dimanche 23 septembre 2018

Un certain M. Pielkieny

Un certain M. Piekielny – François-Henri Désérable

Gallimard (2017)

En mai 2004, François-Henri Désérable se trouve par hasard à Vilnius en Lituanie devant l’immeuble où vécut Romain Gary, alors Roman Kacew, de 1921 à 1925. Lui revient alors en mémoire une phrase de Gary, extraite de la Promesse de l’aube, roman que Désérable a étudié en classe de première pour préparer le bac français : « Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny. »
Selon ce qu’avait écrit Gary dans son roman, ce M. Pielkieny était un voisin, éperdu d’admiration pour le destin que la mère de Romain Gary prédisait à son fils et il avait fait promettre à l’enfant de prononcer la fameuse phrase devant tous les grands de ce monde qu’il aurait l’occasion de rencontrer lorsqu’il aurait atteint la célébrité prophétisée par sa mère. Et Gary, plus tard, affirmait qu’il avait effectivement prononcé la phrase devant la reine d’Angleterre, devant le Général de Gaulle, devant le président Kennedy, devant Bernard Pivot lors d’un Apostrophe.


Francois-Henry Désérable entreprend alors de remonter la trace de ce M. Piekielny, il consulte les archives, il recherche son nom dans les registres de déportés dans les camps puisque c’est le triste destin que Gary attribuait à son ancien voisin. Hélas, nulle trace de M. Piekielny. Alors Désérable s’intéresse de plus près à Gary, reconstituant la vie aventureuse de l’écrivain et recréant les moments où l’auteur aurait prononcé sa fameuse phrase.

J’ai découvert ce roman et son auteur dans l’émission La grande Librairie du 2 novembre 2017 et je l’ai réservé à la médiathèque. Il m’a fallu de la patience puisque j’ai dû attendre jusqu’à mi-août pour que mon tour arrive et que je puisse enfin commencer ma lecture.
Comme je m’y attendais, j’ai beaucoup apprécié ce livre, parce que François-Henri Désérable y mêle avec habileté vérité historique et fiction romanesque. Il faut dire qu’il est gâté parce que la vie de Romain Gary est propice à l’invention et que lui-même n’a pas ménagé sa peine. Le personnage de M. Piekielny, réel ou inventé, permet à Désérable de se pencher sur le destin des juifs de Wilno et de raconter à sa façon un pan d’histoire. Et l’évocation de Romain Gary, de sa vie si extraordinaire, est aussi un des plaisirs que m’a offert la lecture ce roman.

Extrait page 258-259 :
Mais s’il avait existé pour de vrai, comme disent les enfants ? Si de ce corps réduit en cendres sur les bûchers de Klooga, ou changé en nuage dans les plaines à betteraves et barbelés de Pologne, ou plus sûrement tombé à Ponar dans la forêt naine au pied des grands arbres, si de ce corps, donc, Gary avait fait un corps de mots ? La littérature triomphait encore, cette fois-ci à travers le réel.
On prétend parfois qu’elle ne sert pas à grand-chose, qu’elle ne peut rien contre la guerre, l’injustice, la toute-puissance des marchés financiers – et c’est peut-être vrai. Mais au moins sert-elle à cela : à ce qu’un jeune Français égaré dans Vilnius prononce à voix haute le nom d’un petit homme enseveli dans une fosse ou brûlé dans un four, soixante-dix ans plus tôt, une souris triste à la peau écarlate, trouée de balles ou partie en fumée, mais que ni les nazis ni le temps n’ont réussi à faire complètement disparaître, parce qu’un écrivain l’a exhumée de l’oubli.

dimanche 16 septembre 2018

Au cœur de l'été

Au cœur de l’été – Viveca Sten

Albin Michel (2017)
Traduit du suédois par Rémi Cassaigne

C’est la fête de la Saint-Jean sur l’île de Sandhamn et comme tous les ans, le port est envahi par une horde de bateaux, amenant des groupes de jeunes à l’assaut des plages et des pontons. Toute la journée puis toute la nuit, c’est la musique à fond, l’alcool coule à volonté et d’autres substances sont parfois échangées à l’abri des regards de la police qui veille au grain et tente de contrôler la situation. Malgré cela, les incidents se multiplient. Wilma, la fille de Jonas, le nouvel ami de Nora, ne rentre pas à l’heure prévue et demeure introuvable. Nora est appelée à la rescousse pour héberger deux adolescentes mineures qui ont perdu leurs amis de vue lors des festivités. Et puis, le corps d’un jeune homme est retrouvé, dissimulé sous des buissons, le crâne fracassé.

Nouvelle enquête confiée à la police de Nacka et à Thomas Andreasson qui va devoir reconstituer les allées et venues des amis du jeune Victor pour élucider son assassinat. Au-delà de l’enquête, il y a un aspect sociologique intéressant autour de cette jeunesse dorée, de ses excès et des conséquences tragiques qui viennent ternir le tableau.

Nora, qui se trouve impliquée malgré elle, est sensible aux dangers auxquels sont confrontés les adolescents et les appréhende dans le futur pour son propre fils, Adam, qui est à l’orée de la tranche d’âge fatidique. Elle s’aperçoit aussi que sa relation avec Jonas demeure fragile parce qu’ils ont tous les deux des enfants et qu’en cas de crise, ces derniers seront toujours prioritaires face à leur couple. Terminées, les amourettes romantiques de l’adolescence, il faut se résoudre à une relation amoureuse différente, moins exclusive.

Encore une fois une lecture distrayante et parfois un peu dérangeante parce que la Suède n’est pas la société lisse que j’imagine, à tort évidemment, trompée par la blondeur des policiers et la sérénité qui ressort des intérieurs nordiques impeccables !

dimanche 9 septembre 2018

Et toujours elle m'écrivait

Et toujours elle m’écrivait – Jean-Marc Savoye


Avec le regard de Philippe Grimbert
Albin Michel (2017)

C’est une émission sur France-Inter qui m’a incitée à lire ce récit que fait Jean-Marc Savoye de sa psychanalyse, qui a duré une quinzaine d’années, en trois fois et qui lui a permis de sortir de ses névroses, de son incapacité à s’engager auprès d’une femme et à prendre le contrôle de sa vie.
Originalité de ce récit, les commentaires de Philippe Grimbert, qui fut son troisième psychanalyste, viennent enrichir le texte, expliquer et compléter ce que l’auteur a appris sur lui-même et la façon dont il a vécu son analyse.

Je ne rentrerai pas dans les détails de ce récit qui se lit aussi facilement qu’un roman. Je veux juste conseiller cette lecture passionnante, émouvante, où l’on peut trouver des clés pour se comprendre soi-même. Il est très intéressant de voir la progression de l’auteur, au fur et à mesure qu’il se raconte, de découvrir comment des épisodes de l’enfance peuvent expliquer des souffrances de l’adulte, comment la place dans la famille peut expliquer des comportements, révéler des secrets.

Personnellement, en vieillissant, j’ai pris conscience de certaines choses venant de l’enfance qui expliquent mon attitude face à certains évènements. Je me dis, à la lecture de ce livre, que j’aurais peut-être compris plus vite si j’avais consulté un professionnel et ça m’aurait sans doute aidée dans l’éducation de mes enfants !

Extrait p118-119 :
Fédida vous accueillait avec une réelle chaleur dans son cabinet qui n’était autre que son appartement. Le rituel était toujours le même. De son interphone, il ouvrait la porte du bas, puis au moment où l’on arrivait devant chez lui, au premier étage, sa porte s’ouvrait comme par enchantement, sans même que l’on ait besoin de sonner. Il se tenait devant et vous accueillait avec autant de simplicité que de gentillesse. On n’attendait jamais, on ne croisait jamais personne. À la fin de la séance, il vous raccompagnait jusqu’à la porte, qu’il gardait ouverte aussi longtemps que vous étiez à portée de vue. Ce détail m’a toujours surpris. Il y avait dans cette attitude la volonté de signifier au patient que l’analyste l’accompagnait aussi loin qu’il le pouvait dans sa vie, sans pour autant sortir de son territoire. Je vivais cela comme une forme d’encouragement ; je me disais que j’aurais toujours un endroit où me rendre, un interlocuteur à qui parler si j’en éprouvais le besoin.

jeudi 6 septembre 2018

Les secrets de l'île

Les secrets de l’île - Viveca Sten

Albin Michel (2016)
Traduit du suédois par Rémi Cassaigne


Un étudiant en psychologie, Marcus Nielsen, est retrouvé pendu dans sa chambre d’étudiant. Il a laissé un mot d’adieu, écrit à l’ordinateur. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un suicide. Mais la mère de Marcus est persuadée que son fils a été tué et insiste auprès de Thomas pour qu’il poursuive l’enquête. Il faut dire que l’ordinateur de Marcus est introuvable, ce qui est curieux puisqu’il l’avait toujours avec lui. Grâce au téléphone portable de l’étudiant, Thomas entre en contact avec les destinataires de ses derniers appels. La visite au premier, Jan-Erik Fredell, un homme gravement atteint de sclérose en plaques, n’apporte aucun éclaircissement sur la mort du jeune homme. Marcus avait rencontré Fredell dans le cadre de son projet d’étude, pour l'interroger sur son service militaire en tant que chasseur-côtier trente ans auparavant.
Quelques jours plus tard, Fredell est retrouvé noyé dans la baignoire de son appartement. Même si l’hypothèse du suicide est envisagée, elle est vite balayée par l’état de santé du malade qui pouvait à peine se déplacer et très vite infirmée par les premières analyses qui révèlent que Fredell a été brutalisé et noyé par un tiers.
Sans comprendre le lien entre ces deux décès, Thomas doit alors mettre tout en œuvre pour rencontrer les autres correspondants de Marcus et tenter d’élucider ce qui se cache derrière les deux décès.


Parallèlement à la progression de l’enquête de la police, le lecteur découvre les chapitres d’un journal tenu dans les années soixante-dix par un jeune soldat qui effectue son service en tant que chasseur-côtier sur l’île de Korsö, au large de Sandhamn. Ce récit de l’expérience très exigeante vécue par un groupe de jeunes recrues sous la direction d’un sous-officier cruel et sadique est très impressionnant et vient petit à petit apporter un début de solution à l’énigme.

J’ai abordé cette nouvelle enquête de Thomas Andreasson avec un peu d’appréhension. Comme les épisodes précédents, j’avais vu sur Arte l’adaptation télé qui en a été faite et je me souvenais de l’ambiance particulièrement glauque de celle-ci, en particulier à cause de la nature des meurtres et aussi à cause des flash-backs sur la formation de chasseur-côtier, expérience très traumatisante pour ceux qui y participaient. Je n’ai donc pas été surprise par l’atmosphère très lourde de ce roman, par la noirceur des évènements qui se succèdent, aussi bien dans le présent que dans le récit du passé.
Heureusement, la présence de Nora Linde apporte comme d’habitude un peu de fantaisie au milieu de cet univers pesant et les péripéties de sa rencontre avec son jeune voisin apportent un répit bienvenu.

Je dois reconnaitre que l’enquête menée dans cet épisode est plus complexe que dans les précédents. Encore une fois, Viveca Sten mêle deux récits, celui du passé étant connu du lecteur mais pas de la police, ce qui apporte un autre éclairage sans pour autant diminuer le suspense.

Je suis prête pour la suite de la série !

lundi 3 septembre 2018

Le déjeuner des barricades

Le déjeuner des barricades – Pauline Dreyfus

Éditions Grasset & Fasquelle (2017)

Mercredi 22 mai 1968, Paris. Alors que la France est paralysée par les manifestations et les grèves, le déjeuner que doit donner Florence Gould à l’hôtel Meurice pour la remise du prix Roger-Nimier parait bien compromis. En effet, la veille, le personnel de l’hôtel a, par motion, voté l’autogestion, reléguant le directeur dans son bureau, désœuvré et incertain du futur cours des évènements. Mais autogestion ne veut pas dire grève et la vie de l’hôtel continue, chacun exerçant ses fonctions comme il lui sied, conscient malgré tout de l’importance de ses responsabilités. La tenue du déjeuner est donc votée par l’assemblée du personnel, comme une preuve de la capacité de l’équipe à s’autogérer et à maintenir le niveau du palace dans ces temps troublés. Mais d’autres difficultés doivent être résolues, comme celle de l’approvisionnement des victuailles pour composer un menu digne de ce nom ou comme le casse-tête de réunir auprès de la milliardaire et autour du lauréat du prix un nombre suffisant de convives, la plupart des invités habituels ayant renoncé à faire le déplacement ou étant dans l’impossibilité de le faire en raison des perturbations dans les transports. Heureusement, il reste quelques personnalités de marque dans l’hôtel, comme Salvador Dalí ou le milliardaire américain J. Paul Getty et s’il le faut, l’on conviera aussi les autres occupants de l’établissement, comptant sur leur bonne éducation et leur capacité à s’intégrer au groupe d’intellectuels réunis pour l’occasion.

Je ne connaissais pas Pauline Dreyfus et je la découvre avec ce roman plein de fantaisie, bourré d’humour et néanmoins très instructif puisqu’elle évoque, au delà des évènements de 68, la façon dont, en 1944, l’amiral Choltitz, logé au Meurice, désobéit à Hitler et épargna Paris en refusant d’ordonner son bombardement. Autre sujet de satisfaction avec ce livre, c’est que le lauréat du prix Roger-Nimier en 1968 était Patrick Modiano pour son roman La place de l’étoile, et qu’il est vraiment intéressant de retrouver le tout jeune auteur à l’élocution déjà hésitante comme l’un des personnages de cette histoire. Il n’est d’ailleurs pas le seul, puisque l’on côtoie aussi Paul Morand, Jacques de Lacretelle, Marcel Jouhandeau parmi les convives. Et puis, il y a aussi l’envers du décor, les employés du palace que l’on suit au cours de cette journée peu ordinaire, ceux que l’on ne voit jamais d’habitude, qui se doivent d’être transparents pour les occupants tout en assurant leurs fonctions, et qui réagissent, chacun à leur manière, à la nouvelle organisation du travail dans l’hôtel.

Bref, une réussite que ce roman que je recommande vivement !

Extrait page 33-34 :
La conciergerie de l’hôtel fait office de tour de contrôle. C’est donc là qu’il faut se rendre pour reconstituer les itinéraires des uns et des autres. Au moment où le directeur s’approche du concierge, il surprend son regard horrifié : une femme de ménage est en train de passer la serpillière sur le marbre du hall d’entrée, sous les yeux des clients. C’est contraire à tous les usages, qui veulent que dans un hôtel de luxe ce genre de tâche s’effectue plutôt la nuit. À dire les choses franchement, cela relève d’un hôtel de deuxième ordre. Mais l’autogestion est passée par là ; C’est maintenant ou pas du tout, a déclaré l’employée que n’émeuvaient pas les regards courroucés du concierge. Le directeur est sur le point de marquer sa désapprobation quand il se souvient qu’il n’est plus directeur. Il faut taire le blâme et se résigner à l’offense.