lundi 27 juillet 2020

Heather Mallender a disparu

Heather Mallender a disparu – Robert Goddard

Sonatine (2012)
Traduit de l’anglais par Catherine Orsot Cochard

Harry Barnett, la cinquantaine, a quitté l’Angleterre après des déboires professionnels, pour s’exiler à Rhodes, où il est devenu le gardien de la villa de vacances d’Alan Dysart, un homme politique britannique avec lequel il est ami depuis longtemps. Désabusé et alcoolique, Harry mène une existence terne et monotone où il se complait.
Sa routine est agréablement dérangée par l’arrivée d’Heather Mallender, une jeune femme venue se ressourcer après une période de dépression, suite à la mort violente de sa sœur dans une explosion revendiquée par L’IRA. À sa demande, Harry lui fait visiter l’île et une relation amicale se noue entre les deux. Peu avant son retour en Angleterre, Heather demande à Harry de l’accompagner de nouveau sur le mont Prophitis Ilias. Harry, fatigué, laisse la jeune femme se lancer dans l’ascension du mont. Mais elle ne revient pas. Les secours et la police, malgré leurs recherches, ne la retrouvent pas.
Harry, qui a travaillé pour le père d’Heather et qui a été licencié pour cause de malversations, est évidemment le premier soupçonné de la disparition d’Heather. Mais en l’absence de preuves, il est finalement relâché. Alors qu’il s’occupe de rassembler les affaires de la jeune femme, il découvre le récépissé de dépôt d’une pellicule photographique. Il récupère les clichés et se rend compte que les vingt-quatre photos reconstituent le parcours d’Heather au cours des derniers mois. Il comprend qu'ils illustrent son enquête personnelle pour comprendre l’assassinat de sa sœur. Harry décide alors de se remettre dans les pas d’Heather, espérant trouver ce qu’il est advenu de la jeune fille. Le voilà donc de retour en Angleterre, tenu d’affronter des gens avec lesquels il n’est pas en bon terme, la famille d’Heather en premier lieu.

Le démarrage de ce roman est lent, pas vraiment passionnant. Je me sentais écrasée par le soleil de Rhodes et engluée dans la vie monotone de Harry. Mais la découverte des photos et le retour en Angleterre redynamisent l’histoire et j’ai commencé à me prendre au jeu de cette enquête sur les traces d’Heather, au cours de laquelle on en apprend aussi beaucoup sur le personnage de Harry. Confronté à un passé qu'il a voulu fuir, Harry va devoir faire des efforts pour s'extraire de sa déchéance et il va réaliser que certains n'ont pas hésité à profiter de son manque de confiance en soi.

C’est le deuxième roman de Robert Goddard que je lis et j’ai trouvé de nombreuses similitudes entre celui-ci et Sans même un adieu. Un héros malchanceux, à qui rien ne réussit, mais qui trouve dans les valeurs auxquelles il tient l’énergie nécessaire pour se secouer et s’occuper du sort de quelqu’un d’autre.
La construction de l’intrigue est aussi similaire, avec l’aboutissement de la quête du héros aux trois-quarts du roman et la suite de l’histoire avec des rebondissements inattendus dans le dernier quart.

Bref, un thriller modéré, ce qui me convient tout à fait et m’incite à continuer ma découverte des romans de Robert Goddard.

Quelques avis chez Babelio.


lundi 20 juillet 2020

Attentifs ensemble


Attentifs ensemble – Pierre Brasseur

Rivages/Noir (2020)

Ils s’appellent Marion, Franck, Manu, Elena, Tamara, Grégoire, Jean-Marc, Pierre, Hendrix, Sylvain, Alice, Hicham, Basile, Marianne, Youssef, Cyrille, Karim, Lola, Isabelle.
Ils vivent et travaillent à Paris ou en banlieue, viennent de milieux très différents et n’avaient sans doute rien en commun.
Pourtant, ils se retrouvent en fin de semaine dans une ferme isolée de l’Yonne, où Tamara et Jean-Marc, anciens soixante-huitards, vivent en autarcie et les reçoivent sans poser de questions. Certains viennent là pour le plaisir de retrouver les copains, pour jouer au foot, boire des coups autour d'un barbecue.
D’autres, à l’insu des premiers, ont des objectifs très différents, ils ont décidé d’agir contre ce qui les révolte dans la société et ont mis en œuvre une stratégie d’attaque de la banlieue en trois semaines.

Leurs actions commencent doucement par un « prélèvement » de fruits et légumes chez un épicier bio à Clichy et une redistribution au marché de Lorraine dans la même commune. Puis, ensuite, ce sont des cadres qui sont enlevés à leur sortie de l’entreprise, gardés quelques heures puis relâchés sans réelle violence. À chaque fois, les évènements sont filmés puis diffusés sur le Net, revendiqués par un mystérieux mouvement, le FRP, qui se réclame à la fois du Général de Gaulle, le résistant et pas le président qu’il est devenu par la suite, et de principes de solidarité et de fraternité.

La police met du temps à réagir aux premières actions, puis confie l’affaire à Guillaume Wouters, un capitaine spécialisé dans les nouvelles formes de militantisme, que sa concierge prend pour un bénéficiaire du RSA qu’elle ne se prive pas de critiquer auprès du voisinage. Puis, lorsqu’il devient clair que ces actions vont au-delà de la farce, la sous-direction antiterroriste prend les choses en main, tandis que l’angoisse commence à monter dans l’opinion.

C’est un roman efficace, qui privilégie l’action tout azimut et j’ai eu un peu de mal au début avec cette lecture tant elle diffère de la précédente ! Là-bas, trois pas dans une rue de Paris pouvaient donner lieu à une quinzaine de phrases de description. Ici, tout va vite, les actions s’enchaînent, se déroulent parfois en parallèle, les intervenants sur une action ont des missions simples, qui se succèdent parfaitement dans une mécanique bien préparée. On est en plein dans l’actualité, l’informaticien qui pilote la réalisation et la mise en ligne des vidéos est un as de la technique, un champion de la communication, percutant et habile qui sait à merveille exploiter les outils à sa disposition.

Dommage que les personnages soient peu fouillés, parfois à la limite de la caricature. Personnellement, j’aurais aimé en savoir un peu plus sur leur passé, leurs motivations, mais cela aurait forcément ralenti le rythme.
Passée la surprise des premières actions menées, j’ai été assez captivée par la façon dont est menée l’enquête des forces de police, l’importance d’un indice minime repéré sur une vidéo et qui va se révéler déterminant dans le démantèlement du groupe.
La façon dont ce qui aurait pu rester au niveau de farces potaches peut se transformer en action terroriste, aussi bien par l’extrémisme de certains des militants que par l’intervention policière est très emblématique des dérives que l’on a pu observer dans des mouvements récents. Ça fait peur et ça donne à réfléchir !

Un extrait page 69 :
Ils traversent des zones commerciales qui montrent la manière dont notre vieille France a été découpée à l'équerre : « Les managers sont les nazis d'aujourd'hui, affirme Marion, et nous, nous sommes les résistants. » Franck ne répond pas, et elle songe qu'ils devront frapper ces ZAC infernales, un jour, s'ils en ont le temps. Mais elle sait bien qu'ils ne l'auront pas, et pourront seulement souhaiter que des inconnus poursuivent leur travail dans des banlieues de plus en plus lointaines, Beauvais voire Dieppe et Orléans, jusqu'à Bombay et à Rio - où ils seront déjà, grâce à l'argent de la maison, transféré par Hendrix sur des comptes étrangers, pour s'y construire de nouvelles vies avec l'espoir de rester libres.


Merci à Babelio et aux éditions Rivages qui m'ont adressé ce livre dans le cadre d'une opération Masse Critique.

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jeudi 9 juillet 2020

Dans la main du diable

Dans la main du diable – Anne-Marie Garat

Actes Sud (2006)

Paris, septembre 1913. Gabrielle Demachy accompagne sa tante Agota au ministère de la guerre où celle-ci est convoquée. Immigrée hongroise, Agota vit en France depuis plus de trente ans et elle craint quelque complication administrative qui pourrait aboutir à une expulsion. Mais l’annonce qui leur est faite est tout autre : comme elles le redoutaient depuis longtemps, Endre, le fils d’Agota dont elles étaient sans nouvelles depuis des années, est décédé cinq ans auparavant à Rangoon en Birmanie. Une malle avec des effets personnels est arrivée par bateau au Havre et leur sera livrée pour confirmation de l’identité du défunt. Gabrielle, qui était amoureuse de son cousin, et sa tante sont effondrées et révoltées du peu d’information qui leur est donnée. Le secrétaire du militaire qui les a reçues, Michel Terrier, apparemment ému de leur détresse, promet à Gabrielle de faire son possible pour leur fournir des éclaircissements. Quelques semaines plus tard, il reprend contact avec Gabrielle et lui apprend que la malle a été ramenée par un certain Dr Galay, médecin ayant séjourné aux Colonies à l’époque où Endre y était lui-même. Gabrielle veut immédiatement se rendre chez ce Dr Galay pour l’interroger mais Terrier le lui déconseille fortement. Le médecin a été impliqué dans des affaires pas très nettes et le rencontrer pour lui poser des questions se rapportant à son séjour aux Colonies pourrait être dangereux. Par un heureux concours de circonstances, Terrier repère une annonce proposant un emploi d’institutrice pour s’occuper de la fille du Dr Galay, une fillette de quatre ans, orpheline de mère, laissée jusqu’à présent uniquement aux soins des bonnes de sa grand-mère. Voilà donc un moyen pour Gabrielle de se rapprocher du Dr Galay, sans pour autant dévoiler la raison de son intérêt. Gabrielle obtient le poste et se retrouve à la campagne, dans la maison de la famille Bertin-Galay, où Mathilde Bertin-Galay, la mère du Docteur, a décidé d’envoyer Millie, la fillette dont la santé est assez fragile.

Ainsi commence ce roman-fleuve de 900 pages, et l’on devine très vite que ce Michel Terrier n’est pas que ce modeste secrétaire au ministère de la Guerre et que la mission qu’il confie sur le mode de la plaisanterie à Gabrielle a peut-être d’autres enjeux. Gabrielle a vécu jusque-là une existence très protégée, couvée par deux femmes aimantes et attentionnées. Maintenant qu’elle sait qu’Endre ne reviendra pas, elle a envie de sortir du cocon protecteur et de vivre sa vie en devenant plus indépendante. Et, plus que tout, elle veut découvrir ce qui est arrivé à son cousin. Cet emploi d’institutrice qui lui permet d’entrer subrepticement dans le cercle familial du Dr Galay tombe donc à pic pour répondre à ses aspirations.

J’avais eu l’occasion de découvrir l’écriture d’Anne-Marie Garat avec son roman Le grand Nord-ouest et j’avais été emportée par son souffle épique. Je me souvenais avoir lu des critiques élogieuses sur Dans la main du diable mais jusqu’à présent, j’avais hésité à me lancer dans la lecture de ce gros pavé de 900 pages. C’est l’approche des vacances et l’envie de plonger dans un récit que je devinais mémorable qui m’ont décidée à l’emprunter à la médiathèque .

Autant le dire tout de suite, j’ai été emballée par cette lecture, par le style d’Anne-Marie Garat, par l’abondance des descriptions, par le soin qu’elle met à souligner le moindre détail du décor où évoluent ses personnages, par l’analyse minutieuse de leurs pensées et de leurs états d’âme. Elle ne s’attache pas uniquement aux personnages principaux de l’intrigue, elle accorde la même attention aux seconds rôles, aux différents membres de la famille, aux domestiques, aux voisins, n’hésitant pas à faire de longues digressions pour situer leur environnement, leurs habitudes, leurs occupations professionnelles.

Un exemple avec le frère du Dr Galay, cinéaste, que l’on suit lors du tournage d'un film lorsqu’il réalise quelques scènes dans la propriété familiale, utilisant tous les membres de la maisonnée comme figurants. Au cours d’une conversation avec Gabrielle, il explique son intérêt pour les personnages secondaires de son film, réfutant justement ce terme de secondaire et j’ai eu l’impression qu’Anne-Marie Garat exprimait par son intermédiaire son point de vue rapporté à l’univers du roman.

Extrait page 289 :
Alors Gabrielle, séduite par sa fougue et par sa vitalité, se laissa aller, accoudée à la grande table : le menton dans la main, l’écouta décrire son film avec enthousiasme, comment il adaptait le roman-fleuve d’Eugène Sue en coupant quelques épisodes, en sacrifiant à son corps défendant les péripéties secondaires. Pour garder du nerf à sa fresque, du rythme, il rusait avec les lois avares de l’économie. Mais il ne s’en consolait pas, parce que rien n’est facultatif dans un tel roman !
-- Il n’y a pas d’épisode, ni de personnage secondaire, entendez-vous ? Chacun a sa fonction, chacun réclame d’exister. Chacun est le héros de son histoire personnelle. Chacun donne la chair, le sang, la vie de notre imaginaire, comme dans la vie, nom de Dieu ! Qui est secondaire, dans la vie, hein ? Vous êtes secondaire, vous ? Les gens sont pressés, ils veulent du sommaire, vite raconté ! Et les banquiers sont là pour vous le rappeler : le cinéma, c’est de l’argent : alors on coupe. On fait des petites coupures, vous comprenez ? Moi je veux du souffle, une symphonie luxueuse !
 
Autre exemple de digression, concernant Mathilde Bertin-Galay, qui a pris la suite de son père dans la direction de l’entreprise de biscuit familiale. On la suit dans ses préoccupations de chef d’entreprise, confrontée à une grève, puis face à la nécessité de moderniser et de diversifier la production face aux menaces de guerre qu’elle perçoit très bien. Tout cela contribue à étendre la portée du roman bien au-delà d’une intrigue pourtant déjà bien riche, à l’ancrer dans son époque et à bâtir une fresque d’une ampleur formidable.

Je ne veux pas détailler les rebondissements de ce roman que l’on pourrait présenter comme un roman d’espionnage, puisque c’est la base de l’intrigue, mais c’est aussi tellement plus que cela, que j’aurais l’impression par cette classification de trahir le magnifique travail de l’auteur, autant sur la construction de ce roman-fleuve que sur l’énorme recherche documentaire qui a certainement participé à sa conception.

Une vraie réussite pour moi et j’ai déjà hâte de lire la suite de ce roman qui démarrait une trilogie qui s’étend jusqu’aux années 2010.