est effondré pour lui aussi : il a perdu son travail, sa femme a demandé le divorce. Toutes les portes se sont refermées devant lui, il a touché le fond pendant deux ans, survivant en partie grâce à la lecture d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. C’est aussi grâce à sa connaissance de l’œuvre qu’il a trouvé un emploi dans une librairie. Depuis, sa vie a bien changé, monotone et sans éclat. Il se souvient des folies de sa jeunesse, il raconte les moments marquants de son existence, sans complaisance et ne cherche pas à se justifier, s’étonnant même d’avoir survécu.

Un livre fort et percutant d’un auteur que je découvre. J’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture alors que le sujet, à priori, aurait dû me rebuter.  Mais l’auteur garde une certaine retenue dans la description des  épisodes de fêtes et de beuveries, le côté trash des situations étant atténué par les regrets  du narrateur, qui jamais ne se glorifie de ses succès passés ni de ses excès. L’évocation de quelques figures secondaires apporte aussi de vrais moments de tendresse et d’amitié. A découvrir sans hésitation ! 

Un extrait page 63 :
En ville, j’ai dégoté une gigantesque tente marocaine qui m’a coûté vingt-cinq mille dollars, que j’ai fait monter sur la pelouse et remplir de banquettes et de coussins en soie, et aussi de tables basses marocaines. J’ai fait suspendre des lustres, ça ressemblait à un sérail dédié au sexe. Il faisait une chaleur d’enfer, là-dedans, on se serait cru sous la chaleur d’un cirque déglingué par un après-midi de juillet à Reno, Nevada. Mais la toile était magnifiquement brodée et rehaussée de milliers de miroirs minuscules – c’était d’une beauté à couper le souffle.
Depuis le premier étage de la maison, on surplombait le toit de la tente, si c’est bien ce qu’on dit pour une tente, et c’était comme regarder les étoiles d’en haut, avec tous ces miroirs qui scintillaient, et la lueur douce des bougies tamisée par la toile.
Curieusement, il y a beaucoup de similitudes entre La chute des princes et une lecture précédente, Trente ans et des poussières de Jay McInerney. Il s’agit de la même époque, dans une ambiance similaire et les héros vivent des expériences proches. Mais dans Trente ans…, le lecteur accompagne le jeune couple dans les crises qu’il doit surmonter et ne sait rien du futur. Ici, le temps a passé et c’est un narrateur assagi et solitaire qui raconte sa jeunesse enfuie.

tous les livres sur Babelio.com

Je remercie Babelio qui m’a donnée l’occasion de découvrir ce roman, ainsi que les éditions Anne Carrière.

La vidéo ci-dessous m'a permis de faire connaissance avec Robert Goolrick,



et celle-ci éclaire la relation entre l'auteur et son éditeur :

vendredi 28 novembre 2014

No et moi

No et moiDelphine de Vigan
Éditions Jean-Claude Lattès (2007)

Lou a treize ans, vit à Paris avec ses parents dans un bel appartement. C’est une adolescente surdouée, elle vient de rentrer au lycée et elle se sent mal à l’aise dans cette classe de seconde, où les autres filles la regardent de travers.  Seul Lucas, un redoublant de dix-sept ans, lui témoigne un peu d’intérêt. Lorsque Lou se voit obligée de choisir un sujet d’exposé, elle présente son projet d’enquêter sur les jeunes SDF, sur un coup de tête. Gare d’Austerlitz, elle repère No, une jeune sans abri, tout juste majeure, qui zone dans le quartier, toujours à la recherche d’un endroit où dormir. Les premiers contacts entre les deux filles sont difficiles mais petit à petit, Lou réussit à apprivoiser Nolwenn et une amitié s’installe. Lorsque la situation s’aggrave pour No, Lou sollicite l’aide de ses parents, qui acceptent d’héberger la jeune fille. La présence de No ramène la joie de vivre qui manquait dans la famille de Lou depuis la mort de sa petite sœur. No se requinque, savoure le confort et la chaleur d’un foyer uni et reprend confiance. Mais ce roman n’a rien d’un conte de fées et aucune bonne marraine ne s’est penchée sur le berceau de No.

Même si le titre du roman met en avant les deux jeunes filles, c’est de trois adolescents dont qu’il est question dans cette histoire, où chacun, à sa façon et à des degrés divers, vit dans la solitude, délaissé par sa famille. La vie de No en est l’exemple ultime, enfant abandonnée par sa mère, baladée de foyer en foyer jusqu’à sa majorité puis poussée à la rue, dans la crasse, la violence et l’alcool. Lou, quant à elle, bénéficie du confort des beaux quartiers parisiens, d’une éducation à la mesure de ses capacités mais elle ne reçoit pas tout l’amour qui lui est dû. En effet, sa mère a perdu pied à la suite du décès de son deuxième enfant, et depuis, elle sombre dans la dépression et ne manifeste qu’indifférence pour sa fille. Quant à Lucas, le beau gosse, le charmeur, il ne manque pas d’argent mais vit quasiment seul dans un bel appartement, où sa mère ne fait que des apparitions fugaces entre ses déplacements professionnels.

La présence de No va aider la famille de Lou à sortir de son drame, mais elle–même ne va malheureusement pas en bénéficier durablement. L’histoire de Lou, No et Lucas est poignante et réaliste. Elle prouve que lorsqu’on a le gîte et le couvert assuré, la vie est quand même plus facile, même si l’environnement familial n’assure pas complètement son rôle protecteur. No n’a rien eu de tout cela pendant trop longtemps et l’amitié de Lou ne suffira pas à l’empêcher de sombrer.  Une belle lecture qui m’a laissée avec un grand sentiment d’injustice.


J'avais ce livre depuis un moment dans ma liseuse et c'est le challenge Objectif Pal 2014 d'Antigone qui m'a fourni l'occasion de le faire sortir de ma PAL numérique.

D'autres avis sur ce livre un peu partout sur la Toile et chez Babelio, par exemple.

mardi 4 novembre 2014

Trente ans et des poussières

Trente ans et des poussières Jay McInerney
Editions de l’Olivier (1993)
Traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso

 
Dans les années 80, à Manhattan, Russel et Corinne forme un couple modèle, envié par tous leurs amis. Lui est éditeur chez Corbin, Dern & Cie, elle est courtière en bourse et est bénévole dans une association d’aide aux démunis. Ils ont trente ans, ils s’aiment et ont l’avenir devant eux, ils s’amusent dans toutes les fêtes où il faut être vu, écument les vernissages et les cocktails. Pourtant, chacun commence à ressentir une insatisfaction, un manque dans sa vie. Russel s’ennuie dans son activité professionnelle, il est tenté par des propositions cinématographiques sur la côte Ouest. Ou alors, pourquoi ne pas profiter de sa rencontre avec un riche homme d’affaires et lancer une OPA sur Corbin, Dern et Cie. Et puis, la routine matrimoniale commence à lui peser, il est attiré par d’autres femmes que la sienne. Quant à Corinne, elle se sent de plus en plus mal à l’aise dans le milieu boursier et voudrait faire une pause, avoir un bébé, arrêter de boire, moins sortir, souffler, quoi. Et puis, il y a leur ami Jeff, un écrivain qui n’a plus écrit depuis plusieurs années, qui a replongé dans la drogue. Cette rechute et la part active qu’ils doivent prendre pour faire entrer Jeff en cure de désintoxication sont un choc pour eux, le passage dans l’âge adulte en quelque sorte.

En commençant ce livre, j’ai souvent pensé aux romans de Paula Fox. Comme chez elle, les personnages ne sont pas forcément très sympathiques. Tout l’art de l’auteur est de donner, malgré cela, envie de les accompagner, de s’intéresser aux évènements qu’ils vivent, tant ils sont ancrés dans une époque décrite de façon très réaliste, très concrète. Ici, c’est la crise boursière de 1987 à New York qui va venir contrer les projets de Russel et de Corinne, bouleverser leur existence confortable et les forcer à se remettre en question. C’est une description très vivante du New York de la fin des années 80, dans le milieu des yuppies, de leurs excès, du toujours plus et du difficile retour aux réalités, quand la crise vous oblige à réduire la voilure.

C’est ma deuxième lecture de Jay McInerney, après Bright Lights, Big City, et j’ai vraiment envie de découvrir davantage cet auteur. Ça tombe bien, il existe une espèce de suite à Trente ans et des poussières, La belle vie, où l'on retrouve Russel et Corinne après les attentats de septembre 2001.


D'autres avis sur Babelio.

mardi 28 octobre 2014

Mad about the boy

Mad about the boyHelen Fielding
Editeur : Jonathan Cape (Octobre 2013)

Dans ce troisième épisode des aventures de Bridget Jones, la situation a bien changé. Bridget a cinquante et un ans, elle est veuve et élève seule ses deux enfants depuis la mort accidentelle de Marc Darcy, cinq ans auparavant. Quand le livre démarre, Bridget a une relation amoureuse avec un jeune homme de vingt-neuf ans, et elle s’interroge sur la nécessité de le présenter à ses enfants. Débute alors un long flashback pour expliquer comment elle en est arrivée là, après une vie de nonne depuis son veuvage. Sous l’influence de ses amis, Bridget a décidé de reprendre sa vie de femme en main et de chercher l’âme sœur. Tout a commencé évidemment par un régime, et puis Bridget a dû se mettre aux nouveaux outils de communication, Twitter, site de rencontres, etc. Elle a voulu également retrouver une activité professionnelle et a commencé à écrire un scénario pour adapter la pièce d’Ibsen, Hedda Gabler, en la transposant à Londres, de nos jours. De ce côté-là, ce n’est pas simple non plus pour Bridget, car le producteur veut absolument que l’histoire se déroule en Californie, sur un yacht.

Voilà rapidement résumé ce gros livre de 400 pages, bien trop long à mon goût, et que j’ai failli abandonner à plusieurs reprises. Il a fallu que je me convainque de l’intérêt de lire de l’anglais pour persévérer dans cette succession de gags loufoques et répétitifs, d’où émerge péniblement un peu de sensibilité dans les pages qui traitent de sujets plus sérieux : l’éducation des enfants et leurs difficultés à vivre sans père,  la place de la femme veuve dans la société et la sortie du deuil, la relation amoureuse avec un homme plus jeune.

Évidemment, avec Bridget Jones, je m’attendais à de la fantaisie, et j’aurais été déçue s’il n’y en avait pas eu. Mais il y a aussi beaucoup de longueurs qui nuisent au rythme, ça tourne un peu en rond et puis, sur la fin, les évènements se précipitent. Lorsque Bridget comprend qu’elle est amoureuse d’un homme qu’elle rencontre très souvent et qu’il partage peut-être son inclination, tout est expédié en vingt pages. Bref, une déception. Il paraît qu’une adaptation cinématographique de cet épisode est en cours. Peut-être que l’histoire passera mieux au cinéma. Mais sur le papier, cette fois, trop d’invraisemblances ou de redites. Dommage !

Lu dans le cadre du challenge Romancières Américaines de Miss G.
 

dimanche 21 septembre 2014

Moment d'un couple

Moment d’un coupleNelly Alard
Gallimard (2013)

Juliette et Olivier vivent à Paris, avec leurs deux enfants. Les débuts de leur relation amoureuse ont été compliqués mais ils affichent maintenant un bonheur sans histoire, comme tant d’autres couples avec enfants de l’est parisien. Et puis soudain, alors qu’elle n’a rien vu venir, Juliette est confrontée à l’aveu d’Olivier : il a une liaison depuis trois semaines. Juliette est dévastée par cette annonce mais décide de tout faire pour sauver son couple, puisqu’Olivier ne semble pas vouloir la quitter. Mais l’autre femme est coriace, d’autant plus qu’elle est persuadée qu’Olivier l’aime et veut vivre avec elle. Et pour elle, la guerre avec Juliette est déclarée et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.

Sujet classique du mari, de la femme et de la maîtresse mais traité d’une façon moins conventionnelle. C’est Juliette, l’épouse trompée, qui est la narratrice ici et c’est de son point de vue que nous suivons l’intrigue. L’aveu d’Olivier est pour elle l’occasion de revenir sur son histoire personnelle, sur le divorce de ses parents, la dépression de sa mère, ses années de lycée enfermée dans un pensionnat religieux, sa vie sentimentale chaotique et le viol dont elle a été victime. C’est la partie du livre que j’ai le moins aimée, j’ai même failli abandonner cette lecture à plusieurs reprises. L’auteur, par la voix de Juliette, nous livre dans un style presque mécanique tous les évènements qui ont façonné le caractère de l’héroïne, mais sans expliquer vraiment leurs conséquences sur son comportements et ses sentiments. Au lecteur de se débrouiller avec tout ça. Personnellement, je n’y ai pas trouvé beaucoup de cohérence.
Et puis, dans la deuxième partie, Juliette décide de mener le combat face à V., celle qui veut lui prendre son mari et qui est prête à tous les chantages. A partir de ce moment-là, j’ai trouvé l’histoire beaucoup plus intéressante, plus crédible aussi, même si je m’interrogeais sur ce que pouvait ressentir Juliette face à l’incertitude et à la faiblesse de son mari. Ce n’est que lorsqu’elle comprend que son mari ne pourra pas se sortir tout seul des griffes de son adversaire que Juliette reprend la main et s’affirme, sortant alors du statut de victime pour mener le jeu.

J’avais beaucoup aimé le premier roman de Nelly Alard, Le crieur de nuit et j’attendais sans doute beaucoup de ce deuxième livre, trop sans doute, ce qui peut expliquer ma déception en début de lecture. Heureusement, la suite de l’histoire m’a fait un peu changer d’avis. J’ai mieux compris les deux citations extraites du dictionnaire qu’insère Nelly Alard au tout début de son livre, et en particulier la définition physique de l’expression moment d’un couple. L’auteur a vraiment bien su en exploiter le sens pour mener son intrigue. A mon avis, cette interprétation est une bonne raison pour découvrir ce roman.

Ce livre a été récompensé par le prix Interallié 2013. Cela, je le savait déjà. Ce que j'ignorais, en revanche, c'est que ce livre avait provoqué quelques remous à sa sortie, quant à son aspect autobiographique et à l'identité potentielle de V. Je vous laisse chercher un peu sur la Toile, c'est assez cocasse, je trouve, d'un point de vue externe, bien sûr. Si l'histoire est réelle, elle n'a pas du être facile à vivre pour l'auteur.

Pour en savoir davantage sur l'auteur, rendez-vous sur son site.

lundi 8 septembre 2014

Extrêmement fort et incroyablement près

Extrêmement fort et incroyablement prèsJonathan Safran Foer
Éditions de l’Olivier (2006)
Traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
Lu dans l’édition poche Points Folio.


Oskar Schell a neuf ans, il vit à New York avec sa mère et a une relation très proche avec  sa grand-mère, rescapée des bombardements de Dresde durant la deuxième guerre mondiale. Son père, Thomas, a disparu lors des attentats au World Trade Center, le 11 septembre 2001. Oskar est un enfant hyper sensible, surdoué, qui n’arrive pas à surmonter la mort de son père. Il découvre par hasard dans un vase une enveloppe contenant une clé. Sur l’enveloppe est inscrit le mot Black. Oskar se met en tête de retrouver la serrure correspondant à la clé et se persuade qu’un dénommé Black pourra l’aider dans cette quête. Qu’importe si cela doit lui prendre des années.

C’est un livre très étrange, et le début de ma lecture a été un peu difficile. Plusieurs récits s’entremêlent dans ce roman, celui d’Oskar bien sûr, qu’il s’agisse de ses souvenirs de son père, du ressassement des évènements du 11 septembre ou de sa quête folle de tous les dénommés Black dans New York.
Une autre voix importante s’élève dans ce roman, c’est celle de la grand-mère dont l’existence est une succession de drames. Après avoir perdu toute sa famille pendant les bombardements de Dresde, elle s’est mariée avec l’ancien fiancé de sa sœur. Ensemble, ils ont émigré aux États-Unis, ont travaillé pour établir leur entreprise de bijouterie. Un jour, son mari a disparu, la laissant enceinte de Thomas, qu’il n’a jamais connu.
Et puis, il a les mots d’un homme, dont on met un moment à comprendre qui il est, qui complètent cette histoire complexe et terrible, un homme que le lecteur identifie au fur et à mesure, lorsque l’auteur veut bien en dire suffisamment pour éclairer sa lanterne, un homme qui lui aussi a vécu des drames et qui va reprendre sa place dans l’histoire familiale.

Impossible d’en dire trop sur ce roman au risque de dévoiler des éléments clés de l’histoire. Il faut  s’y plonger,  découvrir les indices semés par l’auteur et se tromper sur leur signification, comme il l’a manigancé. Et il faut accepter de revivre cette sidération qui nous a saisis ce mardi de septembre 2001 quand nous avons découvert ce qui se passait là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, et que nous regardions en boucle sur les écrans de télévision, incapables de détacher nos yeux de ces images terribles. C’est d’ailleurs le récit que la grand-mère fait de ces évènements qui m’a le plus touchée car ce qu’elle raconte, c’est vraiment ce qui dépeint ce que j’en ai perçu à l’époque. Et puis, les mots et les souvenirs des anciens, que ce soit la grand-mère ou bien l’homme que l’on découvre au fur et à mesure, remettent la tragédie du 11 septembre à sa place dans l’histoire. Pour ceux qui ont vécu les conflits du XXème siècle et qui en ont été les victimes, c’est un drame de plus, qu’il faut surmonter. Pour nous qui n’avons pas connu de guerre et qui avons vu et revu les images du 11 septembre, l’impact de l’évènement est bien sûr beaucoup plus percutant, même si nous n’en n’avons pas été les victimes directes.

Si je peux exprimer un regret par rapport à cette lecture, c’est à propos du personnage de la mère d’Oskar. Elle est très peu présente dans le livre, on découvre en même temps qu’Oskar la part qu’elle a tenue dans les dernières pages. Personnellement, j’aurais aimé en savoir un peu plus sur elle. Mais cela n’était sans doute pas l’objectif de l’auteur.

En lisant ce livre, je me suis rappelé L’histoire de l’amour de Nicole Krauss. Comme ici, plusieurs récits s’entremêlaient, entre présent et passé. Ce n’est peut-être pas un hasard, Nicole Krauss partage la vie de Jonathan Safran Foer et la dédicace du roman « Pour NICOLE, mon idée du beau » lui est sans doute adressée.

Avec cette lecture, je continue mon challenge Objectif Pal 2014, initié par Antigone


et je peux également participer au Mois Américain organisé par Titine.


vendredi 15 août 2014

Le dernier gardien d'Ellis Island

Le dernier gardien d'Ellis Island - Gaëlle Josse
Les éditions Noir sur Blanc (2014)

Le 3 novembre 1954 sur Ellis Island, John Mitchell commence le récit de sa vie sur l’île, où il vit et travaille depuis quarante-cinq ans. Dans neuf jours, le centre d’accueil va fermer, des officiels viendront par bateau pour une dernière cérémonie et John repartira avec eux, pour regagner Manhattan et l’appartement vide de ses parents, où il a passé son enfance. Pour occuper ces neuf journées, John parcourt seul tous les lieux de l’île, où il a tant de souvenirs et couche sur le papier ce qu’il y a vécu.
Il dit les foules d’immigrants qui débarquaient d’Europe après un voyage souvent terrible, la sélection qu’ils devaient affronter avant d’être autorisés à entrer aux Etats-Unis et le drame de ceux qui étaient refoulés.
Il raconte les cinq années de bonheur au côté de Liz, sa femme, des années enfuies trop vite, et qu’a suivi une vie solitaire et terne. Et puis il évoque aussi deux épisodes douloureux, où il a failli personnellement. Une fois, en tant qu’homme, face à Nella, une jeune immigrée sarde qui lui a fait perdre la tête et puis, en tant que directeur face à Lazzarini, un homme au passé douteux, qu’il a malgré tout aidé à obtenir son autorisation d’entrée.


C’est le troisième livre de Gaëlle Josse que je découvre ici et encore une fois, j’ai été captivée par son écriture. Elle sait à merveille installer une ambiance, décrire des lieux et faire revivre ceux qui les ont visités. Son évocation du centre d’accueil d’Ellis Island tient du documentaire et j’y ai trouvé un grand intérêt. Les destins particuliers qui y sont racontés apportent une émotion touchante et aident à comprendre les états d’âme du narrateur, un homme sincère, intègre, dépassé parfois par ses responsabilités et par une vie de solitude et de devoir.

En complément de cette lecture, visitez ce site où Gaëlle Josse partage des textes, des photos et des vidéos qui l'ont accompagnée au cours de l'écriture de ce livre.

Je remercie Babelio et les éditions Noir sur Blanc qui m'ont gracieusement proposé ce livre, que j'ai accepté avec plaisir. 

samedi 9 août 2014

Opération Sweet Tooth

Opération Sweet ToothIan McEwan
Collection Du monde entier, Gallimard (2014)
Traduction de France Camus-Pichon

L’intrigue se déroule à Londres, dans les années 1970. Serena Frome vient de terminer des études de mathématiques, qu’elle a suivies sans enthousiasme, pour faire plaisir à sa mère. Elle, sa passion, c’est la lecture, la littérature. Elle fait la connaissance de Tony Canning, professeur à Cambridge, qui devient son amant. Pendant quelques mois, celui-ci assume son rôle de mentor auprès de Serena, décidé à parfaire son éducation et l’encourage à poser sa candidature au MI5, les services secrets britanniques. 
Après un été de bonheur, leur relation se termine brutalement, à l’initiative de Tony. Serena est très affectée par la rupture, mais son embauche au sein du MI5 lui permet de se ressaisir. Les premiers mois ne sont pas passionnants, Serena est vraiment au bas de l’échelle dans l’organisation. 
Et puis, une mission lui est confiée. Il s’agit de « recruter » un jeune auteur, de financer l’écriture de son premier roman et de l’influencer afin qu’il mette en avant les avantages de la société capitaliste occidentale face à la menace que représente l’Union Soviétique. Bien sûr, le jeune prodige ne doit jamais savoir d’où lui viennent ses subsides, ni connaitre le véritable rôle de Serena. La jeune fille, qui a été emballée à la lecture des nouvelles écrites par Tom Haley, le recommande à ses supérieurs et n’a aucun mal à lui faire accepter l’offre de subvention de ce qu’il croit être une fondation. 
Serena prend sa mission très au sérieux, trop même, puisqu’elle tombe rapidement amoureuse de son auteur. La voilà donc prise au piège de ses dissimulations, puisqu’elle cache au MI5 la nature de ses relations avec Tom et qu’elle tait à celui-ci son activité réelle. Sa situation se complique très rapidement et elle va découvrir que la création littéraire n’obéit pas à la contrainte.

En début d’année, j’avais pris la résolution de diversifier l’univers de mes lectures. Les premiers commentaires lus à propos de la sortie d’Opération Sweet Tooth de Ian McEwan m’ont incitée à choisir ce livre, pour attaquer le genre roman d’espionnage.  J’ai été ravie de mon choix, même si je dois reconnaître qu’il s’agit plutôt d’une parodie du genre, et que ce qui en émerge, c’est l’amour, l’amour de la lecture, de la littérature, et l’amour d’une toute jeune femme pour deux hommes très différents, qui vont façonner son existence et décider de son destin.
C’est aussi une découverte de ce qu’est la création littéraire, le cheminement de l’auteur, l’utilisation de sa vie personnelle comme source d’inspiration, l’exercice de sa liberté et de son intégrité.

Et puis, avec ce roman, c’est une immersion dans la Grande-Bretagne des années 1970, encore engluée dans le conflit irlandais et qui doit faire face aux conséquences des grandes grèves des mineurs, qui paralysent l’économie du pays  et contraignent la population à réduire drastiquement la consommation d’énergie. Face à ces difficultés de la vie quotidienne, les manigances des services secrets pour entretenir les rouages de la guerre froide paraissent bien futiles.

Une vraie réussite que ce roman d’Ian McEwan, auteur que je découvre à l’occasion de cette lecture.

Un extrait (page 49)
En allant au travail, je méditais sur l’abîme entre la description de mon poste et la réalité. Je pouvais toujours me dire à moi-même — faute de pouvoir le révéler à quiconque — que j’appartenais au MI5. Ça sonnait bien. Aujourd’hui encore, je m’émeus à la pensée de cette pâle petite jeune femme qui voulait se dévouer pour son pays. Je n’étais toutefois qu’une secrétaire en minijupe parmi tant d’autres, ces milliers d’entre nous qui se déversaient dans les couloirs crasseux de la station de métro Green Park, où les détritus, la poussière et les courants d’air pestilentiels que nous acceptions comme notre lot quotidien nous giflaient le visage et nous décoiffaient. (Londres est tellement plus propre, désormais.) Et lorsque j’arrivais au bureau, je restais une secrétaire qui tapait, le dos bien droit, sur une Remington gigantesque dans une salle enfumée, pareille à des centaines de milliers d’autres dans toute la capitale, qui allait chercher des dossiers, déchiffrait des écritures masculines, revenait en courant de sa pause déjeuner. J’étais même moins bien payée que la plupart d’entre elles. Et, à l’image de cette jeune ouvrière dans un poème de Betjeman que Tony m’avait lu un jour, je lavais moi aussi mes dessous dans le lavabo de ma chambre.
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lundi 4 août 2014

La Rabouilleuse

La Rabouilleuse - Honoré de Balzac
Folio classique (2008)
Édition de René Guise

Ma dernière lecture de Balzac, c’était Le Père Goriot, il y a quelques années, et ce n’était pas une découverte car je l’avais étudié en partie au lycée. En partie seulement, car je ne me souvenais absolument pas que le fond de l’histoire, c’était avant tout l’amour paternel de Goriot pour ses filles.

Mon premier contact avec La Rabouilleuse  s'est produit à l’occasion d’un dîner au restaurant La Cognette, à Issoudun, car c’est dans cet établissement que se fomentent quelques-uns des complots qui animent cette histoire.
Comme dans Le Père Goriot, il y est question d’amour non récompensé. L’amour maternel, d’abord, qu’éprouve Agathe Bridau pour son son fils Philippe, ancien colonel de l’armée napoléonienne, exilé aux Etats-Unis, et qui, à son retour, exploite la faiblesse de sa mère pour satisfaire sa passion du jeu. Puis, il y a l’amour filial de Joseph Bridau, le cadet, artiste-peintre, plein de sollicitude pour sa mère, dont il échoue à capter l’attention.
Comme toujours chez Balzac, il est beaucoup question d’argent dans ces pages, en particulier de l’héritage qui menace d’échapper à la mère aimante et courageuse pour être accaparé par une intrigante, Flore Brazier, la Rabouilleuse et son amant, Maxence Gilet, habiles dans leurs manœuvres auprès de Jean-Jacques Rouget, le frère d’Agathe, qui vit à Issoudun, dont est originaire la famille. Pour tenter de sauver sa part, Agathe se rend dans sa ville natale en compagnie de son fils Joseph. Elle ne se doute pas des péripéties qui l’attendent.

Ce qui m’a surprise dans cette histoire touffue et pleine de rebondissements, c’est qu’aucun des personnages qui la composent ne semble trouver grâce aux yeux de Balzac. Il ne montre aucune compassion envers la pauvre mère, bafouée et trompée par le fils qu’elle adore. Il n’a pas d’avantage d’indulgence pour la Rabouilleuse, plus ou moins vendue à la sortie de l’enfance au père d’Agathe et de Jean-Jacques, et qui connaîtra un sort terrible. Je n’oublierai pas la figure de Philippe Bridau, principal héros du roman, dont la première apparition donne déjà des frissons.

Extrait page 64 :
(…)Le colonel avait conservé, dans l’apparence seulement, la rondeur, la franchise, le laissez-aller du militaire. Aussi était-il excessivement dangereux, il semblait ingénu comme un enfant ; mais, n’ayant à penser qu’à lui, jamais il ne faisait rien sans avoir réfléchi à ce qu’il devait faire, autant qu’un rusé procureur réfléchit à quelque tour de maître Gonin, les paroles ne lui coûtaient rien, il en donnait autant qu’on en voulait croire. Si, par malheur, quelqu’un s’avisait de ne pas accepter les explications par lesquelles il justifiait les contradictions entre sa conduite et son langage, le colonel, qui tirait supérieurement le pistolet, qui pouvait défier le plus habile maître d’armes, et qui possédait le sang-froid de tous ceux auxquels la vie est indifférente, était prêt à vous demander raison de la moindre parole aigre ; mais, en attendant, il paraissait homme à se livrer à des voies de fait, après lesquelles aucun arrangement n’est possible. Sa stature imposante avait pris de la rotondité, son visage s’était bronzé pendant son séjour au Texas, il conservait son parler bref et le ton tranchant de l’homme obligé de se faire respecter au milieu de la population de New-York. Ainsi fait, simplement vêtu, le corps visiblement endurci par ses récentes misères, Philippe apparut à sa pauvre mère comme un héros ; mais il était tout simplement devenu ce que le peuple nomme assez énergiquement un chenapan. (...)
Une belle découverte que cette lecture, dans le cadre du challenge Objectif Pal 2014 d’Antigone.

Une intrigue complexe, des personnages multiples, qui au fil du récit, suscitent des sentiments variables, une imbrication passionnante des rapports humains dans ce petit groupe d’individus et des évènements de la grande Histoire post-napoléonienne, que les notes de René Guise aident à décrypter. De quoi me donner envie de m’attaquer aux autres œuvres de Balzac qui sont dans ma PAL.


dimanche 3 août 2014

Les grandes traversées : Marguerite Duras

J'ai été bien inspirée, hier après-midi de lire mon exemplaire de Télérama jusqu'à la page 122.
Un article d'Hélène Rochette, illustré d'une photo de Marguerite Duras - celle où à l'âge de quinze ans, elle est affublée d'une capeline penchée sur le côté - annonce la rediffusion à partir de lundi 4 août d'une nouvelle mouture de l'émission que Laure Adler avait consacrée à l'écrivain en 2009.

C'est dans Les grandes traversées, sur France-Culture entre 9h00 et 11h00, jusqu'à vendredi.

Je ne pourrai sans doute pas l'écouter à ce moment-là, - je travaille encore - mais je compte sur  le podcast pour n'en manquer aucune seconde.

Plus encore que la lire, j'aime écouter Marguerite Duras, et il me semble, d'après cet article, que je ne serais pas déçue !

jeudi 31 juillet 2014

PAL : +2

De retour à la maison après notre semaine à Lamotte-Beuvron, j'ai eu la surprise de trouver deux livres dans ma boîte aux lettres :


Les Augustins de Melisa Godet (JC Lattès), offert pat la Fondation Bouygues Telecom, qui lui a attribué le prix Nouveau Talent 2014.










Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse (Les Éditions Noir et sur Blanc), proposé par Babelio.









Ça tombe bien, je suis en vacances à la fin de la semaine prochaine ! Je vais avoir du temps pour m'y plonger.

mercredi 16 juillet 2014

Pause estivale

#166339774 / gettyimages.com


Une pause d'une semaine bienvenue après des semaines intenses depuis début juin, qui ne m'ont pas laissé beaucoup de temps pour parler de mes lectures.

Même si la semaine qui s'annonce ne sera pas de tout repos, je sais que je vais m'aérer et me changer les idées et c'est déjà beaucoup !






dimanche 15 juin 2014

A la grâce des hommes

A la Grâce des hommes - Hannah Kent
Presses de la Cité (2014)
Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre

L’histoire se passe en Islande, au XIXème siècle. Sur décision des autorités locales, une femme condamnée à mort pour complicité d’assassinat de deux hommes, dont l’un était son amant, est placée sous la surveillance de l’officier de police d’une bourgade reculée, en attendant l’exécution de la sentence. Elle vit au domicile de son geôlier, une ferme isolée au milieu d’une nature sauvage et rude. Un jeune pasteur est chargé du suivi spirituel de la jeune femme, afin de la préparer à l’issue fatale.
La décision de placement de la condamnée est mal accueillie dans cette famille plutôt favorisée. La maitresse de maison craint pour la sécurité de ses filles mais l’état de la prisonnière est tel, lorsqu’elle arrive à la ferme, que la fermière prend sur elle et apporte son aide à la malheureuse afin qu’elle recouvre une apparence humaine. En participant aux travaux de la maison et de la ferme, Agnes Magnúsdóttir change petit à petit la perception d’elle qu’avaient les différents membres de la famille. Au cours des discussions qu’elle poursuit avec le sous-révérend, l’histoire de sa vie est révélée à tous et les évènements  qui l’ont conduite au drame amènent un éclairage nouveau sur les circonstances des faits qui lui sont reprochés. Au fil des mois, chacun devra s’interroger sur ses valeurs et ses principes, et accepter de revenir sur ses premières impressions, même si personne ne peut changer le cours du temps.


C’est le premier roman d’Hannah Kent, une Australienne, qui a vécu en Islande. Elle s’est inspirée d’une histoire vraie et a cherché à faire émerger la femme sous le monstre que représentait  Agnes Magnúsdóttir pour la société de l’époque. En donnant la parole à Agnès, en parallèle avec une narration à la troisième personne, elle montre comment la voix des femmes pouvait être ignorée et aussi pourquoi il pouvait être bénéfique de travestir la vérité, parfois, afin de se protéger.

C’est une histoire forte et poignante, avec un rythme un peu lent parfois. C’est aussi un hymne à la nature islandaise, sauvage et authentique, dont la rudesse façonne le caractère de ceux qui y vivent.

Une belle découverte grâce à Babelio et aux Presses de la Cité, que je remercie pour l’envoi de ce livre.

A consulter : l'interview de l'auteur sur le site de Feedbooks.

jeudi 29 mai 2014

Je m'en vais

Je m'en vais - Jean Echenoz
Les éditions de Minuit (1999)

Je m’en vais, c’est la première et la dernière phrase de ce livre de Jean Echenoz. Entre les deux, plusieurs mois se seront écoulés et le héros, Félix Ferrer,  aura vécu un bouleversement total de sa vie trop tranquille de marchand d’art.
En vrac : il quitte sa femme, se lance à la recherche d’un bateau échoué sur la banquise, censé contenir des œuvres d’art paléobaleinier rarissimes, le trouve et ramène à Paris un trésor inestimable qu’il se fait voler aussi sec. Il est victime d’un infarctus, fait la connaissance d’Hélène, une jeune femme insolite en comparaison de ses conquêtes habituelles, se lance à la poursuite de son voleur.
En parallèle, nous suivons un certain Baumgartner, le voleur, dans l’organisation du vol, puis dans sa fuite dans le sud-ouest de la France et en Espagne. Qui est-il, comment a-t-il appris la présence du trésor de Ferrer et pourquoi l’a-t-il volé ? C’est ce nous découvrirons, en même temps que Ferrer.


Je me suis régalée lors de cette lecture, rythmée, cocasse parfois, pleine d’humour toujours. J’aime beaucoup l’écriture de Jean Echenoz. Il ne se prend pas au sérieux même s’il évoque des thèmes sérieux, et termine toujours par une pirouette qui fait sourire le lecteur. Et puis, avec Jean Echenoz, les objets sont vivants, on a l’impression qu’ils participent à l’aventure, que tout peut arriver, il suffit d’oser.

Une bouffée d’air frais, que ce livre, qui a obtenu le prix Goncourt en 1999

Un extrait (page 11) :
Puis c'est toujours pareil, on patiente, d'une oreille évasive on écoute les annonces enregistrées, d'un œil absent on suit les démonstrations de sécurité. L'appareil finit par se mettre en mouvement, d'abord imperceptiblement puis de plus en plus vite et l'on décolle cap nord-ouest vers des nuages que l'on traverse. Entre ceux-ci, plus tard, penché contre la vitre, Ferrer va distinguer une étendue de mer, ornée d'une île qu'il ne pourra identifier, puis une étendue de terre au cœur de laquelle c'est un lac, cette fois, dont il ne connaîtra pas le nom. Il somnole, il suit nonchalamment sur un écran quelques prégénériques de films qu'il a du mal à regarder jusqu'au bout, distrait par les allées et venues des hôtesses qui ne sont peut-être plus ce qu'elles ont été, il est parfaitement seul.

Troisième lecture ce mois-ci pour le challenge d'Antigone, Objectif Pal 2014.

dimanche 25 mai 2014

La chambre des officiers

La chambre des officiers - Marc Dugain
Éditions JC Lattès (1998)
Lu en collection de poche chez Pocket.

Adrien, jeune ingénieur originaire de Dordogne est mobilisé comme officier dans les tous premiers jours de la guerre 14 et envoyé sur le front, sur la Meuse. Lors de sa première mission de reconnaissance, il est frappé par un obus au visage. Hospitalisé au Val de Grâce, il va y passer toute la durée du conflit,  en compagnie d’autres gueules cassées comme lui, à l’abri des regards du reste du monde, taisant leurs blessures à leurs proches, craignant la confrontation avec l’horreur qu’ils savent susciter avec leurs visages dévastés.

Ce livre était dans ma PAL depuis longtemps. Je dois avouer que j’avais une certaine appréhension à commencer sa lecture, en raison du sujet, bien sûr. Je craignais des descriptions insoutenables, des situations terribles, qui m’auraient donné des cauchemars. De ce côté-là, je me trompais.
L’auteur reste mesuré, ne cherche pas le sensationnalisme ni les effets sanglants. Il se contente, par la voix d’Adrien, de raconter, en direct, ce qu’il vit, ressent, de décrire ses espoirs et ses moments de détresse. En revanche, il évoque assez peu la douleur physique, alors qu’elle devait être très présente à cette époque. De même, il passe rapidement sur les multiples opérations qu’il doit subir, pour essayer de recouvrer un semblant de visage.

En résumé, c’est un témoignage poignant sur ces blessés de la guerre 14-18, marqués dans leur chair d’une horrible façon jusqu’à la fin de leur vie, mais qui se lit aisément, en raison de la retenue de l’auteur.


Avec ce titre, je participe au challenge d'Antigone, Objectif Pal 2014, pour la deuxième fois ce mois-ci, ce qui est exceptionnel !

jeudi 8 mai 2014

Les mains nues

Les Mains nues - Simonetta Greggio
Éditions Stock (2009)

Emma est vétérinaire, elle vit seule à la campagne, en contact étroit avec la nature. Son métier est tout pour elle. C’est les mains nues qu’elle va sortir les veaux de l’utérus de leur mère. Petit à petit, Emma se raconte, elle dit les trahisons qui l’ont amenée là où elle vit. Celle de Raphaël, qu’elle a aimé et qui lui a un temps préféré Micol, qui était aussi l’amie d’Emma. Celle de Micol qui s’est attaché Raphaël en lui faisant un enfant, Gio. Plus tard, lorsque Raphaël est revenu vers elle, Emma l’a renvoyé vers son foyer, vers Micol et les enfants, encore blessée par le passé, et elle a fui vers la campagne.
Les années ont passé. Un jour, Emma a la surprise de voir Gio, âgé de quatorze ans, débarquer dans sa campagne, il a fugué et vient se réfugier chez elle. Il repart chez lui au bout de quelques jours, pour revenir s’installer chez Emma, à la faveur des vacances et en accord avec ses parents. Pour Emma, habituée à la solitude, la présence de Gio réactive des sensations de jeunesse et de liberté, qu’elle n’avait plus éprouvées depuis longtemps. Ils deviennent amants. Mais lorsque Micol découvre leur relation, Emma doit faire face à la justice et à la réprobation de son entourage.


En cherchant sur Internet la photo de couverture du livre pour illustrer ce billet, je remarque le bandeau qui l’accompagnait lors de sa parution, avec la mention « Le diable au corps ». Je trouve que cette mention est vraiment trompeuse, car la relation entre Emma et Gio tient une place assez réduite dans cette histoire, même si elle constitue évidemment un pivot dans l’existence d’Emma. L’auteur reste très sobre dans sa description des relations entre la jeune femme et l’adolescent, même s’il est clair qu’elle en assume complétement le côté amoral. D’ailleurs, les moments que passe Emma en compagnie de Gio sont vraiment des instants de bonheur, comme une récompense des expériences douloureuses du passé, et qui lui serviront à supporter la suite des évènements.

J’ai beaucoup aimé dans ce livre le rapport d’Emma à la nature et aux animaux qu’elle soigne avec passion, ainsi que les souvenirs de sa mère, évoqués avec une grande tendresse. En revanche, j’ai moins apprécié la narration des relations entre Emma, Raphaël et Micol, un peu caricaturales à mon goût.
Mais l’impression globale à l’issue de cette lecture est plutôt positive et je lirai certainement les autres livres de Simonetta Greggio pour la découvrir davantage.

Extrait page 85-86 :
Je ne sais pas si cette photo je l’ai toujours quelque part ou si elle a été perdue dans mes déménagements successifs, si elle est restée au fond d’un carton ou entre les pages d’un livre, ni si elle réapparaîtra un jour, mais c’est là, maintenant, que je voudrais la revoir et revenir un instant dans la peau de cette fille, dans cet habit lisse, étroitement ajusté, qui l’enveloppait, et ressentir à nouveau ce courage aveugle, cette virginité du mal. L’intrépidité, l’effronterie et la confiance mêlées.
Il faudrait que j’explique à cette fille que quand on tient un amour on le garde, on le défend contre lui-même et contre les autres. Que les hommes sont lâches, fragiles et idiots. Qu’ils s’en vont avec la plus forte, et que leur faiblesse et leur orgueil les empêchent de revenir, même quand ils se sont trompés.

Les avis de Papillon, Lily, Mirontaine et d'autres encore sur le site Lecture/écriture.

Regardez cette interview de Simonetta Greggio par Olivier Barrot que j'ai découverte sur le site de L'Ina.





Lu dans le cadre du challenge Objectif Pal 2014 d'Antigone.

lundi 28 avril 2014

La douce tranquillité des samedis

La douce tranquillité des samedisAlexander McCall
Éditions des deux terres (2009)
Traduit de l’anglais par Martine Skopan


Dans ce nouvel épisode, Isabelle tente d’aider un homme à retrouver sa dignité et à reprendre goût à la vie. Le docteur Moncrieff a été accusé d’avoir falsifié les données d’une étude concernant un médicament, et contribué ainsi, de manière indirecte, à la mort d’un patient. Suite au scandale qui a éclaté, le docteur Moncrieff a vu sa carrière stoppée net et il a sombré dans une dépression profonde. Sollicitée par son épouse Stella, persuadée de l’innocence de son mari, Isabelle ne peut qu’accepter d’enquêter  sur l’affaire, incapable de résister à un appel à l’aide, dès qu’elle a l’impression que des injustices ont été commises.
Pourtant, Isabelle aurait bien d’autres chats à fouetter : Elle a accepté de remplacer une nouvelle fois sa nièce Cat à la boutique épicerie fine-salon de thé qu’elle tient, ce qui lui occasionne une fois de plus quelques incompréhensions dans ses relations avec Eddy, l’employé. Le comportement de celui-ci reste toujours une énigme.
L’éthique d’Isabelle se trouve mise à mal dans son activité de directrice de revue lorsqu’elle reçoit un article de Christopher Dove, auquel elle n’a pas pardonné d’avoir essayé de prendre sa place dans l’équipe de rédaction. Doit-elle publier son article, même si elle ne le trouve pas digne d’intérêt, afin d’éviter d’être suspectée de partialité, étant donné leur passif ? Mais si elle le publie, ne cède-t-elle pas à une manipulation de Dove, qui souhaiterait profiter des  scrupules d’Isabelle, dont il est sans doute très conscient.
Et à titre personnel, Isabelle doit faire face à un sentiment nouveau pour elle, la jalousie. En effet, Jamie, son amoureux, a fait connaissance d’un jeune compositeur venu d’Amérique, et cette nouvelle relation provoque un certain malaise chez Isabelle et une crainte face aux changements qui pourraient en découler.


Encore une fois, Isabelle est sollicitée sur plusieurs fronts à la fois, et son existence calme et équilibrée est assez bousculée dans cet épisode. Comme d’habitude, après s’être lancée sur de fausses pistes, la jeune femme doit accepter de reconnaître ses erreurs, de revenir à la simplicité et de savourer la tranquillité retrouvée, une fois que les mystères sont éclaircis et que les malentendus sont levés !
Je continue ma lecture de la série Les enquêtes d'Isabel Dalhousie. Ce cinquième épisode est un peu moins passionnant que les autres, à mon goût. Ou bien c'est que je commence peut-être à saturer ? J'aime toujours autant l'humour de l'auteur sur la société écossaise qui pointe toujours derrière les péripéties d'Isabelle et c'est ce qui donne vraiment beaucoup de charme à cette série.

D'autres avis sur ce livre : Cécile et Clarabel qui découvre la série avec ce n°5.

dimanche 27 avril 2014

Le peuple d'en bas

Le peuple d’en basJack London
Éditions Phébus (1999) collection Libretto.
Traduit de l’anglais par François Postif
Introduction de Noël Mauberret.


En 1902, Jack London séjourne à Londres, afin d’explorer les bas-fonds londoniens et le quartier d’East End. Afin de vivre l’expérience par lui-même plutôt que de rapporter les propos des autres, il se déguise en clochard et s’intègre à la population locale, tentant de comprendre les rouages d’une société de misère au sein d’un Empire florissant.

C’est un constat terrible qui est dressé dans ce récit. Jack London montre comment les pauvres de l’East End n’ont aucune chance de sortir de l’enfer, de l’Abîme comme il le nomme. Ceux qui travaillent sont payés une misère, épuisant leur force vive à tenter de survivre, dans des logements insalubres et surpeuplés.

Lorsqu’ils ne peuvent plus payer leur loyer, ils se retrouvent à la rue et sont alors entrainés dans un cercle vicieux dont il est impossible de sortir. Ainsi, il est interdit de dormir la nuit dans l’espace public, la police s’emploie très efficacement à pourchasser ceux qui tentent de s’assoupir  dans la rue ou dans les jardins. Les sans-logis n’ont alors pas d’autre choix que de passer la nuit à errer dans le froid. Il faut donc le lendemain décider de chercher un travail, alors que l’on n’a pas dormi, ou faire la queue devant un asile dans l’espoir d’un abri pour la nuit suivante.

Jack London s’est aussi rendu à la campagne, dans les zones où l’on cultive le houblon. La récolte réclame beaucoup de bras, mais là aussi, les conditions de vie et de travail sont très difficiles et l’exploitation des ouvriers leur laisse peu de chances de sortir du cercle infernal de la misère.

Dans le dernier chapitre, Jack London compare la situation des Inuits à celle des habitants de l’East End londonien. Malgré la rudesse de la vie dans le Grand Nord, celle-ci lui semble mille fois préférable à l’horreur insoutenable de l’existence dans les bas-fonds londoniens du début du XXème siècle.

C’est une lecture qui fait froid dans le dos, qui décrit une réalité glaçante à laquelle je ne m’attendais pas en ouvrant ce livre, que m’avait offert Cryssilda dans le cadre du swap London en 2008. Merci à elle de m’avoir donné l’occasion de découvrir un autre aspect de l’œuvre de Jack London.



Lu pour le challenge Objectif Pal 2014 d’Antigone.







Un extrait (page 98), où London raconte sa nuit passée dans un asile, où il a réussi à se faire héberger, après plusieurs tentatives infructueuses :
Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi avant que je fusse capable de trouver le sommeil. Il était seulement sept heures du soir, et les voix perçantes des enfants se firent entendre jusqu'à ce qu'il fût presque minuit, heure à laquelle ils cessèrent leurs jeux dans la rue. L'odeur était infecte et nauséabonde, mon imagination vagabondait, et ma peau même me donnait le sentiment que j'approchais des bords de la folie. De tous côtés, des grognements, des soupirs et des ronflements m'enveloppaient comme l'auraient fait les beuglements sourds de quelque monstre marin. Plusieurs fois, sous l'emprise d'un cauchemar, l'un d'entre nous, par ses cris d'épouvante, nous réveillait tous. Au petit jour, je fus tiré du sommeil par un rat ou je ne sais quelle bestiole qui trottait sur ma poitrine. Dans le passage rapide qui va du sommeil au réveil, avant de recouvrer la totalité de mes esprits, je poussai un hurlement à réveiller les morts. Je ne réussis malheureusement qu'à réveiller les vivants, qui m'abreuvèrent d'injures pour les avoir si discourtoisement dérangés.
Les avis d'Isil, d'EmiLie et d'Agnés.

vendredi 18 avril 2014

Chroniques de l'asphalte 1/5

Chroniques de l’asphalteSamuel Benchetrit
Publié chez Julliard (2005)

Samuel Benchetrit a décidé de raconter les trente premières années de sa vie en cinq volumes. Le premier de la série est sous-titré  « Le temps des tours ». L’auteur y évoque son enfance dans une cité de banlieue, dans une tour où il se passe toujours quelque chose, à chaque étage, dans l’ascenseur, dans le hall et même sur le toit.
C’est une peinture très vivante de la vie des cités qui ressort de ce livre, contée du point de vue de l’enfant qu’il est à ce moment-là : Les jeux entre gamins, les trafics divers au pied de la tour, les péripéties familiales des habitants de l’immeuble. A travers des épisodes cocasses ou dramatiques, Samuel Benchetrit décrit avec candeur les petites choses du quotidien, tout ce qui constituera plus tard les souvenirs d’une enfance banale, avec  sa dose de rêves et de frustration.

J’avais commencé ce livre avec un a priori un peu défavorable vis-à-vis de l’auteur et j’ai été agréablement surprise par la construction de ces chroniques et leur contenu, sans polémique aucune, c’est justement ce qui fait mouche et qui donne envie de lire les épisodes suivants.

D'autres avis trouvés sur le web ici ou .

samedi 5 avril 2014

Le bon usage des compliments

Le bon usage des complimentsAlexander McCall Smith
Editions des Deux Terres (2008)
Traduit de l’anglais par Martine Skopan

 
La vie d’Isabel a bien changé depuis l’épisode précédent puisqu’elle est maintenant mère d’un petit Charlie. Elle a d’ailleurs parfois du mal à s’imposer face à Grace, sa gouvernante, qui s’est transformée en une Nounou presque trop consciencieuse. Elle doit également faire face à une attaque en règle de sa position de rédactrice en chef de la Revue d’éthique appliquée, puisque le professeur Lettuce, le président du comité de rédaction, la licencie et veut la remplacer par Christopher Dove, un bellâtre qu’Isabel  n’apprécie pas. Bien décidée à ne pas abandonner la Revue pour laquelle elle a tant œuvré, Isabel s’interroge malgré tout sur l’éthique de la solution qu’elle a trouvée.
En parallèle à ces démêlés qui la touchent personnellement, Isabel se trouve confrontée à ce qui semble être une affaire de faux tableaux. Elle convoitait une peinture d’Andrew McInnes, un peintre décédé par noyade, vendue aux enchères mais c’est un autre acheteur qui l’emporte. Isabel est très surprise, quelques jours plus tard, de se voir proposer le tableau, par l’intermédiaire d’un ami commun. Elle se demande ce que cache ce revirement chez l’acheteur et la voilà de nouveau sur la piste d’un mystère, qui va une fois de plus lui donner l’occasion de s’occuper des affaires d’autrui. Toujours le même dilemme : Faut-il dire ou pas la vérité ?


J’ai beaucoup aimé ce quatrième épisode de la série des enquêtes d’Isabel Dalhousie. L’affaire du tableau réserve quelques surprises à Isabel, et au lecteur par la même occasion, et permet à l’histoire de sortir d’Édimbourg et de vagabonder dans la campagne et dans les contrées du nord de l’Écosse. Comme toujours, il y a beaucoup d’humour dans ces pages et j’apprécie tout particulièrement d’en apprendre toujours plus sur la culture écossaise, qu’il s’agisse des écrivains et des poètes, Auden par exemple, ou des peintres comme Peploe ou Vettriano.
Volontairement, je ne parle pas dans ce billet de Jamie, qui tient toujours une part importante dans la vie d’Isabel. Il faut bien laisser quelque chose à découvrir aux futurs lecteurs !

L'avis de Myrtille, illustré de quelques photos et peintures et celui de FondantOChocolat.

dimanche 30 mars 2014

Un don

Un donToni Morrison
Christian Bourgois éditeur (2009)
Traduit de l’anglais par Anne Wicke


Je n’avais encore jamais lu Toni Morrison et c’est avec ce livre, dans le cadre du challenge Objectif PAL, que j’aborde son œuvre. J’avais lu de nombreux commentaires élogieux à propos de ce roman, mais je n’avais pas du tout retenu l’histoire. Aussi, c’est avec une certaine curiosité que j’ai commencé cette lecture, sans savoir réellement à quoi m’attendre, et j’ai été assez surprise par ce que j’y ai trouvé.

Première surprise : l’époque à laquelle se déroule l’intrigue, la fin du 17ème siècle, dans ce qui n’est pas encore les Etats-Unis. Jakob Vaark, venu d’Europe, a établi sa ferme en Virginie, et vit quasi en autarcie dans une nature encore sauvage et parfois hostile, se mêlant peu à la communauté baptiste qui constitue son voisinage. A cette époque, la traite négrière commence à prendre son essor mais n’est pas encore généralisée. D’ailleurs, Jakob n’y est pas favorable et c’est bien malgré lui qu’il se retrouve contraint d’accepter une fillette noire, Florens, en paiement d’une dette. Sa seule motivation est que la présence de la fillette aidera sa femme Rebekka à surmonter la perte de leur propre enfant, morte la tête fracassée par le sabot d’un cheval. A la ferme travaille déjà Lina, une indienne rescapée du massacre de sa tribu, Sorrow, une fillette qui a échappé à la noyade et qui manifeste des troubles de la personnalité, ainsi que deux hommes blancs qui effectuent leurs tâches en paiement de leur voyage depuis l’Europe. Alors que Jakob voit la construction de la demeure de ses rêves s’achever, il succombe à une épidémie de variole, qui contamine également sa veuve Rebekka, contraignant celle-ci à envoyer Florens à la recherche d’un homme capable de la sauver.

Autre surprise : le mode de narration qui alterne la voix de Florens et celle d’un narrateur qui raconte les faits vus successivement par l’ensemble des autres personnages. Ainsi, certains évènements reviennent plusieurs fois dans le récit, sous un éclairage différent, selon le point de vue qui s’exprime. Par exemple, le « don » de Florens, qui donne son titre au roman, en constitue l’ouverture, tel qu’il est vécu par la fillette, dans toute son incompréhension. C’est ensuite le narrateur qui replace l’épisode dans l’existence de Jakob. Finalement, le « don » est une dernière fois évoqué dans les dernières pages, faisant entendre la voix de la mère de Florens, et amenant enfin une touche d’amour et de tendresse.

J’ai été touchée par la force de ce roman, par le style presque incantatoire de Toni Morrison, par l’évocation des conditions de vie de ce petit groupe d’humains isolés dans une nature implacable, luttant tous les jours pour une survie nécessaire mais inexplicable. Qu’est-ce qui pouvait bien les pousser à vivre ainsi, où trouvaient-ils la force de se battre contre des éléments si défavorables ? C’est un vrai questionnement qui se pose pour moi suite à cette lecture.

Avec ce livre, je fais d'une pierre deux coups pour mon avancement dans mes challenges 2014 :
Comme déjà dit plus haut, Objectif Pal 2014 d'Antigone et Romancières américaines de Miss G.
 

jeudi 27 mars 2014

Une question d'attitude

Une question d’attitudeAlexander McCall Smith
Éditions des Deux Terres (2007)
Traduit de l’anglais par Martine Skopan


Dans ce troisième épisode des enquêtes philosophiques d’Isabel Dalhousie, notre philosophe doit faire face à de nombreuses questions d’éthique sur des sujets où elle est concernée en premier chef.
Ainsi, parce qu’elle envisage d’acquérir un logement pour le compte de Grace, sa gouvernante, elle demande à Jamie, l’ex-petit ami de sa nièce pour lequel elle éprouve une certaine attirance, de l’accompagner pour le visiter. La propriétaire, qui ignore les motivations d’Isabel, se méprend sur la nature de ses relations avec Jamie et, attendrie par le couple qu’ils semblent former, baisse de façon importante le prix de vente de l’appartement. Isabel devrait-elle la détromper  et réclamer de payer le juste prix pour cette acquisition ?
Isabel fait la connaissance d’un couple de Texans, venus en Ecosse pour échapper aux températures excessives de leur région d’origine. Lui, Tom Bruce, est un riche homme d’affaires. Angie, sa fiancée, est beaucoup plus jeune que lui et  elle a un comportement très libre avec tous les jeunes hommes qu’elle rencontre, y compris Jamie. Isabel, persuadée qu’Angie n’est intéressée que par l’argent de Tom, se demande si elle doit faire part de ses soupçons à celui-ci.
Et puis, Isabel se pose beaucoup de questions sur sa relation avec Jamie. Si une femme d’un certain âge comme la propriétaire de l’appartement s’est imaginée qu’elle et Jamie pouvaient être en couple, c’est que la situation n’est peut-être pas si improbable. Mais que dirait Cat, sa nièce ? Et puis Jamie ressent-il  les mêmes sentiments qu’elle ? La révélation d’un secret à propos de sa propre mère va changer le point de vue d’Isabel et la pousser à agir.


Ce sont encore une fois des péripéties bien plaisantes qui s’enchainent dans ce livre d’Alexander McCall Smith. L’humour est toujours au rendez-vous et les questions d’éthique qui se posent sont finalement très pertinentes.
J’attends avec impatience de découvrir la suite !

samedi 22 mars 2014

Le club des philosophes amateurs

Le club des philosophes amateursAlexander McCall Smith
Editions des Deux Terres (2005)
Traduit de l’anglais par François Rosso


Alors qu’elle vient d’assister à un concert de l’Orchestre symphonique de Reykjavik à l’Usher Hall et qu’elle discute avec une connaissance au premier balcon, Isabel voit un jeune homme tomber depuis le « paradis », le plus haut niveau de la salle de spectacles, passer à quelques dizaines de centimètres d’elle et s’écraser sur les fauteuils du parterre. Il décède avant d’arriver à l’hôpital. Isabel, très choquée, ne peut s’empêcher de s’intéresser au cas de ce jeune homme, ayant croisé le regard de celui-ci lorsqu’il chutait, ce qui fait d’elle la dernière figure humaine qu’il a vue avant le choc fatal. Elle apprend qu’il aurait pu être au courant de délit d’initiés et se demande alors s’il n’a pas été éliminé en tant que témoin gênant.
Une autre affaire, plus personnelle, perturbe Isabel. Elle n’apprécie pas Toby, le petit ami de sa nièce Cat et ne lui fait pas confiance.  Lorsqu’elle le surprend avec une jeune femme, après une petite filature dont elle n’est pas très fière,  elle hésite sur la conduite à tenir : Doit-elle garder le silence ou informer sa nièce, d’autant que les jeunes gens viennent de se fiancer ?


Ce premier épisode des enquêtes d’Isabel Dalhousie permet de faire connaissance avec les personnages récurrents de cette série écossaise: Isabel, quadragénaire divorcée, philosophe et rédactrice en chef de la Revue d’éthique appliquée, Cat, sa nièce, qui tient une épicerie-salon de thé, Grace, la gouvernante d’Isabel, adepte de spiritisme, Jamie, l’ex-petit ami de Cat dont il est toujours amoureux, Eddie, l’employé de l’épicerie, un jeune homme fragile.
Un autre élément très important dans cette série, c’est la ville d’Édimbourg, qu’Isabel parcourt dans tous les sens, au gré de ses visites ou de ses déplacements pour tenter de résoudre les mystères qu’elle a le chic pour faire éclater. Personnellement, la lecture de chaque épisode me donne envie de suivre les trajets d’Isabel avec Google Maps et de visualiser ce qui est décrit au fil des pages. Alexander McCall Smith est un très bon ambassadeur de la vie et de la culture écossaise !

Comme j’ai abordé cette série dans le désordre, j’étais déjà familiarisée avec le petit monde décrit ici et j’en ai découvert avec plaisir les prémices : l’histoire personnelle d’Isabel, son mariage raté, son travail pour la Revue, la relation entre Cat et Jamie, qui appartient déjà au passé lorsque commence ce premier épisode.
Je comprends également pourquoi cette série est rangée au rayon Policier à la médiathèque. En effet, l’enquête à laquelle se livre Isabel à propos du décès de Mark, le jeune homme qui a chuté et ses premières  pistes de recherche s’apparentent tout à fait à une intrigue policière. Mais, déjà dans ce premier épisode, le lecteur découvre qu’Isabel est prompte à s’emballer et qu’elle adore se mêler des affaires des autres. Elle s’interroge beaucoup sur son comportement et celui des autres, sur les contradictions auxquelles chacun doit faire face et sur la difficulté d’agir selon ses principes. Une lecture divertissante, mais pas seulement !
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mardi 18 mars 2014

The thing around your neck

The thing around your neckChimamanda Ngozi Adichie
Fourth Estate (2009)
Publié en français chez Gallimard sous le titre Autour de ton cou.


J’ai souvent du mal avec les nouvelles, je reste sur ma faim car je trouve que l’histoire aurait nécessité un développement plus important ou alors je ne rentre pas dans l’histoire car elle se termine trop vite à mon gré.
Mais, une fois n’est pas coutume, je ne peux faire aucun de ces reproches au recueil de Chimamanda Ngozi Adichie, que j’ai lu en anglais, au hasard d'un emprunt. 

Je n’ai eu aucun mal à saisir l’ambiance de ces nouvelles qui, pour onze d’entre elles, mettent en scène des femmes Nigérianes, dans leur pays natal, ou bien ailleurs en Afrique, ou encore émigrées aux États-Unis.
Dans Cell One, qui ouvre le recueil, une adolescente découvre son frère sous un jour nouveau alors qu’il est emprisonné parce qu’on le soupçonne d’appartenir à une secte. A travers ce qui lui arrive, toute la famille va être confrontée à l’horreur quotidienne de l’oppression. C’est une histoire glaçante, qui raconte en peu de mots la réalité d’un régime autoritaire et corrompu.
Dans The private experience, deux femmes se réfugient pendant une longue nuit dans une boutique dévastée, alors que des émeutes mettent la ville à feux et à sang. L’une est une étudiante chrétienne, en vacances chez sa tante, elle a perdu sa sœur dans la bousculade générale. L’autre, musulmane, est une vendeuse de légumes, et c’est sa fille qui a disparu. Tout les sépare et pourtant, durant ces heures qu’elles vont passer ensemble, effrayées et vulnérables, elles vont établir un lien de solidarité et une prise de conscience de leurs situations respectives.
Dans Ghosts, un vieil homme habitué à parler au fantôme de sa femme décédée, croit également voir le fantôme d’un ami, qu’il croyait mort depuis la guerre du Biafra. Mais l’ami est bien vivant, il a survécu aux combats et tous deux évoquent ensemble les années passées.
Dans The Arrangers of Marriage, une jeune épousée, dont le mariage a été arrangé, arrive aux  États-Unis avec son mari, qu’elle croit médecin aisé et intégré. En fait, il est encore interne, a du mal à joindre les deux bouts et n’assume pas du tout son identité. Il insiste pour qu’elle ne parle qu’anglais, qu’elle adopte comme lui un prénom américain et renie leur culture et leurs traditions. La jeune femme va néanmoins trouver dans ce nouveau pays les ressources pour s’émanciper et découvrir la liberté.
J’ai été très émue par The American Embassy : Une femme vient déposer une demande d’asile politique à l’ambassade des Etats-Unis. Son mari a dû quitter le pays et son jeune fils a été tué. Mais elle ne peut se résoudre à se servir de la mort de son fils pour justifier sa demande et rebrousse chemin. 

En fait, il faudrait les citer toutes, ces douze nouvelles qui en disent tant sur la société nigériane, sur les  femmes et les hommes de ce pays, sur la guerre du Biafra qui est évoquée à plusieurs reprises, et qui semble avoir laissé des traces dans l’histoire du pays. Je dois avouer que j’aurais été incapable de situer cette guerre au Nigéria, bien que je me souvienne de ces photos d’enfants affamés qui étaient insoutenables.

En cherchant un peu sur la Toile, j’ai trouvé de nombreuses références à la littérature Nigériane, comme ici, par exemple, ce qui m’a donné des idées de lecture, pour changer des auteurs que je lis habituellement et sortir des sentiers battus.

Pour ceux que ça intéresse, la fiche du livre chez Gallimard donne accès au début de la première nouvelle du recueil, Cellule Un .
J’ai trouvé la même nouvelle complète, en anglais sur le site du New Yorker, ainsi que celle qui clôt le recueil, The headstrong historian.

Une très belle découverte que Chimamanda Ngozi Adichie, que je poursuis actuellement en lisant un de ses romans, L’hibiscus pourpre.

D'autres avis à lire  avec l'article de Tirthankar Chanda sur RFI ou à écouter avec la chronique d’Hortense Volle dans l’émission L’Afrique enchantée du 24 février 2013.
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