Victor Hugo vient de mourir - Judith Perrignon
L'iconoclaste (2015)Victor Hugo va mourir, la foule se presse déjà devant chez lui, comme pour le soutenir dans son agonie. Seuls quelques privilégiés ont le droit d’approcher le chevet du grand homme, quelques politiques, quelques proches. Les autres, les anonymes, ce sont souvent de petites gens qui ont traversé la ville entière pour se rapprocher de l’homme qu’ils admirent tant, ne peuvent que rester devant ses fenêtres. Et puis, c’est la fin. Commence alors la difficile organisation des obsèques, évènement sous haute surveillance policière et source d’inquiétude pour le gouvernement, qui craint des émeutes.
Un livre passionnant, à la fois roman et documentaire. S’appuyant sur l’évènement historique que constitue la mort de Victor Hugo, Judith Perrignon bâtit son roman en introduisant quelques personnages, réels ou fictifs, redonnant ainsi vie aux acteurs des péripéties autour des obsèques. Ainsi, Lockroy, qui a épousé la veuve du fils de Victor Hugo, représente-t-il les intérêts de la famille et la sphère privée. Ou encore le commissaire de police de l’arrondissement qui assure le maintien de l'ordre dans le quartier, tentant d’anticiper au mieux les réactions du peuple en utilisant les rapports que lui communique un indicateur de la police, toujours nommé vingt-trois, infiltré dans les groupes anarchistes et communards.
J’ai appris beaucoup de choses lors de cette lecture, comme par exemple la dé-sanctuarisation du Panthéon à l’occasion des obsèques, pour permettre à la dépouille d’être accueillie dans ce qui était jusqu’alors l’église Sainte-Geneviève et qui redevient un édifice à la gloire des Grands Hommes de la Nation. Au travers des manigances des pouvoirs publics pour éviter les troubles lors des obsèques et du trajet du cercueil, on comprend bien le dilemme posé par cet hommage national : enterrer la grande figure laïque qui a refusé l’extrême onction, sans rallumer la fièvre révolutionnaire qu’a accompagnée le héros du peuple. Un rappel que Victor Hugo n’était pas seulement un grand écrivain et poète, mais aussi une figure politique de son temps, qui a contribué, par ses mots ou ses actes aux grands mouvements révolutionnaires du 19ème siècle.
Quelques mots à propos de la forme de ce livre, édition très soignée publiée chez L’iconoclaste. Une couverture très réussie, et un papier de très belle qualité ajoutent au plaisir de cette lecture. Même si je succombe quelquefois à l’aspect pratique de la liseuse électronique, rien de remplace la lecture–papier, surtout quand on a dans les mains un ouvrage de cette qualité.
Extrait page 10 :
Ça se passe de l’autre côté de la ville, dans les beaux quartiers, au 50 de l’avenue qui porte déjà son nom. La foule grossit devant chez lui. Un curieux mélange de gens qui s’attardent ou ne font que passer. Ils sont venus écouter le récit de l’agonie. Ils lèvent les yeux vers les fenêtres fermées où ils l’ont aperçu, déjà, debout, saluant, ils palpent l’absence, le silence, la mort qui œuvre à l’intérieur et les laisse vivants, vaguement effarés, avec ou sans chapeau, avec ou sans rang, comme des personnages en quête d’auteur. Parfois même, ils tendent une main vers le haut du mur du jardin, arrachent les feuilles de lierre qui débordent. La feuille se laisse faire, robuste et toujours verte, elle court sur les murs, increvable, elle, s’en va jusqu’à la fenêtre du mourant qu’on n’ouvre plus.Page 138 :
Tout au bout du parcours, l’église Sainte-Geneviève est devenue Panthéon. Les dernières messes ont été dites la veille, puis l’abbé a remis les clés au directeur des travaux de la ville de Paris. Les gestes étaient raides de part et d’autre, on eût dit un jour d’armistice. Le vainqueur a aussitôt pris possession des lieux, sous les acclamations d’une foule qui s’est engouffrée sous les voûtes, on en vit quelques-uns monter à la chaire, d’autres se bécoter dans le confessionnal, certains cracher dans les bénitiers. Ce fut un grand moment d’impiété collective.
Ecoutez Judith Perrignon en compagnie de Caroline Ostermann sur France-Inter dans Dimanche, dès l'aube du 1er novembre 2015.
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