lundi 20 octobre 2025

Passé Imparfait

Passé Imparfait - Julian Fellowes 

Édition collector 10-18 (2017) 
Traduit de l'anglais par Jean Szlamowicz
 

Ils se sont rencontrés à Cambridge en 1968, le narrateur a introduit Damian Baxter dans les cercles de l’aristocratie anglaise qu’il fréquentait. Très vite, Damian est devenu incontournable dans les bals de la Saison des Débutantes, où il a fait tourner la tête de nombreuses jeunes filles. Et puis, en 1970 lors de vacances à Estoril, au Portugal, un évènement scandaleux s’est produit, expulsant définitivement Damian du cercle privilégié où il avait cru se faire une place et ruinant à jamais l’amitié des deux hommes.
Quarante ans plus tard, Damian a réussi dans les affaires, il est à la tête d’une fortune colossale. Le narrateur est devenu un écrivain au succès modeste, sa vie sentimentale est terne. Aussi est-il très surpris de recevoir une invitation de Damian, très malade, qui lui confie une étrange mission. Une lettre anonyme, qu’il a reçue vingt ans auparavant, lui laissait entendre qu’une des jeunes filles qu’il avait fréquentées avait eu un enfant issu de leur relation. Sentant sa fin approcher, Damian veut retrouver l’enfant et charge le narrateur de la faire pour lui. Muni d’une liste de cinq noms et d’une carte de crédit, celui-ci part à la recherche du passé, autant celui de Damien que le sien.
 

Je connaissais Julian Fellowes comme étant d’une part le scénariste de Downton Abbey, la série britannique qui a agréablement occupé mes soirées de la période Covid, et d’autre part l’auteur de Belgravia, un roman que j’ai lu et qui ne m’a pas marquée. Je ne savais donc pas trop à quoi m’attendre en commençant ce roman déniché dans une boîte à livres.

C’est simple, cette lecture m’a enchantée, c'est une histoire très romanesque et également une brillante étude sociologique de l’aristocratie anglaise de la fin des Sixties, présentée avec humour et un certain esprit critique. 

J’ai ainsi tout appris de la Saison des Débutantes, qui permettait aux familles de présenter leurs filles à marier, de faire connaissance des potentiels candidats, d’entretenir un réseau de relations à cultiver. Savoir que l’histoire se déroule en 1968 est anachronique, pour nous Français, dont la jeunesse avait à ce moment-là d’autres préoccupations. Mais il ne s’agit là bien sûr que d’un tout petit monde et il semble d’ailleurs que cette Saison de 1968 ait été l’une des dernières.  

Au cours de ses recherches, le narrateur est amené à retrouver des jeunes filles qu’il a lui-même fréquentées, il a d’ailleurs gardé des contacts espacés avec certaines. Mais le temps a fait son œuvre de désillusion pour beaucoup d’entre elles, le brillant avenir qui leur était promis s’est rarement réalisé. On apprend dans les derniers chapitres ce qui s’est passé à Estoril et on comprend combien cet univers de traditions et de rêves était fragile. 

Dommage que je n’aie pas lu ce livre plus tôt cet été, avec ses 645 pages il aurait pu participer au challenge des Pavés de l’été, ce qui lui aurait donné la visibilité qu’il mérite amplement !

dimanche 5 octobre 2025

Un perdant magnifique

Un perdant magnifique - Florence Seyvos 

Éditions de l'Olivier (2025) 

 De Florence Seyvos, j'avais été enthousiasmée par un précédent roman, Le garçon incassable, touchée par l'écriture et par la tendresse qui se dégageait d'une histoire simple et sans éclat.

Cette fois, le héros est Jacques, le beau-père de Anna, la narratrice. Après son divorce, la mère d'Anna et d'Irène, a épousé cet homme originaire du Havre et installé à Abidjan où il fait des affaires. Quarante ans plus tard, Anna se souvient de leur vie en Côte d'Ivoire puis au Havre, où elles sont venues habiter dans les années 80, alors que Jacques est resté en Afrique. Ses visites plus ou moins régulières rythme la narration, faisant alterner l'illusion du bonheur et les fins de mois angoissantes.

 

Page 63 :

(...) Notre mère avait épousé un type qui portait des pyjamas aux couleurs vives et qui, chaque soir, récupérait sa carabine dans un placard avant de disparaître avec elle, notre mère, pour la nuit. Irène et moi n'avions jamais échangé un mot à ce sujet. Seuls nos yeux se parlaient : Tu vois ce que je vois ? Oui. 


 Une fois encore, c'est un sujet de roman qui ne paye pas de mine et pourtant, l'écriture de Florence Seyvos en fait une merveille. L'émotion pointe à chaque page, on comprend le trouble de la narratrice, son conflit de loyauté face à un homme imprévisible, tyrannique, généreux et immature. On perçoit ses étonnements d'enfant puis d'adolescente face à la fantaisie séduisante de Jacques puis sa prise de conscience des difficultés dans lesquelles il les plonge, sa mère, sa soeur et elle, par son inconséquence.

Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est la manière dont Florence Seyvos installe un climat d'instabilité, fait ressentir la précarité où vivent la mère et ses deux filles, à partir du point de vue d'Anna, par la description d'évènements du quotidien, des épisodes cocasses ou dramatiques racontés légèrement, sans pathos.

Page 109 : 
Devant l’unique fenêtre il y avait sa table de travail. Une machine à écrire, un cendrier plein, à côté duquel était posé son étrange fume-cigarette, des piles de papiers et tout autour, un continent de cire fondue, figée en nappes successives, dans lesquelles d’innombrables bougies consumées, empilées les unes sur les autres, formaient de petites montagnes. À certains endroits, les coulées de cire avaient débordé de la table et formé de longues stalactites.
C’est à ce moment-là que la voix de ma mère s’est brisée.
Cette image, plus que toute autre, avait frappé André Vernet, disait-elle, il n’avait pu s’empêcher de la décrire dans ses moindres détails.
Aujourd’hui encore, chaque fois que je vois une bougie dans laquelle la mèche a fini par se noyer, chaque fois que je vois une coulée de cire figée sur une table, je pense à Jacques. Cela fait quarante ans que cette image, que je n’ai jamais vue moi-même, me déchire le cœur.

Une réussite qui a séduit les lecteurs du jury du Prix du Livre Inter 2025

Un billet plus détaillé que le mien sur ce roman. 

 

mercredi 10 septembre 2025

Le Grand Monde


Le Grand Monde - Pierre Lemaitre    

Calmann-Levy (2022)
Les années glorieuses (tome 1)

Beyrouth, mars 1948. Comme tous les premiers dimanches de mars, la famille Pelletier fête l’anniversaire de la savonnerie familiale, fondée par Louis Pelletier et son épouse Angèle dans les années vingt. L’occasion pour le lecteur de découvrir le rituel immuable de l’évènement mais aussi de faire connaissance avec les membres de la famille, les deux fondateurs et leurs quatre enfants. 

Jean, l’ainé, surnommé Bouboule depuis l’enfance, a échoué à reprendre l’entreprise familiale et s’est établi à Paris avec Geneviève, son épouse, la fille du receveur des postes de Beyrouth, une mégère qui lui mène la vie dure. 
François, le cadet, a lui aussi rallié Paris pour intégrer l’école normale supérieure, c’est du moins ce qu’il a prétexté pour échapper à l’emprise familiale et on découvrira rapidement qu’il a d’autres ambitions.
À chaque départ de l’un de ses enfants, Mme Pelletier est presque à l’agonie et c'est de nouveau le cas en ce mois de mars 1948 puisque cette fois, c’est Étienne, le troisième fils, qui quitte le nid familial pour s’envoler vers Saïgon rejoindre son amant, Raymond, un légionnaire belge engagé dans les combats entre la France et le Viet-Minh. Étienne a trouvé un poste à l’Agence indochinoise des monnaies et il espère que son arrivée à Saïgon lui permettra d’avoir des nouvelles de Raymond dont il n’a plus reçu de courrier depuis plusieurs semaines.
Quant à la benjamine de la famille, Hélène, elle prépare son bachot et envisage avec crainte la perspective de se retrouver seule avec ses deux parents à Beyrouth. Elle non plus ne résistera pas longtemps à l’appel de la vie parisienne.
 
 

Avec ce premier tome d’une nouvelle série, j’ai retrouvé le Pierre Lemaitre de la trilogie Les enfants du désastre. Toujours le même talent pour dérouler une fresque qui se tient cette fois non plus dans l’entre-deux guerres mais dans les années de pénurie et de reconstruction d’après-guerre. Si le début de l’histoire s’intéresse principalement à Étienne et à ses aventures indochinoises, par la suite le récit se déploie vers les autres enfants Pelletier, au fur et à mesure que se produisent des évènements rocambolesques qui permettent au lecteur de découvrir des univers variés et pittoresques.

Néanmoins, j’ai peiné au début à m’intéresser aux démêlés professionnels d’Étienne à Saïgon, j’y ai trouvé quelques longueurs mais il faut bien en passer par là puisque ses découvertes à propos d’un trafic vont peu à peu provoquer l’implication du reste de la fratrie. Et puis, la réapparition de certains personnages d’Au Revoir là-haut lors d’un vrai coup de théâtre ravive l’intérêt de l’intrigue, pour ceux qui ont lu la première trilogie.

J’attends avec impatience de dénicher à la médiathèque ou ailleurs le deuxième opus de la série, Le silence et la colère, car j’ai déjà, sur mes étagères, le troisième tome, Un avenir radieux, que j’ai eu la chance de trouver dans une boîte à livres près de chez moi.

Le descriptif de l’éditeur qui laisse entrevoir la succession des rebondissements : 

La famille Pelletier
Trois histoires d’amour, un lanceur d’alerte, une adolescente égarée, deux processions, Bouddha et Confucius, un journaliste ambitieux, une mort tragique, le chat Joseph, une épouse impossible, un sale trafic, une actrice incognito, une descente aux enfers, cet imbécile de Doueiri, un accent mystérieux, la postière de Lamberghem, grosse promotion sur le linge de maison, le retour du passé, un parfum d’exotisme, une passion soudaine et irrésistible.
Et quelques meurtres.

 Ce roman de 592 pages me permet une nouvelle fois cet été de participer au challenge Les Pavés de l'été 2025 proposé par Sybilline.


 

samedi 30 août 2025

Revenir à Vienne

Revenir à Vienne - Ernst Lothar 

Liana Levi - collection Piccolo (2020) 
Traduit de l'allemand par Elisabeth Landes

Félix von Geldern, un jeune juriste issu d'une riche famille de banquiers viennois a quitté l'Autriche en 1938 après l'Anschluss parce qu'il ne voulait pas devenir allemand. Presque toute sa famille l'a accompagné, seule sa mère, veuve, est restée à Vienne. En 1946, Félix et sa grand-mère Viktoria viennent juste d'obtenir la nationnalité américaine et Félix envisage de se fiancer à Livia, la jeune soeur de sa logeuse, qui est très amoureuse de lui. Maintenant que le retour en Europe est possible, Félix est mandaté par ses oncles pour aller inspecter l'état de leurs affaires, d'abord dans la filiale parisienne puis au siège viennois de la banque. Sa grand-mère l'accompagnera.

Après un séjour parisien décevant, l'arrivée à Vienne est un choc. La mère de Félix, qui les accueille et les héberge, est quasiment aveugle, à cause des privations de la guerre, ce qui ne l'empêche pas d'avoir toujours des sympathies pro-nazies. La ville est en ruines, occupée par les troupes américaines, que la population locale, affamée, tient pour responsable des bombardements destructeurs. L'accueil des émigrés est plutôt frais : ils n'ont pas connu les horreurs de la guerre, ont vécu la belle vie aux États-Unis, sont devenus américains et sont donc du côté des occupants, ils ont le culot de venir demander des comptes sur la marche de leur banque et sur le comportement de leurs anciens compatriotes. Félix a la suprise de retrouver Gertrud, son ancienne fiancée qu'il croyait morte. La jeune femme est entretenue par un colonel américain et il se dit qu'elle a été la protégée de Goebbels. Félix se sent tenu par son engagement d'avant-guerre et tient à l'épouser, tout en étant très suspicieux à l'égard de ses anciennes fréquentations.

Dès son arrivée, Félix est convoqué au tribunal comme témoin dans le procès d'anciens dignitaires du régime nazi. Il se rend vite compte que les autorités sont très complaisantes et ne souhaitent que tirer un trait sur la période de la guerre afin de passer à autre chose, comme tous ceux qui se sont compromis avec l'occupant nazi. D'une façon générale, la population autrichienne s'estime victime du nazisme et reproche maintenant à l'occupant américain de ne pas en faire assez pour reconstruire le pays. 

C'est un livre que j'ai lu avec intérêt car il éclaire un pan de l'histoire autrichienne que je ne connaissais pas. L'auteur dépeint très bien l'incompréhension qui règne entre les émigrés de retour au pays et ceux qui ont vécu l'invasion allemande et la période de guerre. Chacun s'accroche à sa rancœur et peine à prendre en compte la situation de l'autre.

D'Ernst Lothar, j'ai déjà lu Mélodie de Vienne et j'ai trouvé un point commun entre ces deux romans : les personnages ne sont pas sympathiques. Cela explique sans doute l'impression mitigée qui reste à l'issue de leur lecture. Personnellement, j'ai besoin de ressentir un peu d'empathie avec au moins un héros de l'histoire. 

Néanmoins, je ne regrette pas du tout cette lecture d'été dont les 544 pages de l'édition Piccolo m'ont permis de participer au challenge Les Pavés de l'été 2025 proposé par Sybilline


dimanche 17 août 2025

Pour tout l'or de Brest


Pour tout l’or de Brest – Wazo 

Lajouanie Poche (2025) 

Wazo, graffeur à Paris, s’est spécialisé dans le graffiti sur les wagons du métro parisien. Lors d’un repérage dans un tunnel de stockage, il a découvert une rame de type MF67, en inox, support idéal pour ses œuvres. Il a aussi fait la connaissance d’un SDF, un vieil homme qui vit caché là et qui tient des propos incohérents, à propos d’un stock d’or qui serait caché dans un tunnel. À sa demande, Wazo lui promet de lui apporter une torche électrique à son prochain passage. La nuit suivante, il revient dans le tunnel pour décorer la rame, remet la torche au SDF puis assiste à l'altercation de celui-ci avec deux individus qui deviennent menaçants. Dans sa fuite, le SDF est victime d’une chute fatale sur les voies et Wazo se rend compte qu’il a été repéré par les deux assaillants. Grâce à sa connaissance des lieux, il réussit à leur échapper.

Les jours suivants, la lecture de la presse permet au graffeur d’en apprendre davantage sur le vieil homme, qui avait disparu d’un hôpital psychiatrique parisien, après avoir longtemps séjourné à Brest. Wazo découvre également que la police le soupçonne du meurtre du SDF et que les deux individus sont à sa recherche et qu’ils ne lui veulent pas du bien. Il décide alors de partir à Brest, à la fois pour prendre le large mais aussi pour en savoir plus sur le vieil homme et éclaircir cette histoire d’or.

J’ai découvert ce livre à la médiathèque où il était mis en avant dans le cadre de la présélection Le Goéland masqué 2026. Wazo, c’est le pseudonyme qu’a choisi Pascal Varambon pour exercer son talent de graffeur, en marge de ses activités d’auteur et réalisateur de films documentaires. C'est aussi sous ce nom qu'il a publié son premier roman et qu'il a nommé son héros.
 

Avec Pour tout l’or de Brest, j’ai découvert en détail l’univers des graffeurs et leur vocabulaire, leurs techniques d’intervention. J’ai même compris la différence entre tag et graffiti, c’est dire mon niveau initial sur le sujet !
 

D’autre part, la partie brestoise de ce roman m’a permis de replonger dans le Brest des années 2000, d’explorer au côté du héros des lieux qui ont bien changé depuis : l’Atelier des Capucins avant sa transformation, le port de commerce avant sa renaissance et son développement, l’hôpital maritime dont je n’imaginais pas l’étendue des souterrains.
 

Bref, je me suis régalée avec ce roman, j’ai passé un bon moment de lecture à la fois dépaysant, instructif car il est aussi question d’histoire et nostalgique grâce aux lieux évoqués.

Pour découvrir l'oeuvre graphique de Wazo, c'est par ici.

mercredi 6 août 2025

L'impossible retour


L'impossible retour - Amélie Nothomb 

Albin Michel (2024) 

Pep Beni, la meilleure amie d'Amélie Nothomb a remporté un prix pour son travail de photographe et gagné ainsi un aller-retour long courrier pour deux personnes dans n'importe quelle destination desservie par Air France. Elle a porté son choix sur le Japon et demandé à Amélie de l'y accompagner et d'être son guide. Les deux amies entament ce séjour le 20 mai 2023 dans un vol Paris-Osaka, suivi d'un trajet en train vers Kyoto où elles vont passer quelques jours dans une auberge et visiter les environs. Puis, ce sera Tokyo.

Ce roman est le récit de leur voyage. Un voyage de plus au Japon pour Amélie, mais le premier qu'elle effectue depuis la mort de son père. Elle en prend conscience à Tokyo lorsqu'elle est confrontée à une amnésie : elle a oblitéré tout son passé dans la ville, elle est incapable de s'y déplacer, ne sait plus localiser les lieux. Heureusement, une amie française installée au Japon depuis deux ans va la sauver de la honte en les guidant, elle et sa compagne de voyage dans la capitale et ses alentours. 

A Kyoto, c'est différent. C'est le Japon de son enfance, celui où elle a vécu jusqu'à l'âge de cinq ans, départ qu'elle a subi comme un arrachement. C'est là qu'elle est revenu en 2012 à l'occasion du tournage d'un documentaire qui lui était consacré, au cours duquel elle a retrouvé sa nourrice, "sa première mère". Les souvenirs qu'elle a du Kensai sont ceux d'une enfant et, en quelques endroits, de visites qu'elle a faites, accompagnée de son père en 1989.

Il y a un grand contraste dans ce récit entre l'évocation des souvenirs, la nostalgie à laquelle ne veut pas succomber Amélie - Pep le lui interdit - et la cocasserie de nombreuses situations qu'elles vivent ensemble. En effet, Pep est un fort caractère, complètement à l'opposé du comportement japonais. Amélie doit souvent faire appel à toutes ses compétences de fille de diplomate et de vraie japonaise - puisqu'elle se sent japonaise, on le sait - pour pallier les conséquences du tempérament explosif de son amie. À ses côtés, elle vit souvent des moments de honte et de mortification mais ces péripéties l'aident à ne pas se laisser aller aux émotions qui l'étreignent au fil des visites et des souvenirs qui resurgissent. On comprend bien le titre du livre, on perçoit combien il est difficile pour Amélie de revenir au Japon, le pays où elle a voulu vivre à l'âge de vingt et un ans et qu'elle a dû quitter au bout de deux ans, à la suite de l'échec professionnel qu'elle a raconté. C'est le pays de sa petite enfance, le pays qu'a tant aimé son père, diplomate et chanteur de Nô professionnel, le pays qu'elle veut le sien mais qui ne l'a pas accepté.

J'ai eu plaisir à découvrir ce livre d'Amélie Nothomb, que je connais peu comme auteur. En effet, d'elle, je n'ai lu que Stupeur et tremblements, un texte également autobiographique. Évidemment, je connais la personnalité médiatique, celle qui chaque année sort un livre au moment de la rentrée littéraire et est invitée pour en parler sur tous les plateaux. Je connais son personnage, ses chapeaux, son champagne. J'ai même eu l'occasion de l'apercevoir à la librairie Dialogues à Brest au mois de décembre dernier, en pleine signature de ce livre-ci, justement. J'ai observé pendant un moment l'attention qu'elle accorde à ses lecteurs et lectrices et j'ai constaté la qualité des relations qu'elle entretient avec eux et elles. 

Je me demande si ce livre va devenir culte, si des fans vont l'utiliser comme un guide, prétexte à une découverte du parcours et des lieux visités par Amélie Nothomb lors de son voyage, ce qui serait un comble puisqu'elle se révèle incapable de servir de guide à son amie !

Tout au long de ma lecture, je me suis demandé qui se cachait derrière le nom de Pep Beni, une photographe récompensée pour des photos relatives à la guerre du Pacifique côté Japon, qui voue une passion aux lapins. Ça m'a rappelé une proche d'Amélie mais je n'ai rien lu à ce sujet sur les nombreux billets et articles à propos de ce roman, je me fait peut-être des idées ! 

Me voici de retour à Tokyo et je découvre l'inefficacité de ma mémoire. Par exemple, si je voulais me rendre à l'adresse où j'ai vécu en 1989, j'en serais incapable. Je me rappelle par coeur l'endroit et ses environs, et je n'ai plus aucune idée d'où il pourrait se situer. Au sud, à l'est ? Plus grave qu'une absence de sens de l'orientation, mes souvenirs tokyoïtes sont désincarnés : mon corps n'en conserve aucune trace. Il va falloir que je serve de guide à Pep dans une ville qui est devenue pour moi une vue de l'esprit. Et bien évidemment, il n'est pas question que je lui raconte mon problème. Elle en conclurait que je me moque d'elle ou alors que je lui mens, que je n'ai jamais habité ici. 

 

jeudi 31 juillet 2025

D'or et d'argent


D’or et d’argent – Kathleen Winsor 

Éditions Phébus (1994) - 806 pages  
Traduit de l’anglais par Janine Hérisson  

Paru en 1968 chez Gallimard sous le titre La Drogue Jaune 

Grande fresque romanesque - plus de huit cents pages - qui dépeint sur une durée de vingt ans l’évolution de deux familles apparentées. D’un côté, deux frères aventureux, Matt et Pete Devlin, se lancent à la recherche de l’or enfoui dans le sol du Territoire du Montana, pas encore rattaché à l’Union. De l’autre, le beau-frère de Matt, Joshua Ching, financier ambitieux, est prêt à tout pour devenir l’homme le plus riche de la ville de New York.
 

 

 

Quand l’histoire commence, Matt et Pete sont déjà depuis deux années dans le Montana, d’abord au camp de Bannack, où les premiers filons ont été découverts. Puis, lorsque ceux-ci se sont taris, ils se sont déplacés près de ce qui deviendra Virginia City, où ils ont poursuivi leurs activités, jusqu’à ce que leur situation financière permette à Matt de faire venir sa famille de New York. Après un long périple arrivent donc sa femme Marietta et leurs cinq enfants, âgés de sept à seize ans. On suivra particulièrement Morgan, le fils ainé, et Lisette, treize ans, dans la suite des évènements.
Dans L’Est, Joshua Ching, en marge de ses affaires, a décidé de marier sa fille Suki et mène la recherche du gendre idéal comme il traiterait l’acquisition d’une entreprise ou la sélection d’un nouveau partenaire. 

 

Impossible de résumer en quelques lignes ce roman-fleuve. Les péripéties s’enchaînent dans chaque famille, dans des cadres différents, mais toujours avec le même objectif : réussir. Dans l’Ouest, c’est le seul moyen pour échapper à la dure vie de labeur des mineurs. Il faut avoir du courage, du flair, prendre des risques pour sortir du lot. C’est ce que font Matt et Pete en créant leur compagnie puis leur banque. Des années plus tard, Morgan se tournera vers l’extraction de l’argent et du cuivre lorsque les filons d’or seront épuisés.
Dans l’Est, les dangers sont d’un autre ordre mais on se salit aussi les mains, même si c’est au figuré. Ici, c’est la prise de participation dans les affaires publiques qui permet de s’enrichir, même s’il faut utiliser la corruption, la trahison et les jeux d’influences. 
 

À la description détaillée des agissements des principaux héros viennent se mêler les histoires d’amour, plus ou moins contrariées, qui apportent une touche romanesque. Il y a parfois des longueurs, des personnages dont on aurait pu se passer mais qui correspondent à des figures de la société de l’époque, comme le voyou un peu plus malin que la moyenne, sa sœur qui rêve de devenir actrice ou la fille de petite vertu qui apporte le réconfort et la tendresse au magnat malheureux en ménage. Chacun ou chacune, à son niveau, doit œuvrer pour tenter de se sortir de sa condition, de trouver sa place, même s’il faut accepter d’être le jouet des plus influents.
 

J’ai été très intéressée par tout ce qui concernait la recherche du minerai dans le Montana. On sent que l’auteure s’est documentée pour présenter tous les aspects de la vie du chercheur d’or. Elle a su, à travers ses personnages, faire prendre conscience de la fièvre qui saisit les hommes face au rêve ultime, les pousse à s’épuiser et à risquer leur vie. J’ai été moins captivée par la description des manœuvres financières dans l’Est, même si certaines opérations rappellent des situations encore très actuelles !
 

Grâce aux 806 pages de ce gros livre de Kathleen Winsor, par ailleurs connue pour son roman Ambre, je participe à deux challenges de l’été : 

 

 

 

Les Épais de l'été 2025, organisé chez dasola par ta d loi du cine, concerne les livres lus de plus de 700 pages.



 

 

Le challenge des Pavés de l'été 2025, proposé par Sybilline sur le blog La Petite Liste, accueille les lectures de plus de 500 pages.

 

 

 

 

 

 

 

Pour en savoir plus sur la ruée vers l'or dans le Montana sur Wikipédia.