samedi 30 août 2025

Revenir à Vienne

Revenir à Vienne - Ernst Lothar 

Liana Levi - collection Piccolo (2020) 
Traduit de l'allemand par Elisabeth Landes

Félix von Geldern, un jeune juriste issu d'une riche famille de banquiers viennois a quitté l'Autriche en 1938 après l'Anschluss parce qu'il ne voulait pas devenir allemand. Presque toute sa famille l'a accompagné, seule sa mère, veuve, est restée à Vienne. En 1946, Félix et sa grand-mère Viktoria viennent juste d'obtenir la nationnalité américaine et Félix envisage de se fiancer à Livia, la jeune soeur de sa logeuse, qui est très amoureuse de lui. Maintenant que le retour en Europe est possible, Félix est mandaté par ses oncles pour aller inspecter l'état de leurs affaires, d'abord dans la filiale parisienne puis au siège viennois de la banque. Sa grand-mère l'accompagnera.

Après un séjour parisien décevant, l'arrivée à Vienne est un choc. La mère de Félix, qui les accueille et les héberge, est quasiment aveugle, à cause des privations de la guerre, ce qui ne l'empêche pas d'avoir toujours des sympathies pro-nazies. La ville est en ruines, occupée par les troupes américaines, que la population locale, affamée, tient pour responsable des bombardements destructeurs. L'accueil des émigrés est plutôt frais : ils n'ont pas connu les horreurs de la guerre, ont vécu la belle vie aux États-Unis, sont devenus américains et sont donc du côté des occupants, ils ont le culot de venir demander des comptes sur la marche de leur banque et sur le comportement de leurs anciens compatriotes. Félix a la suprise de retrouver Gertrud, son ancienne fiancée qu'il croyait morte. La jeune femme est entretenue par un colonel américain et il se dit qu'elle a été la protégée de Goebbels. Félix se sent tenu par son engagement d'avant-guerre et tient à l'épouser, tout en étant très suspicieux à l'égard de ses anciennes fréquentations.

Dès son arrivée, Félix est convoqué au tribunal comme témoin dans le procès d'anciens dignitaires du régime nazi. Il se rend vite compte que les autorités sont très complaisantes et ne souhaitent que tirer un trait sur la période de la guerre afin de passer à autre chose, comme tous ceux qui se sont compromis avec l'occupant nazi. D'une façon générale, la population autrichienne s'estime victime du nazisme et reproche maintenant à l'occupant américain de ne pas en faire assez pour reconstruire le pays. 

C'est un livre que j'ai lu avec intérêt car il éclaire un pan de l'histoire autrichienne que je ne connaissais pas. L'auteur dépeint très bien l'incompréhension qui règne entre les émigrés de retour au pays et ceux qui ont vécu l'invasion allemande et la période de guerre. Chacun s'accroche à sa rancœur et peine à prendre en compte la situation de l'autre.

D'Ernst Lothar, j'ai déjà lu Mélodie de Vienne et j'ai trouvé un point commun entre ces deux romans : les personnages ne sont pas sympathiques. Cela explique sans doute l'impression mitigée qui reste à l'issue de leur lecture. Personnellement, j'ai besoin de ressentir un peu d'empathie avec au moins un héros de l'histoire. 

Néanmoins, je ne regrette pas du tout cette lecture d'été dont les 544 pages de l'édition Piccolo m'ont permis de participer au challenge Les Pavés de l'été 2025 proposé par Sybilline


dimanche 17 août 2025

Pour tout l'or de Brest


Pour tout l’or de Brest – Wazo 

Lajouanie Poche (2025) 

Wazo, graffeur à Paris, s’est spécialisé dans le graffiti sur les wagons du métro parisien. Lors d’un repérage dans un tunnel de stockage, il a découvert une rame de type MF67, en inox, support idéal pour ses œuvres. Il a aussi fait la connaissance d’un SDF, un vieil homme qui vit caché là et qui tient des propos incohérents, à propos d’un stock d’or qui serait caché dans un tunnel. À sa demande, Wazo lui promet de lui apporter une torche électrique à son prochain passage. La nuit suivante, il revient dans le tunnel pour décorer la rame, remet la torche au SDF puis assiste à l'altercation de celui-ci avec deux individus qui deviennent menaçants. Dans sa fuite, le SDF est victime d’une chute fatale sur les voies et Wazo se rend compte qu’il a été repéré par les deux assaillants. Grâce à sa connaissance des lieux, il réussit à leur échapper.

Les jours suivants, la lecture de la presse permet au graffeur d’en apprendre davantage sur le vieil homme, qui avait disparu d’un hôpital psychiatrique parisien, après avoir longtemps séjourné à Brest. Wazo découvre également que la police le soupçonne du meurtre du SDF et que les deux individus sont à sa recherche et qu’ils ne lui veulent pas du bien. Il décide alors de partir à Brest, à la fois pour prendre le large mais aussi pour en savoir plus sur le vieil homme et éclaircir cette histoire d’or.

J’ai découvert ce livre à la médiathèque où il était mis en avant dans le cadre de la présélection Le Goéland masqué 2026. Wazo, c’est le pseudonyme qu’a choisi Pascal Varambon pour exercer son talent de graffeur, en marge de ses activités d’auteur et réalisateur de films documentaires. C'est aussi sous ce nom qu'il a publié son premier roman et qu'il a nommé son héros.
 

Avec Pour tout l’or de Brest, j’ai découvert en détail l’univers des graffeurs et leur vocabulaire, leurs techniques d’intervention. J’ai même compris la différence entre tag et graffiti, c’est dire mon niveau initial sur le sujet !
 

D’autre part, la partie brestoise de ce roman m’a permis de replonger dans le Brest des années 2000, d’explorer au côté du héros des lieux qui ont bien changé depuis : l’Atelier des Capucins avant sa transformation, le port de commerce avant sa renaissance et son développement, l’hôpital maritime dont je n’imaginais pas l’étendue des souterrains.
 

Bref, je me suis régalée avec ce roman, j’ai passé un bon moment de lecture à la fois dépaysant, instructif car il est aussi question d’histoire et nostalgique grâce aux lieux évoqués.

Pour découvrir l'oeuvre graphique de Wazo, c'est par ici.

mercredi 6 août 2025

L'impossible retour


L'impossible retour - Amélie Nothomb 

Albin Michel (2024) 

Pep Beni, la meilleure amie d'Amélie Nothomb a remporté un prix pour son travail de photographe et gagné ainsi un aller-retour long courrier pour deux personnes dans n'importe quelle destination desservie par Air France. Elle a porté son choix sur le Japon et demandé à Amélie de l'y accompagner et d'être son guide. Les deux amies entament ce séjour le 20 mai 2023 dans un vol Paris-Osaka, suivi d'un trajet en train vers Kyoto où elles vont passer quelques jours dans une auberge et visiter les environs. Puis, ce sera Tokyo.

Ce roman est le récit de leur voyage. Un voyage de plus au Japon pour Amélie, mais le premier qu'elle effectue depuis la mort de son père. Elle en prend conscience à Tokyo lorsqu'elle est confrontée à une amnésie : elle a oblitéré tout son passé dans la ville, elle est incapable de s'y déplacer, ne sait plus localiser les lieux. Heureusement, une amie française installée au Japon depuis deux ans va la sauver de la honte en les guidant, elle et sa compagne de voyage dans la capitale et ses alentours. 

A Kyoto, c'est différent. C'est le Japon de son enfance, celui où elle a vécu jusqu'à l'âge de cinq ans, départ qu'elle a subi comme un arrachement. C'est là qu'elle est revenu en 2012 à l'occasion du tournage d'un documentaire qui lui était consacré, au cours duquel elle a retrouvé sa nourrice, "sa première mère". Les souvenirs qu'elle a du Kensai sont ceux d'une enfant et, en quelques endroits, de visites qu'elle a faites, accompagnée de son père en 1989.

Il y a un grand contraste dans ce récit entre l'évocation des souvenirs, la nostalgie à laquelle ne veut pas succomber Amélie - Pep le lui interdit - et la cocasserie de nombreuses situations qu'elles vivent ensemble. En effet, Pep est un fort caractère, complètement à l'opposé du comportement japonais. Amélie doit souvent faire appel à toutes ses compétences de fille de diplomate et de vraie japonaise - puisqu'elle se sent japonaise, on le sait - pour pallier les conséquences du tempérament explosif de son amie. À ses côtés, elle vit souvent des moments de honte et de mortification mais ces péripéties l'aident à ne pas se laisser aller aux émotions qui l'étreignent au fil des visites et des souvenirs qui resurgissent. On comprend bien le titre du livre, on perçoit combien il est difficile pour Amélie de revenir au Japon, le pays où elle a voulu vivre à l'âge de vingt et un ans et qu'elle a dû quitter au bout de deux ans, à la suite de l'échec professionnel qu'elle a raconté. C'est le pays de sa petite enfance, le pays qu'a tant aimé son père, diplomate et chanteur de Nô professionnel, le pays qu'elle veut le sien mais qui ne l'a pas accepté.

J'ai eu plaisir à découvrir ce livre d'Amélie Nothomb, que je connais peu comme auteur. En effet, d'elle, je n'ai lu que Stupeur et tremblements, un texte également autobiographique. Évidemment, je connais la personnalité médiatique, celle qui chaque année sort un livre au moment de la rentrée littéraire et est invitée pour en parler sur tous les plateaux. Je connais son personnage, ses chapeaux, son champagne. J'ai même eu l'occasion de l'apercevoir à la librairie Dialogues à Brest au mois de décembre dernier, en pleine signature de ce livre-ci, justement. J'ai observé pendant un moment l'attention qu'elle accorde à ses lecteurs et lectrices et j'ai constaté la qualité des relations qu'elle entretient avec eux et elles. 

Je me demande si ce livre va devenir culte, si des fans vont l'utiliser comme un guide, prétexte à une découverte du parcours et des lieux visités par Amélie Nothomb lors de son voyage, ce qui serait un comble puisqu'elle se révèle incapable de servir de guide à son amie !

Tout au long de ma lecture, je me suis demandé qui se cachait derrière le nom de Pep Beni, une photographe récompensée pour des photos relatives à la guerre du Pacifique côté Japon, qui voue une passion aux lapins. Ça m'a rappelé une proche d'Amélie mais je n'ai rien lu à ce sujet sur les nombreux billets et articles à propos de ce roman, je me fait peut-être des idées ! 

Me voici de retour à Tokyo et je découvre l'inefficacité de ma mémoire. Par exemple, si je voulais me rendre à l'adresse où j'ai vécu en 1989, j'en serais incapable. Je me rappelle par coeur l'endroit et ses environs, et je n'ai plus aucune idée d'où il pourrait se situer. Au sud, à l'est ? Plus grave qu'une absence de sens de l'orientation, mes souvenirs tokyoïtes sont désincarnés : mon corps n'en conserve aucune trace. Il va falloir que je serve de guide à Pep dans une ville qui est devenue pour moi une vue de l'esprit. Et bien évidemment, il n'est pas question que je lui raconte mon problème. Elle en conclurait que je me moque d'elle ou alors que je lui mens, que je n'ai jamais habité ici.