Recherche femme parfaite – Anne Berest
Grasset (2015)Émilienne, la trentaine, est photographe, c’est une enfant de la balle, ses parents étaient artistes. Elle a participé à un de leurs spectacles, alors qu’elle était toute petite, enfermée dans une valise qui se mettait à courir toute seule. Pour assurer ses fins de mois, Émilienne est photographe de mariage mais elle espère toujours être reconnue pour son œuvre photographique, qu’elle envisage comme le témoin « d’un état d’attente, un entre-deux », comme la création « d’une forme de suspense ». Elle s’est inscrite à un concours dans le cadre des Rencontres d’Arles, autour du thème « Portrait(s) de femme(s) » et n’a encore rien rendu, alors que la clôture a lieu deux semaines plus tard. C’est le burn-out de sa voisine Julie qui va lui donner l’idée directrice de son projet, qu’elle va intituler « Une femme parfaite ».
Extrait page 37-38
Je prendrais en photographie des femmes admirables, des héroïnes du quotidien, des modèles pour leur entourage. Et à travers ces différents portraits, se dessinerait l’idée que la femme aujourd’hui veut donner d’elle-même – le portrait d’une femme idéale. Mais j’en chercherais aussi la faille, la fragilité, le point de rupture. Je guetterais les signes de folie dans cette impossible quête de la perfection. En quinze jours, je m’en sentais capable – le plus important, c’est un bon sujet, après, tout peut arriver. Pour commencer, il fallait trouver des modèles. Je ne pouvais pas passer une annonce dans le journal : « Recherche femme parfaite pour projet photographique. » En croisant Thierry dans l’escalier, j’eus l’idée de lui demander qui, selon lui, incarnait l’idéal féminin aux yeux de sa femme.
- Julie Andrieu, me répondit-il du tac au tac. Elle en est complètement obsédée.
Thierry m’expliqua que c’était une présentatrice de télévision spécialisée dans les reportages gastronomiques. Malheureusement, lui dis-je, ce serait plus facile pour moi d’aborder des femmes qui n’étaient pas célèbres.
- Alors appelle Marie Wagner, me dit Thierry, elle est médecin. Son mari est mort il y a deux ans, il était pasteur. Julie dit toujours : « Cette femme, c’est une sainte. »
La visite chez Marie Wagner se révèle quelque peu décevante pour Émilienne, et ne donne même pas lieu à une séance photo. Sur l’autoroute du retour, elle rencontre une jeune skateboardeuse, Alizée, à qui elle raconte l’importance de la photographe Francesca Woodman dans son propre parcours. Puis, lors d’une halte au bar d’un grand hôtel, elle fait la connaissance de Georgia, une femme qui l’envoûte et qui disparait au matin. Émilienne veut à tout prix la revoir et ira jusqu’à Venise pour tenter de la retrouver. Dans cette quête, Émilienne va avoir l’occasion de rencontrer d’autres femmes et pourra mener à bien, contre toute attente, son projet photographique.
C’est une aventure fantasque que nous raconte Anne Berest dans ce nouveau livre. Une quête dont l’objet fluctue au gré des rencontres que fait Émilienne, passant de la recherche de la femme parfaite à la recherche de l’amour, même imparfait. Ce sont de multiples aspects de la condition féminine qui s’expriment à travers des péripéties tantôt burlesques, tantôt désespérées, et aussi les différentes facettes que peut prendre l’amour, avec ses excès, ses limites et les sacrifices qu’il impose. Un livre bien différent des deux précédents d‘Anne Berest que j’ai déjà lus, un livre léger, au premier abord, qui se lit avec plaisir et qui évoque des thèmes plus sérieux, comme l’image de la femme, la tyrannie de la réussite, la soumission aux codes.
Grâce à ce livre, j’ai découvert le film Der Lauf der Dinge, ainsi que le travail de deux photographes, Francesca Woodman et Julia Margaret Cameron, dont il est question à travers ces pages.
La fondation Henri Cartier-Bresson présente jusqu’au 31 juillet 2016 une exposition des photos de Francesca Woodman.
L'avis de L'irrégulière.
Lecture n°9 dans le cadre du challenge 1% Rentrée littéraire 2015.