mercredi 6 août 2025

L'impossible retour


L'impossible retour - Amélie Nothomb 

Albin Michel (2024) 

Pep Beni, la meilleure amie d'Amélie Nothomb a remporté un prix pour son travail de photographe et gagné ainsi un aller-retour long courrier pour deux personnes dans n'importe quelle destination desservie par Air France. Elle a porté son choix sur le Japon et demandé à Amélie de l'y accompagner et d'être son guide. Les deux amies entament ce séjour le 20 mai 2023 dans un vol Paris-Osaka, suivi d'un trajet en train vers Kyoto où elles vont passer quelques jours dans une auberge et visiter les environs. Puis, ce sera Tokyo.

Ce roman est le récit de leur voyage. Un voyage de plus au Japon pour Amélie, mais le premier qu'elle effectue depuis la mort de son père. Elle en prend conscience à Tokyo lorsqu'elle est confrontée à une amnésie : elle a oblitéré tout son passé dans la ville, elle est incapable de s'y déplacer, ne sait plus localiser les lieux. Heureusement, une amie française installée au Japon depuis deux ans va la sauver de la honte en les guidant, elle et sa compagne de voyage dans la capitale et ses alentours. 

A Kyoto, c'est différent. C'est le Japon de son enfance, celui où elle a vécu jusqu'à l'âge de cinq ans, départ qu'elle a subi comme un arrachement. C'est là qu'elle est revenu en 2012 à l'occasion du tournage d'un documentaire qui lui était consacré, au cours duquel elle a retrouvé sa nourrice, "sa première mère". Les souvenirs qu'elle a du Kensai sont ceux d'une enfant et, en quelques endroits, de visites qu'elle a faites, accompagnée de son père en 1989.

Il y a un grand contraste dans ce récit entre l'évocation des souvenirs, la nostalgie à laquelle ne veut pas succomber Amélie - Pep le lui interdit - et la cocasserie de nombreuses situations qu'elles vivent ensemble. En effet, Pep est un fort caractère, complètement à l'opposé du comportement japonais. Amélie doit souvent faire appel à toutes ses compétences de fille de diplomate et de vraie japonaise - puisqu'elle se sent japonaise, on le sait - pour pallier les conséquences du tempérament explosif de son amie. À ses côtés, elle vit souvent des moments de honte et de mortification mais ces péripéties l'aident à ne pas se laisser aller aux émotions qui l'étreignent au fil des visites et des souvenirs qui resurgissent. On comprend bien le titre du livre, on perçoit combien il est difficile pour Amélie de revenir au Japon, le pays où elle a voulu vivre à l'âge de vingt et un ans et qu'elle a dû quitter au bout de deux ans, à la suite de l'échec professionnel qu'elle a raconté. C'est le pays de sa petite enfance, le pays qu'a tant aimé son père, diplomate et chanteur de Nô professionnel, le pays qu'elle veut le sien mais qui ne l'a pas accepté.

J'ai eu plaisir à découvrir ce livre d'Amélie Nothomb, que je connais peu comme auteur. En effet, d'elle, je n'ai lu que Stupeur et tremblements, un texte également autobiographique. Évidemment, je connais la personnalité médiatique, celle qui chaque année sort un livre au moment de la rentrée littéraire et est invitée pour en parler sur tous les plateaux. Je connais son personnage, ses chapeaux, son champagne. J'ai même eu l'occasion de l'apercevoir à la librairie Dialogues à Brest au mois de décembre dernier, en pleine signature de ce livre-ci, justement. J'ai observé pendant un moment l'attention qu'elle accorde à ses lecteurs et lectrices et j'ai constaté la qualité des relations qu'elle entretient avec eux et elles. 

Je me demande si ce livre va devenir culte, si des fans vont l'utiliser comme un guide, prétexte à une découverte du parcours et des lieux visités par Amélie Nothomb lors de son voyage, ce qui serait un comble puisqu'elle se révèle incapable de servir de guide à son amie !

Tout au long de ma lecture, je me suis demandé qui se cachait derrière le nom de Pep Beni, une photographe récompensée pour des photos relatives à la guerre du Pacifique côté Japon, qui voue une passion aux lapins. Ça m'a rappelé une proche d'Amélie mais je n'ai rien lu à ce sujet sur les nombreux billets et articles à propos de ce roman, je me fait peut-être des idées ! 

Me voici de retour à Tokyo et je découvre l'inefficacité de ma mémoire. Par exemple, si je voulais me rendre à l'adresse où j'ai vécu en 1989, j'en serais incapable. Je me rappelle par coeur l'endroit et ses environs, et je n'ai plus aucune idée d'où il pourrait se situer. Au sud, à l'est ? Plus grave qu'une absence de sens de l'orientation, mes souvenirs tokyoïtes sont désincarnés : mon corps n'en conserve aucune trace. Il va falloir que je serve de guide à Pep dans une ville qui est devenue pour moi une vue de l'esprit. Et bien évidemment, il n'est pas question que je lui raconte mon problème. Elle en conclurait que je me moque d'elle ou alors que je lui mens, que je n'ai jamais habité ici. 

 

jeudi 31 juillet 2025

D'or et d'argent


D’or et d’argent – Kathleen Winsor 

Éditions Phébus (1994) - 806 pages  
Traduit de l’anglais par Janine Hérisson  

Paru en 1968 chez Gallimard sous le titre La Drogue Jaune 

Grande fresque romanesque - plus de huit cents pages - qui dépeint sur une durée de vingt ans l’évolution de deux familles apparentées. D’un côté, deux frères aventureux, Matt et Pete Devlin, se lancent à la recherche de l’or enfoui dans le sol du Territoire du Montana, pas encore rattaché à l’Union. De l’autre, le beau-frère de Matt, Joshua Ching, financier ambitieux, est prêt à tout pour devenir l’homme le plus riche de la ville de New York.
 

 

 

Quand l’histoire commence, Matt et Pete sont déjà depuis deux années dans le Montana, d’abord au camp de Bannack, où les premiers filons ont été découverts. Puis, lorsque ceux-ci se sont taris, ils se sont déplacés près de ce qui deviendra Virginia City, où ils ont poursuivi leurs activités, jusqu’à ce que leur situation financière permette à Matt de faire venir sa famille de New York. Après un long périple arrivent donc sa femme Marietta et leurs cinq enfants, âgés de sept à seize ans. On suivra particulièrement Morgan, le fils ainé, et Lisette, treize ans, dans la suite des évènements.
Dans L’Est, Joshua Ching, en marge de ses affaires, a décidé de marier sa fille Suki et mène la recherche du gendre idéal comme il traiterait l’acquisition d’une entreprise ou la sélection d’un nouveau partenaire. 

 

Impossible de résumer en quelques lignes ce roman-fleuve. Les péripéties s’enchaînent dans chaque famille, dans des cadres différents, mais toujours avec le même objectif : réussir. Dans l’Ouest, c’est le seul moyen pour échapper à la dure vie de labeur des mineurs. Il faut avoir du courage, du flair, prendre des risques pour sortir du lot. C’est ce que font Matt et Pete en créant leur compagnie puis leur banque. Des années plus tard, Morgan se tournera vers l’extraction de l’argent et du cuivre lorsque les filons d’or seront épuisés.
Dans l’Est, les dangers sont d’un autre ordre mais on se salit aussi les mains, même si c’est au figuré. Ici, c’est la prise de participation dans les affaires publiques qui permet de s’enrichir, même s’il faut utiliser la corruption, la trahison et les jeux d’influences. 
 

À la description détaillée des agissements des principaux héros viennent se mêler les histoires d’amour, plus ou moins contrariées, qui apportent une touche romanesque. Il y a parfois des longueurs, des personnages dont on aurait pu se passer mais qui correspondent à des figures de la société de l’époque, comme le voyou un peu plus malin que la moyenne, sa sœur qui rêve de devenir actrice ou la fille de petite vertu qui apporte le réconfort et la tendresse au magnat malheureux en ménage. Chacun ou chacune, à son niveau, doit œuvrer pour tenter de se sortir de sa condition, de trouver sa place, même s’il faut accepter d’être le jouet des plus influents.
 

J’ai été très intéressée par tout ce qui concernait la recherche du minerai dans le Montana. On sent que l’auteure s’est documentée pour présenter tous les aspects de la vie du chercheur d’or. Elle a su, à travers ses personnages, faire prendre conscience de la fièvre qui saisit les hommes face au rêve ultime, les pousse à s’épuiser et à risquer leur vie. J’ai été moins captivée par la description des manœuvres financières dans l’Est, même si certaines opérations rappellent des situations encore très actuelles !
 

Grâce aux 806 pages de ce gros livre de Kathleen Winsor, par ailleurs connue pour son roman Ambre, je participe à deux challenges de l’été : 

 

 

 

Les Épais de l'été 2025, organisé chez dasola par ta d loi du cine, concerne les livres lus de plus de 700 pages.



 

 

Le challenge des Pavés de l'été 2025, proposé par Sybilline sur le blog La Petite Liste, accueille les lectures de plus de 500 pages.

 

 

 

 

 

 

 

Pour en savoir plus sur la ruée vers l'or dans le Montana sur Wikipédia. 

samedi 19 juillet 2025

6 avenue George V


6 Avenue George V – Thomas B. Reverdy 

Collection Retour chez soi - Flammarion (2025) 

Retour chez soi

Une collection imaginée par Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon sous la direction d’Alix Penent.

« Retour chez soi » est une collection de littérature qui offre à des écrivains la possibilité de revenir, des années plus tard, dans un lieu de leur enfance ou de leur adolescence, un lieu du passé perdu depuis longtemps mais qui palpite encore dans la mémoire. Le temps d’une journée et d’une nuit, ils en auront, pour eux seuls, les clés. Qui n’a pas rêvé de retrouver l’endroit qui l’a forgé ? Les écrivains livreront le récit intime de cette expérience du retour, des souvenirs qui demeurent, se ravivent et parfois se perdent.

 

En réponse à la proposition d’Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon, Thomas B. Reverdy a choisi un lieu où il a passé de très nombreuses heures durant son enfance, un studio de danse où il a accompagné sa mère qui venait chaque semaine suivre le cours de Solange Golovine. Installé sur quelques marches qu’il fallait descendre pour accéder au studio, il observait en silence les mouvements des danseuses, il écoutait les indications du professeur, rythmées par la musique qu’interprétait un pianiste modeste. Plus tard, âgé de dix-sept ans et avide d’indépendance, il a vécu deux années dans une chambre de bonne située au 6e étage de l’immeuble au-dessus du studio, utilisant les douches du vestiaire à sa guise.
Lorsqu’il revient dans ce studio de danse, il va avoir cinquante ans, l’âge auquel sa mère est morte, trente ans auparavant. Ce retour est l’occasion d’une plongée dans ses souvenirs, d’une évocation de sa mère, de la vie de celle-ci, mais aussi de l’enfant puis de l’adolescent qu’il était. C’est aussi, il l’espère, une tentative de résoudre le conflit personnel où il se trouve à ce moment-là de sa vie, confronté à la possibilité de tourner une page et de prendre un nouveau départ.

J’ai beaucoup aimé ce texte pour sa sincérité. L’auteur ne cache rien de ses difficultés à revenir dans ces lieux, de son émotion en présence des odeurs qu’il reconnait, du son de ses pas sur le parquet. A plusieurs reprises au cours de la nuit, il doit sortir et explorer le quartier, à la fois pour échapper au malaise qui le prend que pour tenter de retrouver dans les cafés et bars du coin les traces de son passé.
 

Même si l’expérience de Thomas B. Reverdy dans ce retour est très différente de celle de Mazarine M. Pingeot, qui a elle aussi raconté son retour dans un lieu de son enfance dans un livre de la même collection, j’ai retrouvé certaines similitudes : Tous deux, à un moment, doivent fuir le lieu qu’ils ont choisi, trop touchés par les émotions qui les submergent. Puis, dans la journée du lendemain, après quelques heures de répit, tous deux y sont revenus, apaisés et réconciliés avec celui ou celle qu’ils ont été. 
 

Dans cette lecture, j’ai apprécié l’évocation par Thomas B. Reverdy de personnalités qui faisaient partie de l’environnement de sa mère, comme le danseur Michaël Denard, le chorégraphe Serge Lifar, le couple Roland Petit et Zizi Jeanmaire, la danseuse Yvette Chauviré, les comédiens Jean-Louis Barrault et Madeleine Barrault. Ce sont des noms qui me rappellent une époque, des émissions à la télévision, des moments partagés en famille.
 

J’ai aussi aimé qu’il accompagne sa nuit dans le studio d'un impromptu de Schubert, celui en do mineur, interprété par Maria João Pires. J’en ai trouvé une vidéo sur Youtube. L’impromptu en question est le premier morceau de la vidéo, à son écoute j’imagine très bien Thomas B. Reverdy seul au milieu du studio de danse, alors que la nuit tombe et qu’il y revient trempé après une sortie sous l'averse dans le quartier.

 

Vous l’avez compris, cette lecture m’a enchantée !

Extrait page 35 :

Je ne suis plus tout à fait sûr d'avoir envie que les trente prochaines années ressemblent aux trente qui viennent de s'écouler. Si je les atteins, j'aurai 80 ans. Qui a envie de savoir ce qui va se passer jusqu'à 80 ans ? Est-ce qu'il ne serait pas temps de prendre un risque ? De ne plus savoir ?

Page 142 : 

Je ne saurai jamais le lien secret entre ce retour longuement préparé, ces allers-retours dans mes souvenirs et ceux de ma mère, ceux que je retrouve et ceux que j'ignorais, entre ce livre et le tournant que prend ma vie, je ne saurai jamais comment les choses se seront tissées, entremêlées malgré moi. Peut-être qu'écrire cette nuit, c'est la façon que j'ai trouvée de poser tout ce fardeau sur la table comme une question sans réponse. 

mercredi 18 juin 2025

La peau des pêches

La peau des pêches – Salomé Berlioux 

Stock (2021) 

Ils se rencontrent lors d’un dîner, tombent amoureux, s’installent ensemble puis se marient. Très vite, ils décident d’avoir un bébé. Diane a vingt-sept ans, Aurélien en a trente-neuf, il est déjà père d’une fillette de quatre ans. Les mois passent, aucune grossesse ne s’annonce. Les examens ne montrent aucune anomalie, ils sont tous les deux capables de procréer, mais pas ensemble, leur couple est infertile. Ils se tournent alors vers la PMA, remplis d’espoir et confiants dans les progrès de la médecine. 

Faire face à l’infertilité alors que tout semble normal, affronter les multiples traitements et leurs conséquences douloureuses, supporter les prélèvements d’ovocytes, être suspendu à l’évolution des blastocytes, être confronté aux échecs successifs de décongélation, d’implantations infructueuses, de fausses couches précoces, ce sont les étapes qui s’enchaînent dans un cycle sans cesse recommencé tandis que les mois et les années passent. Il faut aussi se confronter aux questions et aux doutes des proches tout en gardant la combativité nécessaire.

 

Le roman est divisé en quatre parties, vouloir, essayer, échouer, accepter, qui illustrent parfaitement l’évolution de l’héroïne et de son compagnon. J’ai été impressionnée par leur ténacité, leur confiance en l’avenir même si les moments de découragement, de désespoir et de remise en question sont fréquents.
 

C’est un roman percutant et émouvant. La narratrice plonge en elle pour dire ses pensées, ses sensations, ses hauts et ses bas. Lorsqu’elle décide de raconter ce qu’elle vit à des amis ou des connaissances, elle se rend compte que le parcours pour devenir parents est souvent difficile aussi chez les autres et elle y trouve un soutien inattendu, un encouragement à continuer.

Si je ferme les yeux pour me plonger dans le passé avec l’espoir de voir émerger un moment fort, une première porte ouverte sur le récit, je n’y parviens pas. À cause de toutes ces étapes. Répétées. Multipliées. Entremêlées. C’est un magma de souvenirs qui chaque fois me submerge. Pas un seul événement. Pas un moment en particulier. Une avalanche. Je ferme les yeux et une interminable coulée de lave s’impose. Je n’ai jamais vu de volcan en éruption. Cela n’empêche pas l’image d’être très nette. Elle m’accompagne. La nuit, quand j’ouvre les paupières et que je sais que le sommeil ne viendra plus. Dans la salle d’attente du médecin. Chez mes beaux-parents le dimanche. Quand je passe du temps avec ma petite sœur et que je la vois, si belle, brillante, prometteuse, sans parvenir à retrouver les sensations physiques de mes seize ans. Dans la rue, souvent. Au travail, quand, derrière mon ordinateur, je me sens flancher et prends ma tête entre les mains. Respire. Ça va aller. La lave se déverse du volcan, envahit tout, entraîne avec elle des pans entiers de ses flancs. Une nuée ardente. Torrentielle, elle dévale les pentes. Brûlante, dense, visqueuse, elle coule. Je la regarde couler. Je ne peux rien faire contre l’invasion. (page 110)

Je savais que se lancer dans une P.M.A n’était pas un chemin de roses mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si éprouvant, si chaotique. Bref, je ne mesurais pas ma chance d’avoir eu des enfants quand je les ai voulus sans aucune difficulté !
 

J'étais complètement passée à côté de la sortie de ce très beau texte en 2021. Heureusement, ma médiathèque l'a mis en tête de rayon, dans le cadre d'une sélection d'ouvrages des éditions Stock. Merci aux bibliothécaires de m'avoir donné l'occasion de découvrir ce roman très fort.

mercredi 21 mai 2025

11 quai Branly

11 Quai Branly – Mazarine M. Pingeot

Collection Retour chez soi – Flammarion (2024)

 Retour chez soi
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ne collection imaginée
par Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon
sous la direction d’Alix Penent.

« Retour chez soi » est une collection de littérature qui offre à des écrivains la possibilité de revenir, des années plus tard, dans un lieu de leur enfance ou de leur adolescence, un lieu du passé perdu depuis longtemps mais qui palpite encore dans la mémoire. Le temps d’une journée et d’une nuit, ils en auront, pour eux seuls, les clés. Qui n’a pas rêvé de retrouver l’endroit qui l’a forgé ? Les écrivains livreront le récit intime de cette expérience du retour, des souvenirs qui demeurent, se ravivent et parfois se perdent.

 

Ce livre est la réponse de Mazarine Pingeot à la proposition d’Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon.

 

Alors je leur dis : le seul lieu qui m’intéresse, c’est l’Alma. Là où j’ai vécu (et perdu ?) mon adolescence. C’est un espace gardé, une muraille, il est impossible d’y entrer. (page 17)

 

L’Alma, pour Mazarine Pingeot, c’est le 11 quai Branly, un ensemble d’immeubles sécurisés où sont logés des hauts fonctionnaires, des personnels de l’Elysée, des salariés des services de renseignements. C’est là qu’elle a vécu avec ses parents, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, lorsqu’il n’a plus été possible, pour raison de sécurité, de vivre dans le petit logement d’Anne Pingeot dans le sixième arrondissement.

Dans ce livre dédié à sa mère, Mazarine M. Pingeot se prépare au retour dans les lieux qu’elle a habités de façon invisible entre ses neuf et seize ans, elle revient sur son enfance et son adolescence « cachée » jusqu’à ce qu’une photo à la Une de Paris-Match l’amène dans la lumière et change à tout jamais son existence.

Le passage dans les lieux sera très rapide, malaisant mais également salutaire, pour elle peut-être, pour le lecteur plus sûrement puisqu’il est à l’origine de ce texte fort et personnel.

J’ai aimé ce livre, Mazarine Pingeot y raconte beaucoup d’elle-même et y règle quelques comptes. Ce qui m’a frappée, c’est son analyse du secret dans lequel elle a été plongée toute son enfance, ce secret dont personne ne parlait, qui ne lui était jamais intimé mais qui lui était naturel. Elle-même était le secret. Hasard de la vie, elle apprend le décès de Robert Badinter quelques jours avant que commence l’expérience, lui qui a convaincu François Mitterrand de reconnaître sa fille lorsqu’elle avait dix ans. Puis, quelques semaines plus tard, c’est Frédéric Mitterrand qui disparait. À chaque fois, ce sont les souvenirs d’enfance qui remontent et qu’elle nous livre, tels qu’elle les a vécus puis tels qu’elle les analyse maintenant, avec le regard de l’adulte et de la professeure de philosophie.

Ce que les gens ont du mal à comprendre, c’est qu’être un secret ne rend pas complètement stupide, ni coupé de tout : vous gardez des yeux et des oreilles, vous avez un père et une mère, le matin vous prenez un petit déjeuner en écoutant la radio, le soir vous dînez avec vos deux parents, parfois avec un seul ; dans la cour de récréation vous jouez avec des amis. Et tout cela, en étant un secret. Bien sûr, ça change quelque chose. Bien sûr, ça modifie tous les gestes. Mais c’est vous qui ne devez pas dire, quant aux autres ils vous parlent, ils évoluent peut-être dans une réalité parallèle, celle-ci pour autant ne vous est pas totalement hermétique. (Page 33)

Autre ouvrage dans cette collection : 6 avenue George V de Thomas B. Reverdy