vendredi 15 août 2014

Le dernier gardien d'Ellis Island

Le dernier gardien d'Ellis Island - Gaëlle Josse
Les éditions Noir sur Blanc (2014)

Le 3 novembre 1954 sur Ellis Island, John Mitchell commence le récit de sa vie sur l’île, où il vit et travaille depuis quarante-cinq ans. Dans neuf jours, le centre d’accueil va fermer, des officiels viendront par bateau pour une dernière cérémonie et John repartira avec eux, pour regagner Manhattan et l’appartement vide de ses parents, où il a passé son enfance. Pour occuper ces neuf journées, John parcourt seul tous les lieux de l’île, où il a tant de souvenirs et couche sur le papier ce qu’il y a vécu.
Il dit les foules d’immigrants qui débarquaient d’Europe après un voyage souvent terrible, la sélection qu’ils devaient affronter avant d’être autorisés à entrer aux Etats-Unis et le drame de ceux qui étaient refoulés.
Il raconte les cinq années de bonheur au côté de Liz, sa femme, des années enfuies trop vite, et qu’a suivi une vie solitaire et terne. Et puis il évoque aussi deux épisodes douloureux, où il a failli personnellement. Une fois, en tant qu’homme, face à Nella, une jeune immigrée sarde qui lui a fait perdre la tête et puis, en tant que directeur face à Lazzarini, un homme au passé douteux, qu’il a malgré tout aidé à obtenir son autorisation d’entrée.


C’est le troisième livre de Gaëlle Josse que je découvre ici et encore une fois, j’ai été captivée par son écriture. Elle sait à merveille installer une ambiance, décrire des lieux et faire revivre ceux qui les ont visités. Son évocation du centre d’accueil d’Ellis Island tient du documentaire et j’y ai trouvé un grand intérêt. Les destins particuliers qui y sont racontés apportent une émotion touchante et aident à comprendre les états d’âme du narrateur, un homme sincère, intègre, dépassé parfois par ses responsabilités et par une vie de solitude et de devoir.

En complément de cette lecture, visitez ce site où Gaëlle Josse partage des textes, des photos et des vidéos qui l'ont accompagnée au cours de l'écriture de ce livre.

Je remercie Babelio et les éditions Noir sur Blanc qui m'ont gracieusement proposé ce livre, que j'ai accepté avec plaisir. 

samedi 9 août 2014

Opération Sweet Tooth

Opération Sweet ToothIan McEwan
Collection Du monde entier, Gallimard (2014)
Traduction de France Camus-Pichon

L’intrigue se déroule à Londres, dans les années 1970. Serena Frome vient de terminer des études de mathématiques, qu’elle a suivies sans enthousiasme, pour faire plaisir à sa mère. Elle, sa passion, c’est la lecture, la littérature. Elle fait la connaissance de Tony Canning, professeur à Cambridge, qui devient son amant. Pendant quelques mois, celui-ci assume son rôle de mentor auprès de Serena, décidé à parfaire son éducation et l’encourage à poser sa candidature au MI5, les services secrets britanniques. 
Après un été de bonheur, leur relation se termine brutalement, à l’initiative de Tony. Serena est très affectée par la rupture, mais son embauche au sein du MI5 lui permet de se ressaisir. Les premiers mois ne sont pas passionnants, Serena est vraiment au bas de l’échelle dans l’organisation. 
Et puis, une mission lui est confiée. Il s’agit de « recruter » un jeune auteur, de financer l’écriture de son premier roman et de l’influencer afin qu’il mette en avant les avantages de la société capitaliste occidentale face à la menace que représente l’Union Soviétique. Bien sûr, le jeune prodige ne doit jamais savoir d’où lui viennent ses subsides, ni connaitre le véritable rôle de Serena. La jeune fille, qui a été emballée à la lecture des nouvelles écrites par Tom Haley, le recommande à ses supérieurs et n’a aucun mal à lui faire accepter l’offre de subvention de ce qu’il croit être une fondation. 
Serena prend sa mission très au sérieux, trop même, puisqu’elle tombe rapidement amoureuse de son auteur. La voilà donc prise au piège de ses dissimulations, puisqu’elle cache au MI5 la nature de ses relations avec Tom et qu’elle tait à celui-ci son activité réelle. Sa situation se complique très rapidement et elle va découvrir que la création littéraire n’obéit pas à la contrainte.

En début d’année, j’avais pris la résolution de diversifier l’univers de mes lectures. Les premiers commentaires lus à propos de la sortie d’Opération Sweet Tooth de Ian McEwan m’ont incitée à choisir ce livre, pour attaquer le genre roman d’espionnage.  J’ai été ravie de mon choix, même si je dois reconnaître qu’il s’agit plutôt d’une parodie du genre, et que ce qui en émerge, c’est l’amour, l’amour de la lecture, de la littérature, et l’amour d’une toute jeune femme pour deux hommes très différents, qui vont façonner son existence et décider de son destin.
C’est aussi une découverte de ce qu’est la création littéraire, le cheminement de l’auteur, l’utilisation de sa vie personnelle comme source d’inspiration, l’exercice de sa liberté et de son intégrité.

Et puis, avec ce roman, c’est une immersion dans la Grande-Bretagne des années 1970, encore engluée dans le conflit irlandais et qui doit faire face aux conséquences des grandes grèves des mineurs, qui paralysent l’économie du pays  et contraignent la population à réduire drastiquement la consommation d’énergie. Face à ces difficultés de la vie quotidienne, les manigances des services secrets pour entretenir les rouages de la guerre froide paraissent bien futiles.

Une vraie réussite que ce roman d’Ian McEwan, auteur que je découvre à l’occasion de cette lecture.

Un extrait (page 49)
En allant au travail, je méditais sur l’abîme entre la description de mon poste et la réalité. Je pouvais toujours me dire à moi-même — faute de pouvoir le révéler à quiconque — que j’appartenais au MI5. Ça sonnait bien. Aujourd’hui encore, je m’émeus à la pensée de cette pâle petite jeune femme qui voulait se dévouer pour son pays. Je n’étais toutefois qu’une secrétaire en minijupe parmi tant d’autres, ces milliers d’entre nous qui se déversaient dans les couloirs crasseux de la station de métro Green Park, où les détritus, la poussière et les courants d’air pestilentiels que nous acceptions comme notre lot quotidien nous giflaient le visage et nous décoiffaient. (Londres est tellement plus propre, désormais.) Et lorsque j’arrivais au bureau, je restais une secrétaire qui tapait, le dos bien droit, sur une Remington gigantesque dans une salle enfumée, pareille à des centaines de milliers d’autres dans toute la capitale, qui allait chercher des dossiers, déchiffrait des écritures masculines, revenait en courant de sa pause déjeuner. J’étais même moins bien payée que la plupart d’entre elles. Et, à l’image de cette jeune ouvrière dans un poème de Betjeman que Tony m’avait lu un jour, je lavais moi aussi mes dessous dans le lavabo de ma chambre.
Retrouvez de nombreux avis sur Babelio.

lundi 4 août 2014

La Rabouilleuse

La Rabouilleuse - Honoré de Balzac
Folio classique (2008)
Édition de René Guise

Ma dernière lecture de Balzac, c’était Le Père Goriot, il y a quelques années, et ce n’était pas une découverte car je l’avais étudié en partie au lycée. En partie seulement, car je ne me souvenais absolument pas que le fond de l’histoire, c’était avant tout l’amour paternel de Goriot pour ses filles.

Mon premier contact avec La Rabouilleuse  s'est produit à l’occasion d’un dîner au restaurant La Cognette, à Issoudun, car c’est dans cet établissement que se fomentent quelques-uns des complots qui animent cette histoire.
Comme dans Le Père Goriot, il y est question d’amour non récompensé. L’amour maternel, d’abord, qu’éprouve Agathe Bridau pour son son fils Philippe, ancien colonel de l’armée napoléonienne, exilé aux Etats-Unis, et qui, à son retour, exploite la faiblesse de sa mère pour satisfaire sa passion du jeu. Puis, il y a l’amour filial de Joseph Bridau, le cadet, artiste-peintre, plein de sollicitude pour sa mère, dont il échoue à capter l’attention.
Comme toujours chez Balzac, il est beaucoup question d’argent dans ces pages, en particulier de l’héritage qui menace d’échapper à la mère aimante et courageuse pour être accaparé par une intrigante, Flore Brazier, la Rabouilleuse et son amant, Maxence Gilet, habiles dans leurs manœuvres auprès de Jean-Jacques Rouget, le frère d’Agathe, qui vit à Issoudun, dont est originaire la famille. Pour tenter de sauver sa part, Agathe se rend dans sa ville natale en compagnie de son fils Joseph. Elle ne se doute pas des péripéties qui l’attendent.

Ce qui m’a surprise dans cette histoire touffue et pleine de rebondissements, c’est qu’aucun des personnages qui la composent ne semble trouver grâce aux yeux de Balzac. Il ne montre aucune compassion envers la pauvre mère, bafouée et trompée par le fils qu’elle adore. Il n’a pas d’avantage d’indulgence pour la Rabouilleuse, plus ou moins vendue à la sortie de l’enfance au père d’Agathe et de Jean-Jacques, et qui connaîtra un sort terrible. Je n’oublierai pas la figure de Philippe Bridau, principal héros du roman, dont la première apparition donne déjà des frissons.

Extrait page 64 :
(…)Le colonel avait conservé, dans l’apparence seulement, la rondeur, la franchise, le laissez-aller du militaire. Aussi était-il excessivement dangereux, il semblait ingénu comme un enfant ; mais, n’ayant à penser qu’à lui, jamais il ne faisait rien sans avoir réfléchi à ce qu’il devait faire, autant qu’un rusé procureur réfléchit à quelque tour de maître Gonin, les paroles ne lui coûtaient rien, il en donnait autant qu’on en voulait croire. Si, par malheur, quelqu’un s’avisait de ne pas accepter les explications par lesquelles il justifiait les contradictions entre sa conduite et son langage, le colonel, qui tirait supérieurement le pistolet, qui pouvait défier le plus habile maître d’armes, et qui possédait le sang-froid de tous ceux auxquels la vie est indifférente, était prêt à vous demander raison de la moindre parole aigre ; mais, en attendant, il paraissait homme à se livrer à des voies de fait, après lesquelles aucun arrangement n’est possible. Sa stature imposante avait pris de la rotondité, son visage s’était bronzé pendant son séjour au Texas, il conservait son parler bref et le ton tranchant de l’homme obligé de se faire respecter au milieu de la population de New-York. Ainsi fait, simplement vêtu, le corps visiblement endurci par ses récentes misères, Philippe apparut à sa pauvre mère comme un héros ; mais il était tout simplement devenu ce que le peuple nomme assez énergiquement un chenapan. (...)
Une belle découverte que cette lecture, dans le cadre du challenge Objectif Pal 2014 d’Antigone.

Une intrigue complexe, des personnages multiples, qui au fil du récit, suscitent des sentiments variables, une imbrication passionnante des rapports humains dans ce petit groupe d’individus et des évènements de la grande Histoire post-napoléonienne, que les notes de René Guise aident à décrypter. De quoi me donner envie de m’attaquer aux autres œuvres de Balzac qui sont dans ma PAL.


dimanche 3 août 2014

Les grandes traversées : Marguerite Duras

J'ai été bien inspirée, hier après-midi de lire mon exemplaire de Télérama jusqu'à la page 122.
Un article d'Hélène Rochette, illustré d'une photo de Marguerite Duras - celle où à l'âge de quinze ans, elle est affublée d'une capeline penchée sur le côté - annonce la rediffusion à partir de lundi 4 août d'une nouvelle mouture de l'émission que Laure Adler avait consacrée à l'écrivain en 2009.

C'est dans Les grandes traversées, sur France-Culture entre 9h00 et 11h00, jusqu'à vendredi.

Je ne pourrai sans doute pas l'écouter à ce moment-là, - je travaille encore - mais je compte sur  le podcast pour n'en manquer aucune seconde.

Plus encore que la lire, j'aime écouter Marguerite Duras, et il me semble, d'après cet article, que je ne serais pas déçue !