samedi 22 février 2020

Post-scriptum

Post-scriptum - Jane Birkin

Post-scriptum – Jane Birkin

Journal 1982-2013

Fayard (2019)

Deuxième tome des extraits du journal de Jane Birkin, traduits de l’anglais et annotés par l’auteur de 2016 à 2019.

Ce deuxième volume commence à la naissance de Lou Doillon et se termine le jour du décès de Kate Barry. Dans la courte postface, Jane indique qu’elle n’a plus écrit dans son journal après ce drame.

Il y a encore, comme dans le premier tome, la joie de vivre, l’insouciance et toujours la culpabilité de Jane qui ne sent jamais à la hauteur, qui doute toujours d’elle, en particulier vis-à-vis de ses filles.  
Au fur et à mesure des pages, on l’accompagne dans sa vie trépidante de chanteuse et de comédienne, les absences de la maison pour cause de tournée ou de film dont elle souffre beaucoup lorsqu’elle est éloignée de ses filles. On rit souvent au récit d’expériences fantasques ou de situations cocasses qui ont l’air d’être sa spécialité !

À côté de cette vie extraordinaire, ces extraits de journal et les commentaires plus récents de Jane montrent qu’en dépit de ses succès, elle est confrontée, comme tout un chacun, aux épreuves de l’existence. Et là, comme tout le monde, il faut encaisser, s’angoisser, souffrir, faire face, et les occasions ne manquent pas. Sa vie avec Jacques Doillon n’est pas un long fleuve tranquille et elle doit affronter l’adolescence difficile de Kate, les décès de Serge Gainsbourg et de son père à quelques jours d’écart, le chagrin de Charlotte. Puis vient le temps des engagements - guerre en Bosnie, soutien aux sans-papiers, qui lui apporte une certaine maturité et la sort de l’image qu’elle renvoyait auparavant. On perçoit aussi son évolution par rapport à la chanson, la reconnaissance qu’elle éprouve vis-à-vis de Gainsbourg et le rôle qu’elle veut tenir dans la continuité de son œuvre. Avec le temps qui passe, elle a le courage de tenter de nouvelles expériences au théâtre, au cinéma. Elle chante d’autres chansons que celles de Gainsbourg. Et puis, vient la maladie contre laquelle elle se bat courageusement, à sa façon, toujours fantasque et comme sur un fil.

En conclusion, un récit émouvant, un parcours atypique que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire car on revisite des évènements à travers la perception de Jane Birkin. C’est quelquefois très surprenant.

Pour finir, un extrait qui figure dans une lettre à Lou, écrite de Bosnie en 1995 (pages 213-214)
On part. Au revoir aux garçons. On traverse les champs. Il pleut sur Mostar, ville ravagée aux ruines misérables. Pas un toit, pas un mur sans vérole. Il pleut sur Mostar et c’est bien, le temps qu’il fait. Des cabanons et les gens marchent sans courir, ce n’est plus la guerre. Prise de mélancholie je ne croyais plus à la vie, alors j’ai cherché la guerre et là-bas j’ai appris, on m’a donné une généreuse leçon sur le fait de profiter de la vie. Là-bas, j’ai trouvé la paix, aussi étrange que ça puisse sembler. Survivre. Professeurs et étudiants avec cette envie de partager leur connaissance. Donner, donner, cette élégance, cet effort de dignité. J’ai eu peur, j’ai pleuré, pour moi, pas pour eux, c’était mesquin. Est-ce que cette situation d’urgence les a rendus plus beaux ? Est-ce qu’on pourrait plus ne plus s’habituer à la vie normale ? Chaque mouvement de doigt était urgent là-bas, panique, j’ai pensé à moi pour la première fois en six jours, le cœur en paix, le cœur s’emballe, une voiture chic, BMW, c’est fini, on est loin. Puis non, c’est pas vrai, j’ai sursauté quand une hirondelle a plongé devant nous, sur la route, qu’elle ne meure. Ce serait trop bête, je veux tenir à la vie, à l’hirondelle.

mardi 4 février 2020

Une longue impatience

Une longue impatience – Gaëlle Josse

Éditions Noir sur Blanc (2017) - Notabilia

Avril 1950, dans un bourg breton non nommé. Louis, un garçon de 16 ans, n’est pas rentré chez lui. Sa mère, Anne, la narratrice, ne sait que trop ce qui a pu provoquer cette fugue. Elle veut croire les gendarmes, rassurants, qui affirment qu’il va bientôt rentrer. Où irait-il, à cet âge-là, sans argent ? Mais les jours passent et toujours aucune nouvelle du garçon. Une remarque d’un des gendarmes la conduit au port voisin. Sur le registre de la capitainerie, l’officier des Affaires maritimes retrouve bien le nom de Louis. Il s’est embarqué sur un navire de commerce, à destination de la Réunion, puis Durban, Buenos Aires et Valparaiso. Le bateau devrait revenir peu avant Noël. Commence alors une longue attente pour Anne avec deux vies en parallèles : celle d’une mère de famille de deux jeunes enfants et d’épouse du pharmacien qui tente d’assumer le quotidien, et celle d’une mère pleine de l’espoir de revoir son fils, qui scrute la mer, perchée sur la falaise, qui se remémore les épreuves qu’elle et Louis ont traversées, qui prépare le retour de son fils.

C’est un roman poignant et fort. Anne est une héroïne magnifique, tout en retenue, modeste et endurante. C’est une femme qui ne se plaint pas, une femme qui garde espoir, qui écrit des lettres lumineuses à son fils, lui racontant le festin qu’elle lui réserve pour le jour de son retour.

Je ne peux pas trop raconter ce qui se passe dans ce livre pour ne pas trop en dévoiler. Mais, comme d’habitude avec Gaëlle Josse, on est immergé dans l’ambiance qu’elle installe si bien, on vit au côté de l’héroïne, on ressent ses états d’âme, son courage, on comprend son dilemme et sa retenue de femme des années cinquante, on sent le temps qui passe et l’espoir qui ne faiblit pas.

Le titre du livre aurait pu être « Une longue patience » mais il n’aurait pas traduit correctement l’état d’esprit de son héroïne. Je ne l’ai pas sentie patiente, ça voudrait dire qu’elle s’est résignée. Elle ne se résigne pas, elle vit en elle le retour de son fils et elle se prépare à la fête, avec impatience.

Page 89
Et à table, je serai là, au milieu de vous tous, car ce jour-là, la maison sera ouverte à tous ceux qui voudront se joindre à nous et se réjouir, ce sera table ouverte, je le veux ainsi, ce sera un temps pour oublier les mauvais regards, les paroles amères, les curiosités déplaisantes, les jalousies. Je veux croire que ceux qui nous rejoindront ne seront là que pour partager notre joie.