dimanche 27 août 2017

Les fantômes du vieux pays

Les fantômes du vieux pays – Nathan Hill

Gallimard (août 2017)
Traduit par Mathilde Bach


Été 2011 : Samuel Anderson est un jeune enseignant à l’université de Chicago et par ailleurs adepte d’un jeu vidéo, Elfscape, qui occupe tout son temps libre. À tel point qu’il est passé à côté d’un évènement qui fait la une des médias et du Web : sa mère, Faye Andresen-Anderson, qu’il n’a pas revu depuis qu’il a onze ans, a agressé à coup de gravillons le gouverneur Paker, candidat à l’investiture présidentielle. Elle est devenue quasiment l’ennemi public numéro un, surnommée Calamity Packer et transformée par la rumeur en une HIPPIE EXTRÉMISTE, PROSTITUÉE ET ENSEIGNANTE AYANT CREVÉ LES YEUX DU GOUVERNEUR. 
Contacté par l’avocat de Faye qui lui demande d’écrire une lettre en faveur de sa mère afin d’amadouer le juge, Samuel commence par refuser, se sentant incapable d’écrire quoi que ce soit à propos de cette femme qui l’a abandonné et dont il ne sait rien, et n’ayant surtout pas envie de le faire. Mais un rendez-vous avec son éditeur l’oblige à reconsidérer sa position. En effet, suite à la publication d’une nouvelle qui avait rencontré un certain succès, Samuel a perçu, plusieurs années auparavant, un à-valoir conséquent contre la promesse d’écrire un livre, dont il n’a, dix ans plus tard, pas écrit le premier mot. En revanche, il a bien sûr dépensé l’argent pour acheter sa maison, qui entretemps a vu sa valeur divisée par trois ou quatre. Incapable de rembourser l’à-valoir, Samuel, pris à la gorge, propose alors d’écrire un livre-confession sur sa mère, la célèbre Calamity Packer. L’écriture de la lettre de louanges devient alors le prétexte bienvenu pour une première rencontre avec celle qu’il n’a plus vue depuis vingt ans.

Voilà le résumé d'une petite partie de ce gros roman de 700 pages, le fil conducteur d'une histoire qui va beaucoup s’en éloigner.
D’abord dans le temps, en remontant à différentes périodes : l’enfance de Samuel et plus particulièrement en 1988, lorsque Faye a déserté le foyer. Puis, ensuite, en 1968, lorsque Samuel va découvrir les raisons qui ont poussé sa mère à quitter son Iowa natal pour aller étudier à Chicago, où se déroulaient de nombreuses manifestations contre la guerre au Vietnam, et celles qui l’ont ramenée dans l’Iowa à peine un mois plus tard pour épouser le père de Samuel. Il y aura même une incursion dans les années 1940 lorsque Faye s’interrogera sur la jeunesse de son père, qui lui aussi a tout laissé derrière lui en Norvège, son pays de naissance.
Ensuite la narration prend également des libertés avec l’intrigue principale, en s’intéressant à des personnages à première vue secondaires, comme Laura, une étudiante de Samuel, experte dans l’art de la triche et de la manipulation, ou bien Pwnage, grand maître d’Elfscape et symbole particulièrement poignant de l’addiction aux jeux. En 1988, c’est Bishop Fall, un copain de classe de Samuel et sa sœur Bethany qui amènent quelques digressions tout à fait bienvenues. En 1968, à Chicago, la rencontre d’Alice, très impliquée dans le mouvement protestataire, et de Sebastian, responsable d’un journal militant, sera fondamentale dans l’évolution de Faye.

Finalement, ces digressions contribuent à élaborer un roman très bien construit, où les mystères s’éclaircissent les uns après les autres, alors qu’au départ, on avance complètement dans le flou, aux côtés de personnages qui paraissent assez déjantés et soumis à des angoisses qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes, comme Samuel et Faye. La recherche des origines va permettre à l’un comme à l’autre de comprendre l’influence de l’histoire familiale et des vieilles légendes scandinaves. C’est aussi un roman sur l’importance des choix que l’on fait à des moments critiques de la vie et sur les conséquences de ces choix. Et dans la vraie vie, il est hors de question de revenir sur ses pas et d’explorer un autre chemin, comme on peut le faire dans les livres dont vous êtes le héros.

Après un début de lecture qui m’a laissée perplexe - les deuxième et troisième chapitres sont consacrés aux expériences de jeu de Samuel et de Pwnage dans l’univers d’Elfscape et je ne suis pas du tout fan de ce type de jeux – j’ai été embarquée dans ce roman multiforme, plein d’humour et de dérision, qui pointe les contradictions de la société américaine qui font peur quelquefois. Une belle expérience que je recommande vivement, et ce n’est pas seulement parce que j’ai reçu ce livre gracieusement que je le fais !

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cet envoi.

Un extrait page 699 :
Pwnage avait dit à Samuel que chaque personne qui nous entoure représente un ennemi, un obstacle, une énigme ou un piège. Pour Samuel comme pour Faye, dans le courant de l’été 2011, le monde entier était un ennemi. La seule chose qu’ils espéraient encore de la vie, c’était qu’on les laisse tranquilles. Mais le monde n’est pas supportable pour qui y est seul, et plus Samuel a plongé dans l’écriture, plus il a compris à quel point il se trompait. Car en ne voyant les gens que comme des ennemis, des obstacles ou des pièges, on ne baisse jamais les armes ni devant les autres ni devant soi. Alors qu’en choisissant de voir les autres comme des énigmes, de se voir soi comme une énigme, on s’expose à un émerveillement constant : en creusant, en regardant au-delà des apparences, on trouve toujours quelque chose de familier.


De nombreux d'avis déjà sur les blogs :  Kathel, Jérôme, Léa et d'autres encore chez Babelio.

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