vendredi 31 mai 2013

Année bissextile


Année bissextilePeter Cameron
Editions Payot & Rivages (1998)

Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux

New York, 1988. Lillian, trente-cinq ans, célibataire, voit avec angoisse l’horloge biologique tourner et envisage l’insémination artificielle pour combler son désir d’enfant. Ses amis David et Loren ont divorcé, ils se partagent la garde alternée de leur fille Kate, âgée de cinq ans.  David, rédacteur en chef du magazine d’une ligne d’aviation, est tombé amoureux de Heath, un jeune photographe, dont le travail, jusqu’à présent, n’a pas recueilli le succès qu’il mérite. Loren vit avec Gregory,  qui travaille pour la chaîne de télévision ABC et qui se voit proposer un poste de producteur à Los Angeles. Il demande  à Loren de l’accompagner sur la côte Ouest mais la jeune femme a du mal à se détacher de son ex-mari et à le priver de leur fille. L’enlèvement de Kate par l’ex-mari d’une amie, suite à un malheureux quiproquo, va bouleverser les évènements et entraîner un véritable cataclysme pour David et Loren.

 Quant à Heath, la chance semble enfin lui sourire puisque la galerie Shawangunk  bouleverse son programme pour exposer ses photos qui ont séduit Amanda Paine, la directrice. Ce qu’ignore Heath, c’est que le choix d’Amanda est dicté par la rancœur et ne vise qu’à atteindre son amant, Anton Shawangunk, le propriétaire de la galerie, parti en voyage en Europe avec sa femme Solange. Le vernissage tourne à la catastrophe lorsque Heath se retrouve accusé de tentative de meurtre sur la personne de Solange.  

C’est un roman qui se lit d’une traite, tant les rebondissements s’enchaînent dans cette histoire qui nous promène de la côte Est à la côte Ouest des Etats-Unis. Les situations sont quelquefois exagérées mais leur caractère loufoque vient contrebalancer les incertitudes existentielles des personnages principaux, quant à leurs choix de vie, qu’il s’agisse de leurs amours, de leur rôle de parents, de leur refus d’être catalogués de façon immuable. C’est aussi une critique féroce du monde de l’art et le personnage d’Amanda cumule toutes les caractéristiques de la méchante de service ! Il est aussi question de vaudou dans ces pages et personne ne viendra mettre en doute l’utilité de la magie noire, quand elle est au service de la justice et de la vérité !

Je ne connaissais pas Peter Cameron, que j’ai découvert dans ce billet d’In Cold Blog, consacré à un autre livre de l’auteur. En attendant qu’il soit disponible à la médiathèque, je me suis rabattue sur celui-ci et j’ai vraiment savouré cette lecture, pleine d’humour et de fantaisie, très distrayante.

Extrait page 179-180 :

Bouche bée face à l’armoire ouverte, Amanda sentit vaguement l’horrible petite domestique s’approcher d’elle par-derrière, mais elle n’était pas en état de bouger, ni de parler, ni de faire autre chose que d’écarquiller les yeux. L’armoire était remplie de chaussures, les plus splendides du monde. Les objets du désir d’Amanda étaient multiples et complexes, mais les chaussures lui inspiraient une convoitise incommensurable. Ah, quelle envie elle éprouvait de toutes les toucher, de toutes les porter, mais, surtout, de toutes les posséder ! Que la vie était injuste ! Peut-être en essayer rien qu’une paire… Ces escarpins de soie moirée – de quelle couleur étaient-ils ? Un bleu lavande iridescent ? Elle se pencha pour les voir de plus près et bascula en avant dans l’obscurité. Elle s’entendit hurler, sentit sa tête heurter l’une des étagères, puis elle s’effondra sous une avalanche de souliers.

dimanche 19 mai 2013

Promenades avec les hommes


Promenades avec les hommes - Ann Beattie
Paru chez Christian Bourgois éditeur
Traduit de l'anglais par Anne Rabinovitch.



J’ai été attirée par la couverture de ce petit livre d’une centaine de pages exposé en tête d’un des rayonnages de la médiathèque et le nom de l’auteur m’a rappelé l’article que j’avais lu quelques jours plus tôt dans la rubrique Livres de Télérama à propos du dernier livre d’Ann Beattie, Nouvelles du New-Yorker, paru également chez Christian Bourgois.

Je me suis donc lancée dans cette courte histoire, une novella qui nous amène à New York, dans les années 80, en compagnie de Jane, une jeune diplômée d’Harvard, qui se laisse séduire par l’intelligence et l’attention de Neil, un professeur bien plus âgé qu’elle, qui veut se charger de son éducation à la connaissance et au monde. Neil passe rapidement du statut de mentor à celui d’amant, puis de mari, puis disparaît d’un jour à l’autre, la laissant seule face à ses interrogations sur ce qu’elle veut faire de sa vie et sur ce que sont les hommes.

En lisant ce livre, j’ai retrouvé l’ambiance de certains films de Woody Allen, par exemple Whatever Works, qui met en scène un couple assez semblable par la différence d’âge et par la nature de leur relation. L’histoire fait intervenir toute une palette de personnages, le petit ami de Jane, qu’elle a abandonné dans le Vermont et qu’elle retrouve par hasard dans les rues de New York, son amie Janelle qui l’héberge temporairement et qui désapprouve sa relation avec Neil, ses voisins plutôt excentriques mais auprès desquels Jane trouve soutien et compréhension. L’écriture est pleine d’ironie, mais sans cruauté et il ressort une vraie bienveillance de ce texte, qui, au-delà de la relation de Jane et Neil, est aussi, d’une certaine façon, une chronique de la vie quotidienne dans ce quartier de New York dans les années 1980.

C’était une lecture rapide et distrayante, qui m'a donné envie de découvrir d’autres textes  d’Ann Beattie, qui est très réputée de l’autre côté de l’Atlantique, d’après ce que j’ai pu en lire ici et .

samedi 18 mai 2013

Masse critique le 23 mai

Nouvelle opération Masse Critique chez Babelio le 23 mai dès 8h30.

La liste des livres proposés peut être consultée ici.
Laissez-vous tenter et inscrivez-vous !

jeudi 16 mai 2013

Mrs Dalloway

Mrs Dalloway - Virginia Woolf
Le livre de poche (1993)
Traduit de l'anglais par Pascale Michon

Ce roman publié en 1925 se déroule un jour de juin, à Londres, après la fin de la première guerre mondiale. Clarissa Dalloway, femme de Richard Dalloway, membre du parlement, prépare la réception qui a lieu chez elle, ce soir-là. Elle décide d’aller elle-même choisir ses fleurs et se dirige vers son fleuriste. Au cours de ce trajet, ses pensées la promènent sans arrêt entre le présent et les soucis que lui cause sa fille Elizabeth et le souvenir d’une journée de sa jeunesse, passée à Bourton, dans la maison de son père. En ce temps-là, Peter Walsh voulait l’épouser mais, bien qu’amoureuse de lui,  elle lui préféra Richard Dalloway. C’est à Bourton, également, qu’elle échangea un baiser avec  Sally Seton, une jeune fille excentrique et pleine de charme. De retour chez elle, Clarissa reçoit la visite impromptue de Peter Walsh, revenu à Londres après de nombreuses années passées en Inde. Ce sont alors les pensées et les réflexions de Peter qui s’expriment, nous donnant un autre éclairage sur leurs anciennes relations et sur sa propre vie.
En parallèle, c’est aussi la journée d’un homme malade, Septimus Warren Smith, qui nous est racontée. Septimus a été blessé à la guerre et a été traumatisé par la mort de son meilleur ami. Lors de sa convalescence à Milan, il a rencontré une jeune italienne, Lucrezia, et l’a épousée. Ils se sont établis à Londres, mais les troubles psychiques de Septimus se sont aggravés, il souffre de schizophrénie. Ce jour de juin, ils se promènent tous deux dans les rues de Londres. Lucrezia, désemparée par la maladie de son époux, cherche de l’aide auprès des médecins. Septimus, lui, oscille entre hallucinations et idées noires.

C’est un roman assez court mais très riche, d’une construction originale. Sans arrêt, le récit nous promène dans le temps, porté par les monologues intérieurs des différents personnages lorsqu’ils évoquent tour à tour leurs souvenirs, leurs impressions passées et leur perception de la réalité. Le roman aborde de nombreux thèmes comme la fuite du temps, l’amour, les regrets sur les choix passés, l’homosexualité, la difficulté de vivre, l’incommunicabilité, la solitude, la condition féminine. Rien n’est raconté, tout est suggéré, au travers des sensations des personnages. Quelquefois, j’ai eu l’impression que l’auteur utilisait des procédés cinématographiques : ainsi lorsque Peter Walsh marche dans Londres et qu’il croise Septimus et sa femme, c’est lui qui décrit le couple, avant de les atteindre. Dès qu’il les a dépassés, ce sont les pensées du couple qui s’expriment et le récit accompagne alors leur progression dans la ville. Une écriture très moderne, finalement.

C’est un livre qui peut sembler difficile au premier abord, parce qu’il diffuse beaucoup de mélancolie, du côté de Clarissa et aussi de Peter, et également des impressions terribles, lorsqu’il s’agit de l’univers effroyable dans lequel se débat Septimus. Mais comme souvent avec les chefs d’œuvre, il faut s’accrocher et la récompense est au bout du chemin, la sensation d’avoir côtoyé quelque chose de sublime, l’envie d’y revenir plus tard pour explorer des aspects que l’on n’a pas forcément perçus à le première lecture, la certitude d’avoir découvert un livre majeur.  

J'ai lu ce livre dans le cadre de deux challenges :
                                                           
  • Challenge Virginia Woolf 2013 organisé par Lou où je me suis inscrite dans la catégorie Orlando. C'est ma première participation. Ma prochaine lecture sera La promenade au phare.
  • Challenge Litterama 2013 organisé par Anis. Je suis un peu plus avancée, c'est ma troisième lecture.
Je tiens à remercier Cryssilda qui m'avait offert ce livre de Virginia Woolf lors du London swap. Ce livre est aussi une belle occasion de découvrir Londres.

D'autres avis sur Babelio et des extraits sur le blog de l'Or des chambres.

A découvrir également deux émissions sur France-Culture consacrées à ce roman.

mercredi 1 mai 2013

Le père de la petite

Le Père de la petite - Marie Sizun
Éditions Arléa (2005)


Elle a quatre ans et vit à Paris avec sa mère, pendant la seconde guerre mondiale. Elle se nomme France mais tout le monde l’appelle la petite. Sauf son père, prisonnier de guerre en Allemagne, qui avait choisi son prénom. La petite ne se souvient pas de lui, elle vit, heureuse et insouciante et voue un amour exclusif à sa mère, qui ne lui impose guère de limites. Lorsque le père revient  à la fin de la guerre, la vie de France est bouleversée, sa mère n’est plus toute à elle et le père veut remettre de l’ordre dans la maisonnée.  Les relations entre le père et la fille sont difficiles dans les premiers temps, puis s’apaisent.  L’affection grandit entre les deux, France gagne en confiance et finit par partager avec son père un secret qu’elle gardait au fond d’elle. Un secret qu’elle n’a jamais vraiment bien compris, dont elle n’imagine pas l’impact, et qui, une fois connu du père, va bouleverser leur existence à tous.

C’est un roman que j’ai beaucoup aimé et qui est semble-t-il, inspiré par le vécu de l’auteur. Bien qu’écrit à la troisième personne, le texte porte la voix de l’enfant, sa perception de la guerre et son incompréhension des mystères des adultes. Après une vie insouciante au côté de sa mère et de sa grand-mère, la petite voit son univers perturbé par le retour du père. Ses sentiments pour sa mère évoluent, de l’amour inconditionnel à la jalousie et à la colère. Face à l’attention du père, s’installe une sorte de rivalité entre elles. Et puis l’enfant trouve un interlocuteur prêt à l’écouter lorsqu’elle raconte son secret alors que la mère et la grand-mère ont toujours été dans le déni et ont laissé l’enfant face à ses questions et ses angoisses. Mais la vérité n’est pas toujours bonne à dire et la vie de la petite en sera définitivement affectée.

C'est Sylire qui m'a donné envie de découvrir Marie Sizun dans ce billet.
D'autres avis sur ce livre chez Antigone, Stephie et Pimprenelle.