Quelle n’est pas ma joie – Jens Christian Grøndahl
Gallimard (2018) – Collection du monde entierTraduit du danois par Alain Gnaedig
Ellinor, soixante-dix ans, vient d’enterrer Georg, son mari. Elle décide de vendre la maison où ils ont vécu, dans la banlieue chic de Copenhague, et suscite l’incompréhension de son entourage parce qu’elle choisit d’aller s’installer à Vesterbro, le quartier défavorisé de son enfance.
Dans un long monologue adressé à Anna, la première épouse de Georg, elle parle à celle qui fut son amie et qui est morte, engloutie avec Henning, le mari d’Ellinor, dans une avalanche alors qu’ils étaient tous les quatre en vacances dans les Dolomites. Issue d’un milieu social très différent de celui d’Anna, Ellinor, qui n’a pas connu son père et qui a vécu dans la pauvreté, était très admirative de la jeune femme, éblouie par la joie de vivre de la jeune mère de famille à qui tout semblait réussir. À la mort d’Anna, Ellinor, dont le corps du mari n’a jamais été retrouvé, a secondé Georg pour élever les deux garçons qu’il avait eus avec Anna. Les années ont passé et les deux veufs ont fini par se marier, sans que jamais Ellinor n’évoque ses origines, le secret qu’elle a toujours tu.
C’est une vie vécue à la place d’une autre qui se raconte dans les pages de ce beau roman et c’est une femme qui n’a jamais osée être elle-même qui parle. Une femme qui a intériorisé la honte de sa mère, l’enfance sans figure paternelle, le chagrin de ne pouvoir donner la vie, la douleur de la disparition de son premier mari. C’est le moment de tout remettre à plat, même si elle sait qu’il reste des questions sans réponse puisque Anna, Henning et Georg, les seuls qui savaient, ont disparu pour toujours. Parler à Anna lui fait du bien, la libère, on la sent prête à prendre les rênes et à décider enfin de son sort pour les années qui lui restent.
C’est la première fois que je lis un roman de Jens Christian Grøndahl et j’ai beaucoup apprécié sa plume. Il donne la parole à une femme avec beaucoup de justesse. Au cours de ma lecture, jamais je n’ai trouvé d’incongruité, jamais je ne me suis dit que son propos était celui d’un homme et qu’une femme ne s’exprimerait pas comme cela.
Un livre fort et émouvant, dont l’ambiance tranche complètement avec l’illustration de la couverture.
Le début :
Voilà, ton mari est mort lui aussi, Anna. Ton mari, notre mari. J’aurais aimé qu’il repose à côté de toi, mais tu avais déjà des voisins, un avocat et une dame qui a été enterrée il y a deux ans. L’avocat était là depuis longtemps quand tu es arrivée. J’ai trouvé une concession libre pour Georg dans la rangée suivante. De ta tombe, on peut voir l’arrière de la sienne. J’ai opté pour du calcaire, même si le monsieur des pompes funèbres m’a dit que c’était sensible au vent et au mauvais temps. Quelle importance ? Je n’aime pas le granit. Les jumeaux auraient voulu du granit, pour une fois ils étaient d’accord. Le granit, c’est trop lourd, et notre Georg s’est plaint d’une douleur à la poitrine. Nous aurions dû prendre cela plus au sérieux, mais il l’a traitée par le mépris. Il commençait par se plaindre, et quand je partageais son inquiétude, il ignorait tout. Il était comme ça, Georg.
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