vendredi 1 novembre 2019

Casting sauvage

Casting sauvage - Hubert Haddad

Zulma (2018)

Damya, une jeune danseuse blessée lors des attentats du 13 novembre à Paris, a dû renoncer à sa passion, la danse et au rôle de Galatée qu’elle devait tenir dans un ballet. Après de longs mois d’hospitalisation et de rééducation, Lyle, une amie, lui a proposé une mission à priori impossible : dénicher une centaine de figurants pour un film, La douleur, d’après l’œuvre de Marguerite Duras. Ceux qu’elle doit recruter seront les revenants des camps, à leur arrivée à la gare de l’Est. Les directeurs de casting habituels s’y sont déjà cassé les dents. Mais Lyle connait bien son amie, sa capacité à approcher les gens que la vie n’a pas épargné. Alors Damya ratisse les quartiers de Paris et repère les maigres, les anorexiques, les marginaux, les ravagés, les étudiants qui ne mangent pas à leur faim. Elle profite de cette quête pour tenter de retrouver le jeune homme qu’elle avait rencontré la veille de l’attentat et qui lui avait donné rendez-vous le lendemain au café où elle a été blessée. Elle croit le voir souvent, elle aperçoit sa silhouette au coin d’une rue, furtivement. Qui était-il ?

160 pages seulement et pourtant, quel voyage dans Paris que celui que nous propose Hubert Haddad dans ce beau roman ! Un Paris loin de la ville lumière pour touristes, un Paris où les beaux quartiers n’ont aucun intérêt. Le Paris du roman, c’est celui des gares, celui des quartiers populaires et mal famés, celui où survivent les miséreux, les sans-papiers, les sans-logis. Et pourtant, ce sont eux qui vont accepter ce que leur propose Damya, elle qui trouve une raison de vivre dans ces longues marches à travers la ville, claudicante et légère, qui refuse de s’appesantir sur son destin brisé. C’est aussi le Paris des arts, la danse, la sculpture, le théâtre, que l’on perçoit au fur et à mesure des rencontres que fait Damya.

Une écriture poétique, une prose un peu précieuse parfois, des termes surannés, des tournures inhabituelles, j’ai été assez surprise du style d’Hubert Haddad que je lis pour la première fois. Est-ce courant chez lui ? En tout cas, j’ai beaucoup aimé ce roman, tantôt onirique lorsqu'il évoque les rêves de Damya, tantôt très ancré dans le présent lorsqu'il décrit les camps de Roms de la porte de la Chapelle ou les migrants dans les rues de la capitale.

Page 67
Lyle se fichait bien que Duras, diligente dans une Commission d’attribution du papier et les domaines lénitifs de l’aide à l’édition, eût passivement collaboré à l’origine avant de se déclarer résistante pour avoir distribué des tracts ou torturé un gestapiste, entre autres faits d’armes subsidiaires. Cette complaisance faite de sentimentalité blasée, d’élitisme féroce et d’aveuglement autour des blessures les plus graves la gênait aux entournures sans qu’elle eût son mot à dire et surtout, ne dérogeant elle-même en aucun cas à ses fonction de planificatrice ubiquitaire, ne cessait de la questionner sans qu’elle pût en définir les causes.

Page 92-93
[…] D’expérience ou d’instinct, après quelques rebuffades, Damya laissait à leur destin les relégués et bannis d’eux-mêmes, les désespérés sur la défensive et l’espèce étrange des désirants en combustion infamante. Il suffisait d’un échange de regards. Elle savait distinguer maintenant les solitudes. Paris regorgeait d’exilés que personne n’attendait nulle part. Ils allaient innombrables, hommes et femmes pour tous invisibles, n’espérant rien que la miséricorde des rues. Certains se cachaient si bien au sein des foules que l’antique faucheuse eût pu les y cueillir en toute discrétion. D’autres au contraire les fuyaient, ne pouvant assumer la moindre attention, serait-ce d’un enfant ou d’un chien. Le casting sauvage, elle l’avait appris à ses dépens, était un comble d’artifice. Il s’agissait d’abuser des innocents avec des leurres et quelques sous.
D'autres avis chez Lyvres, Mémo Émoi, Murmures de Kernach et Lettres Express.

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