jeudi 29 mai 2014

Je m'en vais

Je m'en vais - Jean Echenoz
Les éditions de Minuit (1999)

Je m’en vais, c’est la première et la dernière phrase de ce livre de Jean Echenoz. Entre les deux, plusieurs mois se seront écoulés et le héros, Félix Ferrer,  aura vécu un bouleversement total de sa vie trop tranquille de marchand d’art.
En vrac : il quitte sa femme, se lance à la recherche d’un bateau échoué sur la banquise, censé contenir des œuvres d’art paléobaleinier rarissimes, le trouve et ramène à Paris un trésor inestimable qu’il se fait voler aussi sec. Il est victime d’un infarctus, fait la connaissance d’Hélène, une jeune femme insolite en comparaison de ses conquêtes habituelles, se lance à la poursuite de son voleur.
En parallèle, nous suivons un certain Baumgartner, le voleur, dans l’organisation du vol, puis dans sa fuite dans le sud-ouest de la France et en Espagne. Qui est-il, comment a-t-il appris la présence du trésor de Ferrer et pourquoi l’a-t-il volé ? C’est ce nous découvrirons, en même temps que Ferrer.


Je me suis régalée lors de cette lecture, rythmée, cocasse parfois, pleine d’humour toujours. J’aime beaucoup l’écriture de Jean Echenoz. Il ne se prend pas au sérieux même s’il évoque des thèmes sérieux, et termine toujours par une pirouette qui fait sourire le lecteur. Et puis, avec Jean Echenoz, les objets sont vivants, on a l’impression qu’ils participent à l’aventure, que tout peut arriver, il suffit d’oser.

Une bouffée d’air frais, que ce livre, qui a obtenu le prix Goncourt en 1999

Un extrait (page 11) :
Puis c'est toujours pareil, on patiente, d'une oreille évasive on écoute les annonces enregistrées, d'un œil absent on suit les démonstrations de sécurité. L'appareil finit par se mettre en mouvement, d'abord imperceptiblement puis de plus en plus vite et l'on décolle cap nord-ouest vers des nuages que l'on traverse. Entre ceux-ci, plus tard, penché contre la vitre, Ferrer va distinguer une étendue de mer, ornée d'une île qu'il ne pourra identifier, puis une étendue de terre au cœur de laquelle c'est un lac, cette fois, dont il ne connaîtra pas le nom. Il somnole, il suit nonchalamment sur un écran quelques prégénériques de films qu'il a du mal à regarder jusqu'au bout, distrait par les allées et venues des hôtesses qui ne sont peut-être plus ce qu'elles ont été, il est parfaitement seul.

Troisième lecture ce mois-ci pour le challenge d'Antigone, Objectif Pal 2014.

dimanche 25 mai 2014

La chambre des officiers

La chambre des officiers - Marc Dugain
Éditions JC Lattès (1998)
Lu en collection de poche chez Pocket.

Adrien, jeune ingénieur originaire de Dordogne est mobilisé comme officier dans les tous premiers jours de la guerre 14 et envoyé sur le front, sur la Meuse. Lors de sa première mission de reconnaissance, il est frappé par un obus au visage. Hospitalisé au Val de Grâce, il va y passer toute la durée du conflit,  en compagnie d’autres gueules cassées comme lui, à l’abri des regards du reste du monde, taisant leurs blessures à leurs proches, craignant la confrontation avec l’horreur qu’ils savent susciter avec leurs visages dévastés.

Ce livre était dans ma PAL depuis longtemps. Je dois avouer que j’avais une certaine appréhension à commencer sa lecture, en raison du sujet, bien sûr. Je craignais des descriptions insoutenables, des situations terribles, qui m’auraient donné des cauchemars. De ce côté-là, je me trompais.
L’auteur reste mesuré, ne cherche pas le sensationnalisme ni les effets sanglants. Il se contente, par la voix d’Adrien, de raconter, en direct, ce qu’il vit, ressent, de décrire ses espoirs et ses moments de détresse. En revanche, il évoque assez peu la douleur physique, alors qu’elle devait être très présente à cette époque. De même, il passe rapidement sur les multiples opérations qu’il doit subir, pour essayer de recouvrer un semblant de visage.

En résumé, c’est un témoignage poignant sur ces blessés de la guerre 14-18, marqués dans leur chair d’une horrible façon jusqu’à la fin de leur vie, mais qui se lit aisément, en raison de la retenue de l’auteur.


Avec ce titre, je participe au challenge d'Antigone, Objectif Pal 2014, pour la deuxième fois ce mois-ci, ce qui est exceptionnel !

jeudi 8 mai 2014

Les mains nues

Les Mains nues - Simonetta Greggio
Éditions Stock (2009)

Emma est vétérinaire, elle vit seule à la campagne, en contact étroit avec la nature. Son métier est tout pour elle. C’est les mains nues qu’elle va sortir les veaux de l’utérus de leur mère. Petit à petit, Emma se raconte, elle dit les trahisons qui l’ont amenée là où elle vit. Celle de Raphaël, qu’elle a aimé et qui lui a un temps préféré Micol, qui était aussi l’amie d’Emma. Celle de Micol qui s’est attaché Raphaël en lui faisant un enfant, Gio. Plus tard, lorsque Raphaël est revenu vers elle, Emma l’a renvoyé vers son foyer, vers Micol et les enfants, encore blessée par le passé, et elle a fui vers la campagne.
Les années ont passé. Un jour, Emma a la surprise de voir Gio, âgé de quatorze ans, débarquer dans sa campagne, il a fugué et vient se réfugier chez elle. Il repart chez lui au bout de quelques jours, pour revenir s’installer chez Emma, à la faveur des vacances et en accord avec ses parents. Pour Emma, habituée à la solitude, la présence de Gio réactive des sensations de jeunesse et de liberté, qu’elle n’avait plus éprouvées depuis longtemps. Ils deviennent amants. Mais lorsque Micol découvre leur relation, Emma doit faire face à la justice et à la réprobation de son entourage.


En cherchant sur Internet la photo de couverture du livre pour illustrer ce billet, je remarque le bandeau qui l’accompagnait lors de sa parution, avec la mention « Le diable au corps ». Je trouve que cette mention est vraiment trompeuse, car la relation entre Emma et Gio tient une place assez réduite dans cette histoire, même si elle constitue évidemment un pivot dans l’existence d’Emma. L’auteur reste très sobre dans sa description des relations entre la jeune femme et l’adolescent, même s’il est clair qu’elle en assume complétement le côté amoral. D’ailleurs, les moments que passe Emma en compagnie de Gio sont vraiment des instants de bonheur, comme une récompense des expériences douloureuses du passé, et qui lui serviront à supporter la suite des évènements.

J’ai beaucoup aimé dans ce livre le rapport d’Emma à la nature et aux animaux qu’elle soigne avec passion, ainsi que les souvenirs de sa mère, évoqués avec une grande tendresse. En revanche, j’ai moins apprécié la narration des relations entre Emma, Raphaël et Micol, un peu caricaturales à mon goût.
Mais l’impression globale à l’issue de cette lecture est plutôt positive et je lirai certainement les autres livres de Simonetta Greggio pour la découvrir davantage.

Extrait page 85-86 :
Je ne sais pas si cette photo je l’ai toujours quelque part ou si elle a été perdue dans mes déménagements successifs, si elle est restée au fond d’un carton ou entre les pages d’un livre, ni si elle réapparaîtra un jour, mais c’est là, maintenant, que je voudrais la revoir et revenir un instant dans la peau de cette fille, dans cet habit lisse, étroitement ajusté, qui l’enveloppait, et ressentir à nouveau ce courage aveugle, cette virginité du mal. L’intrépidité, l’effronterie et la confiance mêlées.
Il faudrait que j’explique à cette fille que quand on tient un amour on le garde, on le défend contre lui-même et contre les autres. Que les hommes sont lâches, fragiles et idiots. Qu’ils s’en vont avec la plus forte, et que leur faiblesse et leur orgueil les empêchent de revenir, même quand ils se sont trompés.

Les avis de Papillon, Lily, Mirontaine et d'autres encore sur le site Lecture/écriture.

Regardez cette interview de Simonetta Greggio par Olivier Barrot que j'ai découverte sur le site de L'Ina.





Lu dans le cadre du challenge Objectif Pal 2014 d'Antigone.