lundi 20 octobre 2025

Passé Imparfait

Passé Imparfait - Julian Fellowes 

Édition collector 10-18 (2017) 
Traduit de l'anglais par Jean Szlamowicz
 

Ils se sont rencontrés à Cambridge en 1968, le narrateur a introduit Damian Baxter dans les cercles de l’aristocratie anglaise qu’il fréquentait. Très vite, Damian est devenu incontournable dans les bals de la Saison des Débutantes, où il a fait tourner la tête de nombreuses jeunes filles. Et puis, en 1970 lors de vacances à Estoril, au Portugal, un évènement scandaleux s’est produit, expulsant définitivement Damian du cercle privilégié où il avait cru se faire une place et ruinant à jamais l’amitié des deux hommes.
Quarante ans plus tard, Damian a réussi dans les affaires, il est à la tête d’une fortune colossale. Le narrateur est devenu un écrivain au succès modeste, sa vie sentimentale est terne. Aussi est-il très surpris de recevoir une invitation de Damian, très malade, qui lui confie une étrange mission. Une lettre anonyme, qu’il a reçue vingt ans auparavant, lui laissait entendre qu’une des jeunes filles qu’il avait fréquentées avait eu un enfant issu de leur relation. Sentant sa fin approcher, Damian veut retrouver l’enfant et charge le narrateur de la faire pour lui. Muni d’une liste de cinq noms et d’une carte de crédit, celui-ci part à la recherche du passé, autant celui de Damien que le sien.
 

Je connaissais Julian Fellowes comme étant d’une part le scénariste de Downton Abbey, la série britannique qui a agréablement occupé mes soirées de la période Covid, et d’autre part l’auteur de Belgravia, un roman que j’ai lu et qui ne m’a pas marquée. Je ne savais donc pas trop à quoi m’attendre en commençant ce roman déniché dans une boîte à livres.

C’est simple, cette lecture m’a enchantée, c'est une histoire très romanesque et également une brillante étude sociologique de l’aristocratie anglaise de la fin des Sixties, présentée avec humour et un certain esprit critique. 

J’ai ainsi tout appris de la Saison des Débutantes, qui permettait aux familles de présenter leurs filles à marier, de faire connaissance des potentiels candidats, d’entretenir un réseau de relations à cultiver. Savoir que l’histoire se déroule en 1968 est anachronique, pour nous Français, dont la jeunesse avait à ce moment-là d’autres préoccupations. Mais il ne s’agit là bien sûr que d’un tout petit monde et il semble d’ailleurs que cette Saison de 1968 ait été l’une des dernières.  

Au cours de ses recherches, le narrateur est amené à retrouver des jeunes filles qu’il a lui-même fréquentées, il a d’ailleurs gardé des contacts espacés avec certaines. Mais le temps a fait son œuvre de désillusion pour beaucoup d’entre elles, le brillant avenir qui leur était promis s’est rarement réalisé. On apprend dans les derniers chapitres ce qui s’est passé à Estoril et on comprend combien cet univers de traditions et de rêves était fragile. 

Dommage que je n’aie pas lu ce livre plus tôt cet été, avec ses 645 pages il aurait pu participer au challenge des Pavés de l’été, ce qui lui aurait donné la visibilité qu’il mérite amplement !

dimanche 5 octobre 2025

Un perdant magnifique

Un perdant magnifique - Florence Seyvos 

Éditions de l'Olivier (2025) 

 De Florence Seyvos, j'avais été enthousiasmée par un précédent roman, Le garçon incassable, touchée par l'écriture et par la tendresse qui se dégageait d'une histoire simple et sans éclat.

Cette fois, le héros est Jacques, le beau-père de Anna, la narratrice. Après son divorce, la mère d'Anna et d'Irène, a épousé cet homme originaire du Havre et installé à Abidjan où il fait des affaires. Quarante ans plus tard, Anna se souvient de leur vie en Côte d'Ivoire puis au Havre, où elles sont venues habiter dans les années 80, alors que Jacques est resté en Afrique. Ses visites plus ou moins régulières rythme la narration, faisant alterner l'illusion du bonheur et les fins de mois angoissantes.

 

Page 63 :

(...) Notre mère avait épousé un type qui portait des pyjamas aux couleurs vives et qui, chaque soir, récupérait sa carabine dans un placard avant de disparaître avec elle, notre mère, pour la nuit. Irène et moi n'avions jamais échangé un mot à ce sujet. Seuls nos yeux se parlaient : Tu vois ce que je vois ? Oui. 


 Une fois encore, c'est un sujet de roman qui ne paye pas de mine et pourtant, l'écriture de Florence Seyvos en fait une merveille. L'émotion pointe à chaque page, on comprend le trouble de la narratrice, son conflit de loyauté face à un homme imprévisible, tyrannique, généreux et immature. On perçoit ses étonnements d'enfant puis d'adolescente face à la fantaisie séduisante de Jacques puis sa prise de conscience des difficultés dans lesquelles il les plonge, sa mère, sa soeur et elle, par son inconséquence.

Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est la manière dont Florence Seyvos installe un climat d'instabilité, fait ressentir la précarité où vivent la mère et ses deux filles, à partir du point de vue d'Anna, par la description d'évènements du quotidien, des épisodes cocasses ou dramatiques racontés légèrement, sans pathos.

Page 109 : 
Devant l’unique fenêtre il y avait sa table de travail. Une machine à écrire, un cendrier plein, à côté duquel était posé son étrange fume-cigarette, des piles de papiers et tout autour, un continent de cire fondue, figée en nappes successives, dans lesquelles d’innombrables bougies consumées, empilées les unes sur les autres, formaient de petites montagnes. À certains endroits, les coulées de cire avaient débordé de la table et formé de longues stalactites.
C’est à ce moment-là que la voix de ma mère s’est brisée.
Cette image, plus que toute autre, avait frappé André Vernet, disait-elle, il n’avait pu s’empêcher de la décrire dans ses moindres détails.
Aujourd’hui encore, chaque fois que je vois une bougie dans laquelle la mèche a fini par se noyer, chaque fois que je vois une coulée de cire figée sur une table, je pense à Jacques. Cela fait quarante ans que cette image, que je n’ai jamais vue moi-même, me déchire le cœur.

Une réussite qui a séduit les lecteurs du jury du Prix du Livre Inter 2025

Un billet plus détaillé que le mien sur ce roman.