lundi 28 janvier 2019

Le Grand Nord-Ouest

Le Grand Nord-Ouest – Anne-Marie Garat

Actes Sud (2018)
 
Fin des années 30 sur la côte ouest des État-Unis : la fête bat son plein sur une plage de Santa Monica pour l’anniversaire de Jessie, six ans, la fille d’Oswald Campbell, nabab hollywoodien, et de Lorna de Rio, génie du business à la plastique de rêve. 

Hélas, au petit matin, on trouve le corps d’Oswald échoué sur la plage comme une baleine morte. Ni une, ni deux, Lorna embarque sa fille endormie dans la Cadillac, passe chercher quelques affaires dans leur propriété de Brentwood et file, armée et munie d’un plan mystérieux vers le Grand Nord-Ouest, empruntant les routes de l’Oregon et de l’Alaska, les pistes, les ferries, troquant sa Cadillac contre un pick-up, changeant d’identité plus souvent que de chemise, manipulant tout le monde et surtout les hommes qui ne résistent pas longtemps à son abattage et à ses ambitions. 

En chemin, en pleine forêt canadienne, alors qu’il leur reste peu d’essence, Lorna et Jessie délivre une indienne, Kaska, d’un piège à loup qui l’a blessée à la jambe. Kaska les guide jusqu’à la cabane d’Herman, un trappeur mi-indien avec lequel elle vit au fin fond du Yukon, près du grand lac Kluane et des monts Saint Elias. Là, pendant quelques semaines, Jessie, devenue Nez de renard, va apprendre les gestes de la vie quotidienne des indiens et des trappeurs pour survivre dans l’environnement glacial et isolé, découvrir une nature sauvage et pleine de ressources. Jusqu’à ce que l’arrivée de deux hommes sur les traces de Lorna les obligent tous à fuir de nouveau à travers la forêt et la montagne.

C’est cette épopée et davantage encore que Jessie raconte quinze ans plus tard à Bud Cooper et qu’il partage avec nous, pauvre lecteur ébahi devant tant d’aventures qui se succèdent à un train d’enfer, dans une langue imagée et truculente. Une langue riche et colorée qui retrace l’histoire de ces contrées lointaines, l’emprise des colons sur les populations amérindiennes, poussées toujours plus loin, tentant de conserver leurs traditions, leur savoir-faire que l’auteur nous détaille avec soin. 

Les trois personnages féminins sont magnifiques : Lorna, la mère, dont on apprend au fur et à mesure les expériences multiples, une femme forte et ambitieuse, prête à tout pour mener à bien son projet, une femme qui n’a peur de rien et qui n’hésite pas à berner ceux qu’elle séduit par sa beauté. Jessie, encore toute petite lorsque commence l’histoire, mais déjà curieuse des autres, observatrice, admirative de sa mère mais pas complètement naïve, voyant très bien ses manipulations. Et puis Kaska, l’indienne gwich’in, qui accueille Lorna et Jessie qui l’ont sauvée d’une mort probable et qui voue à l’enfant une grande tendresse, lui enseignant ce qu’elle sait comme si c’était sa propre fille. C’est grâce à ses qualités d’écoute, à ses dons de chamane peut-être, qu’elle fait parler Lorna sur le secret de l’origine de Jessie, permettant à la fillette de comprendre d’où lui vient sa peau blanche et sa chevelure couleur de feu.

Herman le trappeur est conforme à ce qu’on imagine d’un chasseur des bois. Habitué à la solitude, il ne manifeste pourtant pas d’hostilité lorsqu’il découvre les deux visiteuses à son retour à la cabane. Et lorsqu’il pressent le danger, il n’hésite pas sur la conduite à tenir, même s’il doit pour cela abandonner son abri en plein hiver et braver le blizzard et la neige pour mener leur groupe vers un endroit plus sûr.

Je n’avais jamais rien lu d’Anne-Marie Garat. C’est une rencontre organisée il y a quelques semaines par ma librairie qui m’a donnée l’occasion de la découvrir et qui m’a incitée à me plonger dans ce roman. Grâce à ce Grand Nord-Ouest et à la puissance d’évocation d’Anne-Marie Garat, j’ai effectué un beau voyage aux confins de l’Alaska et du Yukon dans une nature sauvage et riche de tous ceux qui y ont vécu et dont les âmes sensibles perçoivent encore les traces. Dommage que l’objet de la quête de Lorna ne soit pas à la mesure des efforts de l’expédition, c’est la petite déception que j’ai ressentie en refermant ce livre épique et plein de souffle.

Cette petite cabane d’Herman vaut dorénavant à mes yeux le cher chalet de Heidi. N’y manquent que les chèvres de Peter. Et tous les animaux de ma fermette en bois peint. Or les vaches, le cochon, les poules, le dindon ne survivraient pas dans la prairie de Kloo Lake. Tout pousse et meurt si vite durant le court été nordique que les fermiers blancs voient dépérir leurs cultures et leur bétail dès le premier froid, dire qu’ils tiennent pour feignants les indiens qui dédaignent de travailler la terre ! Kaska rit de ces imbéciles qui importent leurs manières de faire d’autres pays sans admettre qu’ici plantes, bêtes et éléments ont leurs lois et leur volontés propres, qu’on ne glane, pêche et chasse que pour le besoin de se nourrir, se vêtir et s’abriter grâce aux ressources que la Terre offre gracieusement ; quand elle en décide. Eux croient la plier à leurs caprices. Souvent ils en deviennent dingos, parfois ils en meurent. Elle s’en félicite. (Page 117)

mercredi 23 janvier 2019

La somme de nos folies

La somme de nos folies – Shih-Li Kow

Zulma (2018)
Traduit de l’anglais par Frédéric Grellier


Lubok Sayong est une bourgade de Malaisie, régulièrement en proie aux inondations du fait de son implantation géographique, située au fond d’une vallée au confluent de deux rivières et proche de trois lacs. C’est lors d’une de ces montées des eaux qui coïncide avec une éclipse solaire qu’Auyong, l’ex-directeur d’une conserverie de litchis, entreprend de présenter au lecteur sa vieille amie Beevi, une femme râleuse mais tendre et fantasque. À la suite du décès accidentel de sa demi-sœur, Beevi hérite de la maison de son père qu’elle décide de transformer en Bed and Breakfast. Elle recueille également Marie-Ann, la jeune orpheline que la sœur venait d’adopter. Auyong et Mary-Ann se relayent alors pour raconter avec fantaisie et malice le quotidien de Lubok Sabong, en une succession de petites chroniques savoureuses où l’on découvre avec plaisir un aspect de la vie malaise, bien éloigné de l’univers des tours de Kuala Lumpur.

J’avais découvert l’existence de ce livre lors de l’édition 2018 des Matchs de la rentrée littéraire Rakuten et il faisait partie de ma sélection. Ce n’est pas celui que j’ai reçu mais ce que j’avais pu en lire m’avait tentée. Quand j’ai finalement pu l’emprunter dans une des bibliothèques de ma ville, je n’ai pas été déçue par ma lecture et j’ai été ravie de me plonger dans ces histoires de Lubok Sabong et de faire connaissance avec les personnages hauts en couleurs de ce roman.

Comme d’habitude, c’est toujours un plaisir de lire un ouvrage publié par Zulma : une couverture originale et colorée et un papier de qualité. On pourrait se dire que ça n’a aucune importance, que seule l’histoire compte, et pourtant, ces éléments matériels apportent un attrait notable à la lecture !
Alors, si vous croisez ce livre, n’hésitez pas !

Page 18
Alimentés par les pluies incessantes, les trois lacs grossissaient allègrement. Le lac de La Quatrième Épouse enlaça les deux plus petits en forme de croissant et la Sayong quitta son lit. Le deuxième jour, les zones basses de la vallée furent inondées et dès le troisième, l’eau atteignit le haut des pilotis de la maison de Beevi. Enfin réunies, la princesse du lac de la Quatrième Épouse et ses demoiselles de compagnie purent commencer leur voyage de retour vers la Chine ou vers Aceh, bien loin de notre petite ville du Perak.

mardi 22 janvier 2019

Hiver

Hiver – Mons Kallentoft

Le Serpent à plumes (2009)
Traduction du suédois par Max Stadler et Lucile Clauss


Un jour glacial de février, près de Linköping, le corps monstrueux d’un homme est retrouvé nu, pendu aux branches d’un arbre dans la campagne gelée. Il s’agit de Bengt Andersson, surnommé Bengt le ballon par les gamins du coin, à cause de ses cent-cinquante kilos, Bengt qui a été le souffre-douleur de ses camarades d’école, Bengt qui avait frappé son père à la tête avec une hache, Bengt qui était suivi par une jeune assistante sociale, Maria Murvall, jusqu’à ce que celle-ci soit retrouvée errant sur la route, des plaies sur tout le corps, après avoir été violée. Le coupable n’a jamais été identifié, la jeune fille est toujours hospitalisée, mutique et absente. Bengt avait été interrogé comme les autres de patients de Maria et mis hors de cause. Mais les frères de Maria, des voyous impliqués dans un tas de sales affaires, ont-ils pas le même avis ? Auraient-ils pu tuer celui qu’ils croient impliqué dans l’agression de leur sœur ?

Voilà l’énigme que doit élucider la commissaire Malin Fors de la police judiciaire de Linköping. Malin est une jeune femme divorcée, mère d’une adolescente de quatorze ans, Tove, dont elle partage la garde avec son ex-mari, Jan. Malin aime son métier, s’y implique beaucoup, trop sans doute. Elle vit mal l’adolescence de sa fille, ne sait plus lui parler et voit les liens entre elles se distendre. Et puis Malin a un problème avec l’alcool, y trouve trop souvent un refuge contre sa solitude, que sa relation épisodique et floue avec un journaliste local n’arrive pas combler.

C’est donc dans un univers bien noir que je me suis plongée avec ce premier tome d’une série d’un auteur suédois que je ne connaissais pas avant d’en lire du bien sur le blog de MHF qui en avait fait son coup de cœur littéraire de 2016.

Un gros pavé de presque cinq cents pages, une intrigue rondement menée à un rythme addictif, des policiers attachants et normaux, qui cherchent à bien faire leur travail tout en se débattant avec leurs propres problèmes domestiques et conjugaux, finalement ça se lit bien, même si l’ambiance est très glauque. D’ailleurs, à plusieurs reprises, je me suis dit que je n’allais pas poursuivre ma lecture, mais un peu malgré moi, j’ai continué jusqu’à la fin, jusqu’à connaitre l’identité du meurtrier de Bengt le ballon.
Et ce Mons Kallentoft est très fort car l’énigme concernant Maria Murvall n’est pas résolue et j’ai compris qu’elle ne le serait pas avant le tome 5 de la série.
Aurais-je le courage d’aller jusque-là ?

D'autres avis à propos de ce livre ici.

mardi 1 janvier 2019

Bonne année 2019



 En ce premier jour de 2019, je vous souhaite 
une bonne année 
et de belles lectures !