L’eau qui dort – Hélène Gestern
Éditions arléa (2018)Benoit Lauzanne est commercial dans une entreprise qui fabrique du papier. Suite à une nouvelle rebuffade de sa femme Sabine, il a fait sa valise et déserté le domicile familial. Machinalement, il a pris la route pour la ville de V. dans le Loir-et-Cher où il a rendez-vous trois jours plus tard avec un client. Ultime rendez-vous car il vient d’être licencié et n’en a encore rien dit à sa femme.
Au buffet de la gare de V., il aperçoit une femme blonde en laquelle il croit reconnaitre Irina, une jeune peintre Lituanienne avec laquelle il a vécu à Paris lorsqu’il était étudiant, vingt ans auparavant. Un beau matin, Irina a disparu sans laisser de traces et il n’a jamais su ce qu’elle était devenue.
Alors que son rendez-vous professionnel est annulé, Benoit entreprend de retrouver Irina, il s’installe à l’hôtel d’abord, puis au domaine du Précy-Hingrée, un superbe jardin où il se fait embaucher comme aide-jardinier et où il est logé dans le chalet précédemment occupé par Rebecca, dont elle est partie un jour sans prévenir ses collègues. Benoit, qui s’est fait connaitre sous le prénom de Martin au Précy, n’a rien dit de sa situation et commence à prendre ses marques dans le travail au jardin, lui qui aurait voulu être horticulteur depuis son enfance. Il apprécie le travail au grand air, dans un endroit un peu magique, retiré du monde, comme dans un cocon. Hélas, la découverte d’un sac contenant des lingots dans la maçonnerie d’une fontaine et l’irruption de la police locale vient contrarier la douce ambiance bucolique et introduire la défiance au sein de l’équipe. Martin se rend compte qu’il n’est pas le seul à avoir un secret et que ses nouveaux collègues ne sont pas tous aussi « lisses » qu’ils le paraissent.
Ce sont deux enquêtes qui se déroulent dans ce nouveau livre d’Hélène Gestern, celle que mène Benoit/Martin pour retrouver son amour de jeunesse et celle de la police au sujet de ce sac de lingots qui pourrait être en relation avec la mort d’un journaliste quelques mois plus tôt dans un étang proche, journaliste qui avait été vu au Domaine de Précy-Hingrée. Deux enquêtes que l’on suit avec intérêt, qu’on ne lie absolument pas au début et qui finissent par se rejoindre, d’une certaine façon.
Mais avant cela, les thèmes de ce roman, ce sont la disparition et le rôle de la nature.
Comme Irina vingt ans plus tôt, Benoit a quitté sa femme sans explications, il ne répond pas à ses appels téléphoniques, à ses SMS, même s’il est conscient de la douleur qu’il lui cause puisqu’il a vécu cela aussi dans le passé et même dans le présent puisque la disparition d’Irina est encore une blessure pour lui. À la recherche de son amour disparu, il prend conscience de sa lâcheté, des conséquences de la fuite d’Irina sur l’évolution de son couple avec Sabine des années après, et aussi sur son comportement avec une autre femme qu’il a aimée.
La nature, dont Hélène Gestern décrit très bien le pouvoir protecteur et apaisant, la beauté sauvage et l’esthétisme, n’est pas seulement le refuge où Martin croit trouver une solution à ses angoisses et à sa fuite des responsabilités. Au Précy, on lui pose peu de questions, on se contente de ses réponses évasives, ses collègues sont bienveillants, respectueux de ses mystères. En réalité, chacun a ses secrets, ses failles, d’autres que lui apprécient aussi le lieu pour l’asile qu’il procure et l’oubli trompeur d’un passé qu’il engloutit dans ses bosquets et ses allées.
Extrait page 60-61
J'ai fermé les yeux et respiré profondément. Pour la première fois depuis des années, j'ai eu l'impression que le verrou qui enserrait ma cage thoracique venait de se décadenasser. J'aurais voulu prolonger ce moment, goûter encore la sensation du soleil timide sur ma peau, d'ordinaire confinée aux voitures, aux bureaux ou aux chambres d'hôtel. J'ai subitement eu l'envie irraisonnée de m'allonger sur le sol, de sentir sous mon poids l'élasticité de l'herbe, l'énergie de la terre pénétrer mes os et mes muscles. Car s'il est vrai que nous sommes poussière et que nous y retournerons, nous sommes aussi terriblement désireux d'être vivants, tant que le cœur nous bat encore.
Comme presque toujours, je vis la lecture des romans d’Hélène Gestern comme une échappée bienvenue, son écriture est toujours aussi fluide, imprégnée de sensations et d’images apaisées, comme hors du temps et pourtant si réelles, si représentatives des aléas de l’existence.
C’est l’opération Masse critique de la rentrée chez Babelio qui m’a donné l’occasion de découvrir ce livre. Merci à eux et aux éditions Arléa pour cet envoi gracieux.
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