mercredi 18 juin 2025

La peau des pêches

La peau des pêches – Salomé Berlioux 

Stock (2021) 

Ils se rencontrent lors d’un dîner, tombent amoureux, s’installent ensemble puis se marient. Très vite, ils décident d’avoir un bébé. Diane a vingt-sept ans, Aurélien en a trente-neuf, il est déjà père d’une fillette de quatre ans. Les mois passent, aucune grossesse ne s’annonce. Les examens ne montrent aucune anomalie, ils sont tous les deux capables de procréer, mais pas ensemble, leur couple est infertile. Ils se tournent alors vers la PMA, remplis d’espoir et confiants dans les progrès de la médecine. 

Faire face à l’infertilité alors que tout semble normal, affronter les multiples traitements et leurs conséquences douloureuses, supporter les prélèvements d’ovocytes, être suspendu à l’évolution des blastocytes, être confronté aux échecs successifs de décongélation, d’implantations infructueuses, de fausses couches précoces, ce sont les étapes qui s’enchaînent dans un cycle sans cesse recommencé tandis que les mois et les années passent. Il faut aussi se confronter aux questions et aux doutes des proches tout en gardant la combativité nécessaire.

 

Le roman est divisé en quatre parties, vouloir, essayer, échouer, accepter, qui illustrent parfaitement l’évolution de l’héroïne et de son compagnon. J’ai été impressionnée par leur ténacité, leur confiance en l’avenir même si les moments de découragement, de désespoir et de remise en question sont fréquents.
 

C’est un roman percutant et émouvant. La narratrice plonge en elle pour dire ses pensées, ses sensations, ses hauts et ses bas. Lorsqu’elle décide de raconter ce qu’elle vit à des amis ou des connaissances, elle se rend compte que le parcours pour devenir parents est souvent difficile aussi chez les autres et elle y trouve un soutien inattendu, un encouragement à continuer.

Si je ferme les yeux pour me plonger dans le passé avec l’espoir de voir émerger un moment fort, une première porte ouverte sur le récit, je n’y parviens pas. À cause de toutes ces étapes. Répétées. Multipliées. Entremêlées. C’est un magma de souvenirs qui chaque fois me submerge. Pas un seul événement. Pas un moment en particulier. Une avalanche. Je ferme les yeux et une interminable coulée de lave s’impose. Je n’ai jamais vu de volcan en éruption. Cela n’empêche pas l’image d’être très nette. Elle m’accompagne. La nuit, quand j’ouvre les paupières et que je sais que le sommeil ne viendra plus. Dans la salle d’attente du médecin. Chez mes beaux-parents le dimanche. Quand je passe du temps avec ma petite sœur et que je la vois, si belle, brillante, prometteuse, sans parvenir à retrouver les sensations physiques de mes seize ans. Dans la rue, souvent. Au travail, quand, derrière mon ordinateur, je me sens flancher et prends ma tête entre les mains. Respire. Ça va aller. La lave se déverse du volcan, envahit tout, entraîne avec elle des pans entiers de ses flancs. Une nuée ardente. Torrentielle, elle dévale les pentes. Brûlante, dense, visqueuse, elle coule. Je la regarde couler. Je ne peux rien faire contre l’invasion. (page 110)

Je savais que se lancer dans une P.M.A n’était pas un chemin de roses mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si éprouvant, si chaotique. Bref, je ne mesurais pas ma chance d’avoir eu des enfants quand je les ai voulus sans aucune difficulté !
 

J'étais complètement passée à côté de la sortie de ce très beau texte en 2021. Heureusement, ma médiathèque l'a mis en tête de rayon, dans le cadre d'une sélection d'ouvrages des éditions Stock. Merci aux bibliothécaires de m'avoir donné l'occasion de découvrir ce roman très fort.

mercredi 21 mai 2025

11 quai Branly

11 Quai Branly – Mazarine M. Pingeot

Collection Retour chez soi – Flammarion (2024)

 Retour chez soi
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ne collection imaginée
par Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon
sous la direction d’Alix Penent.

« Retour chez soi » est une collection de littérature qui offre à des écrivains la possibilité de revenir, des années plus tard, dans un lieu de leur enfance ou de leur adolescence, un lieu du passé perdu depuis longtemps mais qui palpite encore dans la mémoire. Le temps d’une journée et d’une nuit, ils en auront, pour eux seuls, les clés. Qui n’a pas rêvé de retrouver l’endroit qui l’a forgé ? Les écrivains livreront le récit intime de cette expérience du retour, des souvenirs qui demeurent, se ravivent et parfois se perdent.

 

Ce livre est la réponse de Mazarine Pingeot à la proposition d’Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon.

 

Alors je leur dis : le seul lieu qui m’intéresse, c’est l’Alma. Là où j’ai vécu (et perdu ?) mon adolescence. C’est un espace gardé, une muraille, il est impossible d’y entrer. (page 17)

 

L’Alma, pour Mazarine Pingeot, c’est le 11 quai Branly, un ensemble d’immeubles sécurisés où sont logés des hauts fonctionnaires, des personnels de l’Elysée, des salariés des services de renseignements. C’est là qu’elle a vécu avec ses parents, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, lorsqu’il n’a plus été possible, pour raison de sécurité, de vivre dans le petit logement d’Anne Pingeot dans le sixième arrondissement.

Dans ce livre dédié à sa mère, Mazarine M. Pingeot se prépare au retour dans les lieux qu’elle a habités de façon invisible entre ses neuf et seize ans, elle revient sur son enfance et son adolescence « cachée » jusqu’à ce qu’une photo à la Une de Paris-Match l’amène dans la lumière et change à tout jamais son existence.

Le passage dans les lieux sera très rapide, malaisant mais également salutaire, pour elle peut-être, pour le lecteur plus sûrement puisqu’il est à l’origine de ce texte fort et personnel.

J’ai aimé ce livre, Mazarine Pingeot y raconte beaucoup d’elle-même et y règle quelques comptes. Ce qui m’a frappée, c’est son analyse du secret dans lequel elle a été plongée toute son enfance, ce secret dont personne ne parlait, qui ne lui était jamais intimé mais qui lui était naturel. Elle-même était le secret. Hasard de la vie, elle apprend le décès de Robert Badinter quelques jours avant que commence l’expérience, lui qui a convaincu François Mitterrand de reconnaître sa fille lorsqu’elle avait dix ans. Puis, quelques semaines plus tard, c’est Frédéric Mitterrand qui disparait. À chaque fois, ce sont les souvenirs d’enfance qui remontent et qu’elle nous livre, tels qu’elle les a vécus puis tels qu’elle les analyse maintenant, avec le regard de l’adulte et de la professeure de philosophie.

Ce que les gens ont du mal à comprendre, c’est qu’être un secret ne rend pas complètement stupide, ni coupé de tout : vous gardez des yeux et des oreilles, vous avez un père et une mère, le matin vous prenez un petit déjeuner en écoutant la radio, le soir vous dînez avec vos deux parents, parfois avec un seul ; dans la cour de récréation vous jouez avec des amis. Et tout cela, en étant un secret. Bien sûr, ça change quelque chose. Bien sûr, ça modifie tous les gestes. Mais c’est vous qui ne devez pas dire, quant aux autres ils vous parlent, ils évoluent peut-être dans une réalité parallèle, celle-ci pour autant ne vous est pas totalement hermétique. (Page 33)

Autre ouvrage dans cette collection : 6 avenue George V de Thomas B. Reverdy