mercredi 22 mars 2017

Savannah

Savannah – Jean Rolin

P.O.L (2015)

Le 27 août 2014, Jean Rolin atterrit à Savannah, dans l’état de Géorgie, là où il séjourna en 2007 avec sa compagne, Kate Barry, décédée depuis en 2013. À l’époque, ils avaient entrepris ce voyage sur les traces de Flannery O’Connor, romancière américaine à laquelle Kate voulait consacrer un film. Maintenant, en 2014, c’est sur leurs propres traces, celle de Kate et la sienne, que revient l’écrivain, tentant de remettre ses pas dans ceux de 2007, se remémorant leur voyage, en s’aidant des bouts de films et des photos de Kate. 

C’est à la fois un journal de voyage et un tombeau à l’absente que propose Jean Rolin avec ce livre. Son insistance à refaire exactement les mêmes choses qu’en 2007 est très touchante, même si c’est parfois impossible. Ainsi, le motel où ils s’étaient installés est fermé, l’obligeant à prendre une chambre ailleurs. De même, il passe du temps à retrouver le reflet des deux palmiers dans une flaque d’eau, ce qui finit par arriver après un orage providentiel le 2 septembre.

Un texte émouvant mais jamais triste, tant Jean Rolin s’attache à montrer la gaité et la fantaisie de sa compagne, sa facilité à nouer des relations amicales avec les gens qu’elle rencontre, comme le chauffeur de taxi qui va les accompagner plusieurs jours dans leurs déplacements. Et pourtant, on sent bien la peine de l’auteur, prête à surgir, mais qu’il maintient à distance en s’obligeant à reconstituer au plus près les étapes du voyage. Une grande tendresse s’exprime dans ce témoignage poétique et sincère.

Extrait page 102-103
Le jour même de mon retour à Savannah, dans les heures qui suivirent je revis le petit homme au parapluie roulé : il était en train de fumer, assis sur un muret faisant face à la grille cadenassée du motel en friche, et dans une position telle qu’il se serait trouvé dans le champ des images faites par Kate le soir de notre installation dans ce motel. Auparavant, sitôt débarqué du bus en provenance de Macon, je m’étais rendu au musée d’histoire locale, lequel est situé non loin de la gare routière. Je m’y étais rendu pour la raison que lors de notre séjour précédent, Kate en avait filmé les collections de manière apparemment exhaustive, sans opérer de choix parmi les objets exposés – une locomotive, une pirogue, un buste de Toussaint-Louverture, un cabinet dentaire reconstitué, des costumes, le portrait d’un petit garçon noir ayant fui l’esclavage et devenu tambour dans l’armée nordiste… -,un peu, me semble-t-il, comme elle avait filmé dans l’avion les consignes de sécurité, ou dans la cathédrale le DVD retraçant l’histoire de celle-ci.
Ne manquez pas le billet de La Liseuse à propos de ce livre avec un complément très intéressant sur Flannery O'Connor.
J'ai apprécié également les critiques parues dans l'Express et Libération.

Le 11 juin 2015, la radio FIP avait consacré une émission à ce livre, avec une mise en ondes que l'on peut ré-écouter ici.

vendredi 10 mars 2017

Sagan et fils

Sagan et fils – Denis Westhoff

Stock (2012)

Extrait page 11
Les temps sont durs depuis que Sagan n’est plus là pour faire des bêtises. La légende Sagan n’a plus la vie facile. D’une certaine manière, et un peu par la force des choses, aujourd’hui c’est moi qui l’ai récupérée, recueillie. Je ne peux pas dire qu’elle ne soit pas agaçante, avec sa manie de répéter tout le temps les mêmes histoires, mais au fond elle est plutôt gaie et assez confortable. Gaie parce qu’il est vrai, disait ma mère, que « boîtes de nuit, whisky et Ferrari valent mieux que cuisine, tricot et économies », et confortable parce que les gens ont tendance à s’y conformer. Cette légende me fait penser à une colocataire bavarde, un peu encombrante, mais toujours de bonne humeur, à qui vous confiez vos visiteurs les plus barbants, ceux dont vous ne parvenez plus, en fin de soirée, à vous dépêtrer. Mais le principal attrait de cette légende – et ce qui la caractérise très particulièrement par rapport à ma mère – est qu’elle a un tas, je dirais une multitude d’histoires à raconter. Je crois qu’il existe peu de personnalités – de « pipaule » comme j’ai vu un jour écrit dans la presse – dont la légende soit aussi riche, aussi variée, et dont la vitalité et la longévité soient telles. Au faîte de la gloire de ma mère, au cours des mois puis des années qui ont suivi Bonjour tristesse, la légende avait pris une telle ampleur qu’elle avait pratiquement phagocyté son nom et le fait qu’elle fût écrivain. Sagan n’était plus qu’une légende. On pourrait presque dire qu’une légende était Sagan.
Dans l’introduction d’où provient cet extrait, Denis Westhoff, le fils unique de Françoise Sagan, explique comment il a été amené à écrire ce livre sur sa mère. Il souhaitait rétablir une certaine vérité, car il avait été choqué de certains propos qu’il avait pu lire dans les biographies consacrées à Sagan. Il voulait montrer que sa mère ne se limitait pas au personnage que la légende avait créé, qu’elle était un écrivain, une femme, une mère, une amie. Ce sont toutes ces facettes qu’il présente dans ce livre, écrit avec le cœur, tout en ayant conscience qu’il n’a connu de sa mère que la moitié de sa vie à elle et que son récit est donc forcément partial.

Un livre sincère, émouvant, qui présente Sagan sous un jour inhabituel mais ça fait du bien de la voir autrement que comme une fêtarde, qu’elle a bien sûr été à certaines périodes de sa vie, une consommatrice de substances illicites – aucun doute à ce sujet non plus. Un livre qui confirme l’élégance en toutes occasions de cette femme, son humilité par rapport à son œuvre, sa fidélité en amitié. Un livre qui me donne envie de découvrir les œuvres de maturité de Sagan, moi qui me suis jusqu’à présent limitée à ses premiers romans. Il y a bien longtemps que je ne l’ai plus lue…

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