lundi 30 mars 2015

Une saison de nuits

Une saison de nuitsJoan Didion
Édition Bernard Grasset (2014)
Traduit de l’anglais par Philippe Garnier

Un coup de feu retentit dans la nuit. Lily  sait immédiatement que son mari, Everett McClellan, a tué Ryder Channing, son amant qu’elle devait retrouver sur le ponton, au bord de la rivière.
En quelques heures, jusqu’à la fin de la nuit, Joan Didion raconte l’histoire du mariage de Lily et d’Everett, tantôt du point de vue de l’une, tantôt de celui de l’autre. Comment s’est bâtie leur union, ce qu’elle symbolise, eux qui sont tous les deux des descendants des pionniers, qui profitent des fruits du travail acharné de leurs ancêtres qui ont lutté pour s’implanter dans la région de Sacramento, en Californie. 
Ce qui ressort de cette union, c’est l’impossible communication entre Lily et Everett, même si pour Lily, il était impensable de se marier avec quelqu’un d’autre qu’Everett, qu’elle connait depuis l’enfance, le frère de son amie Martha. C’est aussi l’ennui qui marque les journées de Lily, dans la chaleur étouffante de l’Ouest californien, et les soirées entre voisins où l’on boit trop, où on ne sait plus ce qu’on fait ni ce qu’on dit. Ce sont les nuits qu’elle termine en compagnie du premier venu, parce qu’il s’est montré un peu attentionné, que son intérêt l’a distraite quelques heures de la routine sans surprise. Et puis, à côté de ces infidélités sans conséquence, ce sont les vraies trahisons qui marquent un couple, le temps où Everett est enrôlé dans la réserve pendant la seconde guerre mondiale et où il reste éloigné de sa famille malgré les multiples sollicitations de sa femme et de sa sœur. C’est aussi l’avortement que subit Lily, qu’elle décide seule après avoir avoué à Everett qu’elle est enceinte d’un autre. Ce sont des moments où ils se sont manqués l’un l’autre alors qu’ils sont si indispensables l’un à l’autre. La fin de la nuit va marquer définitivement la fin de leur mariage, laissant au lecteur une impression d’amertume et de gâchis assez dérangeant. 

Avec ce livre de Joan Didion, qui est le premier qu’elle a publié en 1963, j’ai retrouvé la même impression qu’avec Maria, avec ou sans rien, qui a été ma première rencontre de l’auteur. Dans les deux cas, ce sont des œuvres de fiction et il en ressort une impression de mal-être, de vacuité de l'existence, dans une ambiance plombée par la chaleur accablante.

Je m’interrogeais sur le titre français de ce livre, complètement différent du titre de la publication originale, Run River, qu’a priori, je comprenais davantage car la rivière est souvent évoquée dans le livre et il s’y passe des évènements clés de l’histoire. Et puis, à la lecture de cette interview de Joan Didion, je m’aperçois que le titre français est en fait très proche de celui qu’elle avait choisi pendant son écriture, In the night season et qui n’a pas été accepté par son éditeur. Finalement, je comprends son choix de la nuit. C’est là que Lily arrive à s’exprimer, dans les mots et dans les actes, lorsqu’elle est débarrassée de la chaleur diurne qui écrase toute énergie et du regard des autres qui la bloque dans l’inaction.
Si vous lisez l’anglais et si vous vous intéressez à Joan Didion, je vous conseille d’ailleurs cette interview qui a été publiée dans The Paris Review, dans la série The Art of Fiction.

Avec Joan Didion, j’éprouve exactement la même impression à la lecture de ses livres que celle que je ressens lorsque je lis Paula Fox. Je suis admirative de leur art d’écrire sur des personnages peu sympathiques, tout en donnant malgré tout au lecteur l’envie d’en savoir plus, le goût de tourner les pages, alors qu’il serait si facile de refermer le livre et de le poser là. C’est cela le talent de l’écrivain, sans doute.

Lu dans le cadre du challenge Romancières Américaines de Miss G.
  

Nadael l'a lu également et en parle très bien.

lundi 23 mars 2015

Sagan 1954

Sagan 1954 - Anne Berest
Stock (2014)

C’est Denis Westhoff qui a demandé à Anne Berest d’écrire sur sa mère, Françoise Sagan. Elle abandonne alors provisoirement le roman qu’elle préparait et commence à travailler sur le charmant petit monstre, comme François Mauriac surnomma Françoise Sagan, à l’occasion de la sortie de son premier roman, Bonjour tristesse.

Anne Berest choisit de s’intéresser à cette année 1954 qui voit paraitre la première œuvre de Sagan. Elle plonge dans les biographies, dans les livres de Sagan, s’imprègne des reportages de l’époque, des articles parus dans les journaux, rencontre les amis et les connaissances de Françoise Sagan. A partir de toutes ces informations, elle reconstitue la vie de Françoise, la réinvente, l’utilise pour elle-même alors qu’elle traverse une période difficile suite à une rupture amoureuse. Alors qu’elle est très différente de son sujet, elle s’approprie quelques facettes de l’auteur et s’autorise des fantaisies, s’essayant à l’insouciance, la légèreté, l’envie de profiter de la vie.

Je me suis régalée de cette lecture, savourant avec plaisir cette évocation de Françoise Sagan et de cette année 54. Anne Berest le signale à plusieurs reprises, le simple fait d’entendre le nom de Françoise Sagan amène le sourire sur le visage de ses interlocuteurs. Et c’est vrai qu’elle a ce pouvoir, cette petite femme vive et sensible, légère en apparence, émouvante et lucide au fond sur l’inutilité de l’existence.

D’Anne Berest, j’avais lu le premier roman, La fille de son père, dont j’avais bien aimé le sujet, même si j’y avais regretté quelques maladresses. Ici, je trouve qu’elle a parfaitement maitrisé son sujet, elle donne envie de se replonger dans l’œuvre de Sagan, ce qui pour moi, est la meilleure récompense que l’on puisse obtenir lorsqu’on parle d’un écrivain. Une jolie réussite.