dimanche 5 octobre 2025

Un perdant magnifique

Un perdant magnifique - Florence Seyvos 

Éditions de l'Olivier (2025) 

 De Florence Seyvos, j'avais été enthousiasmée par un précédent roman, Le garçon incassable, touchée par l'écriture et par la tendresse qui se dégageait d'une histoire simple et sans éclat.

Cette fois, le héros est Jacques, le beau-père de Anna, la narratrice. Après son divorce, la mère d'Anna et d'Irène, a épousé cet homme originaire du Havre et installé à Abidjan où il fait des affaires. Quarante ans plus tard, Anna se souvient de leur vie en Côte d'Ivoire puis au Havre, où elles sont venues habiter dans les années 80, alors que Jacques est resté en Afrique. Ses visites plus ou moins régulières rythme la narration, faisant alterner l'illusion du bonheur et les fins de mois angoissantes.

 

Page 63 :

(...) Notre mère avait épousé un type qui portait des pyjamas aux couleurs vives et qui, chaque soir, récupérait sa carabine dans un placard avant de disparaître avec elle, notre mère, pour la nuit. Irène et moi n'avions jamais échangé un mot à ce sujet. Seuls nos yeux se parlaient : Tu vois ce que je vois ? Oui. 


 Une fois encore, c'est un sujet de roman qui ne paye pas de mine et pourtant, l'écriture de Florence Seyvos en fait une merveille. L'émotion pointe à chaque page, on comprend le trouble de la narratrice, son conflit de loyauté face à un homme imprévisible, tyrannique, généreux et immature. On perçoit ses étonnements d'enfant puis d'adolescente face à la fantaisie séduisante de Jacques puis sa prise de conscience des difficultés dans lesquelles il les plonge, sa mère, sa soeur et elle, par son inconséquence.

Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est la manière dont Florence Seyvos installe un climat d'instabilité, fait ressentir la précarité où vivent la mère et ses deux filles, à partir du point de vue d'Anna, par la description d'évènements du quotidien, des épisodes cocasses ou dramatiques racontés légèrement, sans pathos.

Page 109 : 
Devant l’unique fenêtre il y avait sa table de travail. Une machine à écrire, un cendrier plein, à côté duquel était posé son étrange fume-cigarette, des piles de papiers et tout autour, un continent de cire fondue, figée en nappes successives, dans lesquelles d’innombrables bougies consumées, empilées les unes sur les autres, formaient de petites montagnes. À certains endroits, les coulées de cire avaient débordé de la table et formé de longues stalactites.
C’est à ce moment-là que la voix de ma mère s’est brisée.
Cette image, plus que toute autre, avait frappé André Vernet, disait-elle, il n’avait pu s’empêcher de la décrire dans ses moindres détails.
Aujourd’hui encore, chaque fois que je vois une bougie dans laquelle la mèche a fini par se noyer, chaque fois que je vois une coulée de cire figée sur une table, je pense à Jacques. Cela fait quarante ans que cette image, que je n’ai jamais vue moi-même, me déchire le cœur.

Une réussite qui a séduit les lecteurs du jury du Prix du Livre Inter 2025

Un billet plus détaillé que le mien sur ce roman.