Roman écrit en 1939 et publié en 1942.
Une cliente de l’hôtel Majestic a été étranglée et son corps a été dissimulé dans un casier des vestiaires du personnel. C’est le cafetier, Prosper Donge, qui l’a découverte lorsqu’il a pris son service au petit matin. Le commissaire Maigret est chargé de l’enquête et passe sa première journée à interroger les employés de l’hôtel. Il tente de saisir l’ambiance dans l’établissement et cherche à élucider ce qui a pu amener l’épouse d’un riche homme d’affaire américain dans les sous-sols du palace. Une visite le soir chez Prosper, à Saint-Cloud où celui-ci vit chichement avec Charlotte, dame-pipi dans une boîte de nuit, confirme le commissaire dans son intuition que Prosper ne lui dit pas tout ce qu’il sait. Mais le commissaire a de l’expérience et sait qu’il ne faut pas se contenter des apparences.
Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus lu Georges Simenon, en général, et son commissaire Maigret, en particulier. J’avais oublié les lenteurs de l’enquête, la rudesse apparente de Maigret, son attention aux petites gens et son envie de comprendre les dessous d’une affaire, lorsqu’il doute des premières conclusions de sa hiérarchie.
Ce qui intéresse le commissaire, et par conséquent son lecteur, c’est d’entrer dans un univers, d’en décortiquer les relations entre les protagonistes, de creuser le passé de chacun, d’être juste et honnête avec lui-même, d’arrêter les crapules et de savoir être indulgent avec ceux que l’existence n’a pas gâtés. Une leçon d’humanité, en quelque sorte.
Extrait page 70 :
Trois heures durant, Maigret garda l’impression déplaisante de patauger dans une sorte de no man’s land, entre la réalité et le rêve. C’était peut-être sa faute ? Jusqu’à Lyon et plus loin, peut-être jusqu’à Montélimar, le train avait roulé dans un tunnel de brouillasse. La femme au petit chien, en face du commissaire, n’avait pas quitté sa place et il n’y avait aucun compartiment vide.
Maigret n’avait pas pu se mettre à l’aise. Il faisait trop chaud. Quand on baissait la vitre, il faisait trop froid. Alors, il avait gagné le wagon-restaurant et, pour se remonter, il avait bu de tout, d’abord du café, puis de la fine, puis de la bière.
Vers onze heures, se sentant barbouillé, il s’était dit que cela irait mieux s’il mangeait et il avait commandé des œufs au jambon, qui ne passaient pas plus que le reste.
Bref, il se ressentait de sa nuit sans sommeil, des heures de train ; il était à cran. Au départ de Marseille, il s’endormit dans son coin, la bouche ouverte, et quand il sursauta en entendant crier « Cannes ! », il resta stupide d’étonnement.
Des mimosas partout, dans un soleil éclatant de 14 Juillet. Des mimosas aux locomotives, aux wagons, aux poteaux de fer de la gare ! Et un grouillement de voyageurs vêtus de clair, d’hommes en pantalon blanc…
D’une micheline, il en débarquait des douzaines, avec casquette d’uniforme et des instruments de cuivre sur les bras. À peine hors de la gare, il se heurtait à un autre orphéon, et celui-ci lançait dans l’air des notes vibrantes.
C’était une orgie de lumière, de sons, de couleurs. Partout des drapeaux, des bannières, des oriflammes, et surtout, partout des mimosas dorés qui répandaient une odeur sucrée dont toute la ville était saturée.
— Pardon, sergent, demanda-t-il à un agent de police qui, lui aussi, avait un air de fête, pourriez-vous me dire ce qui se passe ?
On le regarda comme s’il tombait de la lune.
— Et le grand Corso fleuri, donc ?
D’autres fanfares sillonnaient les rues, se dirigeant vers la mer qu’on apercevait parfois, d’un bleu de pastel, au bout de la perspective d’une rue.
Il se souvint par la suite d’une petite fille vêtue en pierrette et que sa mère entraînait rapidement par la main, sans doute pour avoir une bonne place au Corso. Cela n’aurait rien eu d’extraordinaire si la petite fille n’avait porté sur le visage un masque hallucinant, à long nez, à pommettes rouges, avec des moustaches tombantes de Chinois. Ses petites jambes potelées trottaient, trottaient…
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