mercredi 18 juin 2025

La peau des pêches

La peau des pêches – Salomé Berlioux 

Stock (2021) 

Ils se rencontrent lors d’un dîner, tombent amoureux, s’installent ensemble puis se marient. Très vite, ils décident d’avoir un bébé. Diane a vingt-sept ans, Aurélien en a trente-neuf, il est déjà père d’une fillette de quatre ans. Les mois passent, aucune grossesse ne s’annonce. Les examens ne montrent aucune anomalie, ils sont tous les deux capables de procréer, mais pas ensemble, leur couple est infertile. Ils se tournent alors vers la PMA, remplis d’espoir et confiants dans les progrès de la médecine. 

Faire face à l’infertilité alors que tout semble normal, affronter les multiples traitements et leurs conséquences douloureuses, supporter les prélèvements d’ovocytes, être suspendu à l’évolution des blastocytes, être confronté aux échecs successifs de décongélation, d’implantations infructueuses, de fausses couches précoces, ce sont les étapes qui s’enchaînent dans un cycle sans cesse recommencé tandis que les mois et les années passent. Il faut aussi se confronter aux questions et aux doutes des proches tout en gardant la combativité nécessaire.

 

Le roman est divisé en quatre parties, vouloir, essayer, échouer, accepter, qui illustrent parfaitement l’évolution de l’héroïne et de son compagnon. J’ai été impressionnée par leur ténacité, leur confiance en l’avenir même si les moments de découragement, de désespoir et de remise en question sont fréquents.
 

C’est un roman percutant et émouvant. La narratrice plonge en elle pour dire ses pensées, ses sensations, ses hauts et ses bas. Lorsqu’elle décide de raconter ce qu’elle vit à des amis ou des connaissances, elle se rend compte que le parcours pour devenir parents est souvent difficile aussi chez les autres et elle y trouve un soutien inattendu, un encouragement à continuer.

Si je ferme les yeux pour me plonger dans le passé avec l’espoir de voir émerger un moment fort, une première porte ouverte sur le récit, je n’y parviens pas. À cause de toutes ces étapes. Répétées. Multipliées. Entremêlées. C’est un magma de souvenirs qui chaque fois me submerge. Pas un seul événement. Pas un moment en particulier. Une avalanche. Je ferme les yeux et une interminable coulée de lave s’impose. Je n’ai jamais vu de volcan en éruption. Cela n’empêche pas l’image d’être très nette. Elle m’accompagne. La nuit, quand j’ouvre les paupières et que je sais que le sommeil ne viendra plus. Dans la salle d’attente du médecin. Chez mes beaux-parents le dimanche. Quand je passe du temps avec ma petite sœur et que je la vois, si belle, brillante, prometteuse, sans parvenir à retrouver les sensations physiques de mes seize ans. Dans la rue, souvent. Au travail, quand, derrière mon ordinateur, je me sens flancher et prends ma tête entre les mains. Respire. Ça va aller. La lave se déverse du volcan, envahit tout, entraîne avec elle des pans entiers de ses flancs. Une nuée ardente. Torrentielle, elle dévale les pentes. Brûlante, dense, visqueuse, elle coule. Je la regarde couler. Je ne peux rien faire contre l’invasion. (page 110)

Je savais que se lancer dans une P.M.A n’était pas un chemin de roses mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si éprouvant, si chaotique. Bref, je ne mesurais pas ma chance d’avoir eu des enfants quand je les ai voulus sans aucune difficulté !
 

J'étais complètement passée à côté de la sortie de ce très beau texte en 2021. Heureusement, ma médiathèque l'a mis en tête de rayon, dans le cadre d'une sélection d'ouvrages des éditions Stock. Merci aux bibliothécaires de m'avoir donné l'occasion de découvrir ce roman très fort.

mercredi 21 mai 2025

11 quai Branly

11 Quai Branly – Mazarine M. Pingeot

Collection Retour chez soi – Flammarion (2024)

 Retour chez soi
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ne collection imaginée
par Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon
sous la direction d’Alix Penent.

« Retour chez soi » est une collection de littérature qui offre à des écrivains la possibilité de revenir, des années plus tard, dans un lieu de leur enfance ou de leur adolescence, un lieu du passé perdu depuis longtemps mais qui palpite encore dans la mémoire. Le temps d’une journée et d’une nuit, ils en auront, pour eux seuls, les clés. Qui n’a pas rêvé de retrouver l’endroit qui l’a forgé ? Les écrivains livreront le récit intime de cette expérience du retour, des souvenirs qui demeurent, se ravivent et parfois se perdent.

 

Ce livre est la réponse de Mazarine Pingeot à la proposition d’Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon.

 

Alors je leur dis : le seul lieu qui m’intéresse, c’est l’Alma. Là où j’ai vécu (et perdu ?) mon adolescence. C’est un espace gardé, une muraille, il est impossible d’y entrer. (page 17)

 

L’Alma, pour Mazarine Pingeot, c’est le 11 quai Branly, un ensemble d’immeubles sécurisés où sont logés des hauts fonctionnaires, des personnels de l’Elysée, des salariés des services de renseignements. C’est là qu’elle a vécu avec ses parents, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, lorsqu’il n’a plus été possible, pour raison de sécurité, de vivre dans le petit logement d’Anne Pingeot dans le sixième arrondissement.

Dans ce livre dédié à sa mère, Mazarine M. Pingeot se prépare au retour dans les lieux qu’elle a habités de façon invisible entre ses neuf et seize ans, elle revient sur son enfance et son adolescence « cachée » jusqu’à ce qu’une photo à la Une de Paris-Match l’amène dans la lumière et change à tout jamais son existence.

Le passage dans les lieux sera très rapide, malaisant mais également salutaire, pour elle peut-être, pour le lecteur plus sûrement puisqu’il est à l’origine de ce texte fort et personnel.

J’ai aimé ce livre, Mazarine Pingeot y raconte beaucoup d’elle-même et y règle quelques comptes. Ce qui m’a frappée, c’est son analyse du secret dans lequel elle a été plongée toute son enfance, ce secret dont personne ne parlait, qui ne lui était jamais intimé mais qui lui était naturel. Elle-même était le secret. Hasard de la vie, elle apprend le décès de Robert Badinter quelques jours avant que commence l’expérience, lui qui a convaincu François Mitterrand de reconnaître sa fille lorsqu’elle avait dix ans. Puis, quelques semaines plus tard, c’est Frédéric Mitterrand qui disparait. À chaque fois, ce sont les souvenirs d’enfance qui remontent et qu’elle nous livre, tels qu’elle les a vécus puis tels qu’elle les analyse maintenant, avec le regard de l’adulte et de la professeure de philosophie.

Ce que les gens ont du mal à comprendre, c’est qu’être un secret ne rend pas complètement stupide, ni coupé de tout : vous gardez des yeux et des oreilles, vous avez un père et une mère, le matin vous prenez un petit déjeuner en écoutant la radio, le soir vous dînez avec vos deux parents, parfois avec un seul ; dans la cour de récréation vous jouez avec des amis. Et tout cela, en étant un secret. Bien sûr, ça change quelque chose. Bien sûr, ça modifie tous les gestes. Mais c’est vous qui ne devez pas dire, quant aux autres ils vous parlent, ils évoluent peut-être dans une réalité parallèle, celle-ci pour autant ne vous est pas totalement hermétique. (Page 33)

Autre ouvrage dans cette collection : 6 avenue George V de Thomas B. Reverdy

 

dimanche 19 mai 2024

Qui-vive

Qui-vive – Valérie Zenatti

Éditions de l’Olivier (2024)

Mathilde est professeur d’histoire-géographie dans un collège, elle est mariée et a une fille adolescente. Depuis plusieurs mois, Mathilde vit dans le flou, encore dans le contre-coup de la pandémie liée au coronavirus et de ses confinements successifs. Elle est devenue insomniaque et a perdu le sens du toucher. 

Elle subit aussi les conséquences existentielles d’autres évènements comme les attentats de 2015, la mort en 2016 de Léonard Cohen dont elle était fan, l’élection de Donald Trump, le déclenchement de la guerre en Ukraine, la mort de son grand-père, des évènements qui la concernent directement ou pas mais qui l’ont percutée. 

Elle regarde en boucle une vidéo tournée à l’occasion d’un concert de Leonard Cohen à Jérusalem en 1972 lorsque le chanteur a quitté la scène parce qu’il ne se sentait pas sincère. 

Un beau jour, elle annonce à son mari et à sa fille qu’elle a besoin de partir, de faire le vide. Elle se rend à l’aéroport de Roissy et monte dans le premier avion pour Israël. Commence alors pour Mathilde une errance géographique et historique, dans ce pays qu’elle ne connait pas mais où vit une partie de sa famille. Elle revisite sa propre histoire et celle d’Israël, au travers de rencontres imprévues, de discussions et de découvertes qui vont l’aider à se reconnecter à son présent et à son idole.
 

Difficile pour moi de parler de ce livre, assez court et pourtant très riche en impressions, en émotions et en questionnements. 

Je l’ai lu assez rapidement et j’ai vite compris que j’étais passée à côté de ce que voulait nous dire Valérie Zenatti. J’ai attendu quelques jours et m’y suis replongée. J’ai bien fait, c’est un texte profond, qui nous parle de notre époque et de notre mal-être.  Il montre comment on peut individuellement être affecté par la course du monde, par ce qui se passe près de soi et aussi à des milliers de kilomètres, par des évènements que l’on suit en direct et d’autres qui ont eu lieu il y a longtemps, par une mort qui touche un artiste qu’on admire ou par celle d’un proche.
 

Ce livre est un roman mais j’ai eu l’impression que Valérie Zenatti y mettait aussi beaucoup de ses expériences personnelles. J’ai beaucoup aimé les personnages que l’héroïne rencontre au hasard de ses déplacements, elle les rend très vivants. Ainsi, je me suis demandé si Constance Kahn, metteuse en scène d’un spectacle sur la destruction du Deuxième Temple existait réellement, pour me rendre compte, en cherchant son nom sur Internet, qu’il s’agissait d’un personnage du premier roman pour adultes de Valérie Zenatti, En retard pour la guerre (2006).
 

Pour comprendre la genèse de Qui-vive je conseille la lecture d’un entretien sur Tenoua.org, très intéressant. 

On pourra aussi visionner la vidéo du concert de 1972 de Leonard Cohen dont il est beaucoup question dans le livre, sur Youtube, il s'agit d'un extrait du documentaire Bird on a Wire de Tony Palmer.
Dans ses sources, Valérie Zenatti cite également un documentaire de Donald Brittain et Don Owen intitulé Mesdames et messieurs, M. Leonard Cohen réalisé en 1965, visible sur le site de L’INA, à condition d’être abonné.
 

Un extrait page 61 :

Le décalage entre les évènements et ma capacité à les intégrer devenant un canyon infranchissable, je pensai : la membrane d’interrogations qui m’entoure étouffe chez moi la compréhension et le toucher, peut-être situés dans la même zone du cerveau. Je proposai cette hypothèse à mon médecin, qui la réfuta. Ne vous improvisez pas chercheuse en neurologie, madame Karsenti, faites les examens que je vous ai prescrits, c’est une question de vie ou de mort, je vous le dis franchement. Je ne peux pas vous forcer, vous avez votre libre arbitre mais quand même, soyez un peu responsable de vous-même. Je pris ces derniers mots à la lettre, dans un autre sens que celui où il les entendait. Je visionnai encore les quatre minutes et deux secondes de Leonard Cohen quittant la scène à Jérusalem, et je compris enfin ce qu’elles me disaient. Ici, maintenant, dans mon cours d’eau qui continuait de s’écouler.
Devant des milliers de personnes littéralement à ses pieds, Leonard Cohen osait admettre : je suis peut-être votre roi, mais ce soir je suis nu,
autant ne pas se mentir.

 

Il est écrit sur la quatrième de couverture, « Un roman aux multiples facettes qui confirme de manière éclatante le talent de son auteure ». Et bien, je suis tout à fait d’accord avec cela et j’ai vraiment savouré ce roman ! 

N.B. Comme Sally Rooney, Valérie Zenatti est fâchée avec les marques de ponctuation du dialogue et ça convient très bien à ce roman qui mêle magnifiquement interrogations personnelles et ouverture aux autres.

jeudi 9 mai 2024

Où es-tu, monde admirable

Où es-tu, monde admirable – Sally Rooney

Éditions de l’olivier (2022)
Traduit de l’anglais (irlandais) par Laetitia Devaux

 

Alice, jeune romancière à succès, vient d’emménager dans une maison à l'écart d’un village de la campagne irlandaise. Elle a décidé de se mettre au vert après une grave dépression. Grâce à Tinder, elle entre en contact avec Felix, un natif du coin, qui travaille comme manutentionnaire dans un entrepôt. Leur premier rendez-vous est un échec. Néanmoins, Alice propose à Felix de l’accompagner à Rome où elle doit se rendre quelques jours pour la promotion de son dernier livre.
Eileen, la copine d’Alice depuis l’université, est issue d’une famille rurale, elle vit à Dublin et travaille pour une revue littéraire, où elle exerce un emploi qui ne la passionne pas pour un salaire insuffisant. Elle a vécu trois ans en couple avec Aidan puis ils se sont séparés. Depuis, Eileen n’a pas eu d'engagement sérieux. Elle renoue avec Simon, qu’elle connait depuis l’enfance et avec lequel elle a une relation ambiguë. Simon est un peu plus âgé, il est attaché parlementaire à Dublin et s’investit aussi dans une ONG. Il est très croyant mais ne se sent pas heureux. Il répond toujours présent quand Eileen fait appel à lui.


Le socle du roman, ce sont les échanges d’e-mails fréquents entre Alice et Eileen. Elles parlent de tout et de rien, se racontent leur vie quotidienne, reviennent sur leurs souvenirs, leurs expériences passées heureuses ou malheureuses. Elles discutent aussi de sujets sérieux, le Christianisme, la Beauté, L’Art, la crise écologique, le temps qui passe et l’horloge biologique. Elles sont amies mais ne se ménagent pas. Elles ont aussi beaucoup de difficultés à se rencontrer. Alice invite Eileen à venir la voir à la campagne mais elle s’absente souvent pour des voyages de promotion de ses romans. Eileen se plaint qu’Alice ne l’avertisse pas quand elle passe à Dublin en transit vers Londres ou vers l’Europe. Finalement, un week-end va réunir les quatre protagonistes à la campagne.
 

En relisant le billet que j’avais écrit à propos de Conversations entre amis, le premier roman de Sally Rooney, je me rends compte que je pourrais dire un peu la même chose à propos de Où es-tu, monde admirable. Comme précédemment, mon résumé pourrait laisser croire qu’il s’agit encore d’un roman léger, où deux trentenaires s’épanchent sur leurs amours contrariées. Mais encore une fois, c’est bien autre chose. Certes, les relations amoureuses des deux filles prennent beaucoup de place dans le roman mais c’est loin d’être le sujet principal. C’est plutôt un état des lieux de la vie d’un groupe de jeunes trentenaires qui peinent à trouver leur place, qui sont encore dans l’illusion des rêves de jeunesse mais de plus en plus confrontés à la réalité d’un monde en plein bouleversement. D’ailleurs, les dernières pages du roman se passent en pleine pandémie de Covid-19. Avec ce roman, on est en plein dans la vie.
 

Sally Rooney est toujours fâchée avec les marques de ponctuation des dialogues. C’est un peu surprenant au début, on ne sait pas toujours qui s’exprime mais on s’y fait !  
 

Ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est qu’il me projette dans un univers qui n’est pas le mien car mes trente ans sont bien loin ! Mais ça m’intéresse d’avoir un autre point de vue, de partager les interrogations et les difficultés d’une autre classe d’âge que la mienne pour mieux comprendre les jeunes de mon entourage, être sensible à leurs préoccupations.
 

Dans mon billet sur Conversations entre amis, je regrettais que Sally Rooney évoque superficiellement de trop nombreux sujets. Et bien, avec Où es-tu, monde admirable, elle les a un peu plus développés et elle a bien fait. À quand son prochain roman ?

vendredi 3 mai 2024

Le cygne et la chauve-souris

Le cygne et la chauve-souris – Keigo Higashino

Actes Sud (2023)
Traduit du japonais par Sophie Refle

 

Le cadavre d’un homme poignardé a été retrouvé sur la banquette arrière de sa propre voiture garée dans une rue de Tokyo. Il s’agit de Shiraoshi Kensuké, un avocat en droit pénal.
L’inspecteur Godai et son jeune collègue Nakamachi sont chargés de l’enquête qui s’annonce difficile. Mais assez vite, Godai obtient les aveux d’un homme dans la soixantaine, Kuraki Tatsurō.
Celui-ci reconnait avoir tué l’avocat et s’accuse d’un meurtre qu’il a commis dans la province de Nagoya plus de trente années auparavant, crime désormais prescrit.
À l’époque, il n’avait pas été suspecté et un homme arrêté à tort s’était pendu pendant sa garde à vue. Kuraki ne s’était pas dénoncé. Longtemps après, pétri de remords, devenu veuf et à la retraite, il a retrouvé la trace de la veuve et de la fille de l’homme accusé à tort. 

Afin d'échapper à la honte, les dames Asaba se sont installées à Tokyo, où elles ont ouvert un restaurant. Kuraki a pris l'habitude de s'y rendre trois ou quatre fois par an lorsqu'il vient voir son fils Kazuma. Une relation de confiance s’est établie entre Kuraki et les deux femmes. Souhaitant leur léguer une partie de ses biens pour compenser le préjudice qu’il estime leur avoir causé, Kuraki a consulté l’avocat Shiraoshi pour solliciter ses conseils et lui a avoué son crime. Shiraoshi aurait alors tenté de le convaincre de se dénoncer aux deux femmes. Kuraki, qui ne voulait pas mettre en péril la relation qu’il avait construite avec elles, aurait pris peur et, paniqué à l’idée que l’avocat pourrait révéler son secret, l’aurait poignardé.
 

La police de Tokyo peine à vérifier les aveux de Kuraki. Tous les témoins sollicités à son sujet sont unanimes pour s’étonner que cet homme puisse être doublement un assassin. Même les dames Asaba se refusent à lui en vouloir et plaignent son fils d’avoir à subir l’opprobre de la société, comme elles l’ont elles-même vécu. Kazuma ne fait pas exception, il est persuadé que son père ment sur certains éléments, comme Shiraoshi Mirei, la fille de l’avocat qui ne reconnait pas son père dans l’attitude que lui prête Kuraki. Jamais son père n’aurait fait pression sur lui pour le convaincre de dénoncer son crime aux dames Asaba.

Alors que l’affaire est bouclée et que Kuraki attend son jugement en prison, Kazuma et Mirei, chacun de son côté, mènent l’enquête pour tenter de comprendre ce qui s’est passé. Puis, lorsqu’ils se rencontrent par hasard, ils associent leurs efforts pour découvrir la vérité.


Jusqu’à présent j’ai apprécié les romans de Keigo Higashino et celui-ci n’a pas fait exception. L’intrigue est très bien menée et s’articule d’une façon très fluide entre les actions et les interrogations des différents protagonistes. 

Ce que j’aime dans les romans d’Higashino, c’est qu’il s’appesantit peu sur les scènes de crime. Pas de descriptions glauques et sanguinolentes, il s’intéresse surtout au déroulement de l’enquête. Ici, il accorde une grande place aux doutes, ceux des policiers comme ceux des proches du suspect et des victimes, ceux des témoins. La personnalité des protagonistes est analysée finement, l'auteur prend son temps en laissant les enfants du suspect et de la victime prendre le relais des forces de police. 

Ce que j'apprécie également dans mes lectures d'Higashino, c'est une meilleure connaissance de la société japonaise, de ses règles de vie bien différentes des nôtres. C’est une société où l’honneur a une autre signification, où une réserve presque excessive est la norme dans toutes les relations, qu'elles soient proches comme dans le milieu familial, ou plus distante dans le milieu professionnel. Ainsi, la police de Tokyo hésite à interroger celle de la région de Nagoya où a eu lieu le meurtre trente ans plus tôt, craignant de raviver la honte que représentait pour les autorités locales le suicide d’un suspect dans ses locaux. 

En revanche, au Japon comme chez nous, les réseaux sociaux exercent la même violence sur les individus lorsqu’ils sont mis en lumière par l’actualité. Ainsi, Kazuma, lorsque son père est arrêté, est prié par son responsable hiérarchique de se mettre en congé pendant deux semaines car il est en contact avec la clientèle de son entreprise, et l’affaire pourrait nuire à la réputation de celle-ci. Par la suite, lorsqu’il reprend son travail, il est muté à un poste où il n’a plus de contact commercial.


J’avais lu de bonnes critiques de ce roman chez Dasola et Tu l'as lu?? et j'ai bien fait d'avoir suivi leurs avis !

J'ai dans ma Pal un autre roman d'Higashino, Les miracles du bazar Namiya. L'avez-vous lu, qu'en pensez-vous ?

mardi 26 mars 2024

Les Enfants endormis

Les Enfants endormis


Les Enfants endormis – Anthony Passeron

Éditions Globe (2022)  


En réponse à une question banale, Anthony Passeron apprend le prénom du frère de son père, cet oncle Désiré dont on ne parle jamais dans la famille. Pourquoi son père est-il allé le chercher un jour à Amsterdam ? Pourquoi cette évocation le contrarie-t-il à ce point ?


Dans la famille, tous ont fait pareil à propos de Désiré. Mon père et mon grand-père n'en parlaient pas. Ma mère interrompait toujours ses explications trop tôt, avec la même formule : « C'est quand même bien malheureux tout ça. » Ma grand-mère, enfin, éludait tout avec des euphémismes à la con, des histoires de cadavres montés au ciel pour observer les vivants depuis là-haut. Chacun à sa manière a confisqué la vérité. Il ne reste aujourd'hui presque plus rien de cette histoire. Mon père a quitté le village, mes grands-parents sont morts. Même le décor s'effondre.
Alors Anthony s'est décidé à écrire ce livre pour qu'il reste quelque chose de son histoire familiale.  

Pour leur montrer que la vie de Désiré s'était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et pour les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés.
Ce chaos du monde, c'est l'enfer de la drogue et ses conséquences, c'est à dire le Sida. C'est l'histoire que raconte ce livre, celle d'une famille entrainée par l'un des siens dans la tragédie. Mais pour en rappeler le caractère universel, Anthony Passeron raconte en parallèle l'histoire du Sida, vue de la communauté scientifique et médicale. Pour faire évoluer ses deux récits, il a pris le parti d'en alterner les chapitres et ainsi les deux histoires sont imbriquées, l'une illustrant l'autre. Et ce qui pourrait paraître théorique dans l'une vient aussitôt trouver un aspect très concret dans l'autre.

L'histoire du Sida, nous la connaissons tous, plus ou moins, mais Anthony Passeron la raconte d’une façon très claire, très simple, en rappelant les médecins et les chercheurs qui ont été importants dans les premiers temps et sur le long terme. Grâce à ce récit, on se souvient des noms, ceux qui ont été mis en avant, ceux qui ont été récompensés, ceux qui ne l’ont pas été. On redécouvre les épisodes de l’apparition de la maladie, le travail des équipes françaises et américaines et la compétition qui s'installe, les succès et les échecs, les fausses pistes, les espoirs et le combat toujours d’actualité. Et surtout, on se rappelle les peurs, l’exclusion des malades, les préjugés et la bêtise.

C’est un livre important pour se rappeler ce qu’ont été les années Sida et pour apprécier le chemin parcouru dans la lutte contre la maladie même si on attend toujours un vaccin. La route est encore longue !

J’ai beaucoup apprécié ce livre et l’alternance des deux récits, aussi intéressants et passionnants l’un que l’autre. L’histoire familiale illustre très concrètement un phénomène qui touche l’humanité toute entière et permet d’un ressentir immédiatement les aspects sociologiques et intimes. Une vraie réussite !

 

mercredi 13 mars 2024

La Colère et l'Envie

La Colère et l'Envie - Alice Renard 

Éditions Héloïse d'Ormesson (2023)

Isor est une enfant différente, autiste peut-être, mais le mot n’est jamais prononcé. Elle vit avec ses parents, qui, après de nombreuses errances médicales et scolaires, ont décidé de la garder à la maison et se sont progressivement isolés de tout le reste. Ils ont encore leurs activités professionnelles mais ont adapté leurs horaires pour se relayer auprès de l’enfant. Un jour, alors qu’il y a des travaux chez eux, ils confient la fillette de 13 ans à un voisin, un homme âgé, qui vit seul. Il a été photographe, il adore la musique. Entre lui et l’enfant se noue une relation de confiance et d’amour. Isor passe alors ses journées chez Lucien et s’ouvre petit à petit à la vie. Jusqu’à ce qu’un évènement vienne rompre les habitudes et pousse Isor vers le monde, vers le passé de Lucien.
 

J’ai beaucoup aimé ce livre, construit en trois parties. 

Dans la première, le père et la mère s’expriment tour à tour et racontent leur vie avec Isor, le bouleversement qu’a amené l’arrivée de cette enfant pas comme les autres chez eux. Les deux parents sont très différents et chacun survit à sa façon. La mère est aimante, surprotectrice, centrée sur son enfant. Le père ne comprend pas sa fille, lui en veut, elle lui fait peur. 

Dans la deuxième partie, c’est Lucien qui raconte sa découverte d’Isor, son irruption chez lui et le progressif apprivoisement qui s’établit entre eux. On perçoit que Lucien a vécu un drame et que la présence d’Isor vient combler un manque. 

Dans la troisième partie, Isor a disparu, Lucien est à l’hôpital. Commence alors le récit d’une libération et d’un envol, au travers des réactions des parents et des nouvelles qu'ils reçoivent de leur fille. Même si l’épopée d’Isor est peu crédible, je l’ai perçue comme un conte, comme le récit d’une aventure initiatique dans laquelle elle s’embarque, comme pour se substituer à Lucien qui n’en a plus les moyens.
 

C’est un premier roman, Alice Renard est toute jeune, née en 2002, elle étudie la littérature médiévale à la Sorbonne. Donc rien à voir avec le sujet de ce livre ! Mais quel talent pour créer un univers, varier les styles, donner la voix à ses personnages et en particulier à Isor. Une histoire très forte et très maitrisée.
 

J’ai découvert ce livre car il fait partie de la sélection du prix Libraires en Seine 2024 et cette année, pour la première fois, j’ai décidé de lire toute la sélection, en alternant les achats et les emprunts en bibliothèque. Ce qui m’y a incitée, c’est que j’ai déjà lu un des titres proposés, Eden, que j’avais aussi beaucoup aimé. J'ai depuis lu un des autres livres en lice et il est très bien aussi. Le choix va être difficile !