lundi 30 octobre 2017

Comment vivre en héros ? #MRL17

Comment vivre en héros – Fabrice Humbert

Gallimard (2017)

Tristan Rivière, lycéen de seize ans et adepte de boxe, a irrémédiablement déçu son père, Marcel, ouvrier et fervent communiste, le jour où il a abandonné Bouli, son coach, alors que celui-ci, toujours prêt à la bagarre, se colletait avec trois loubards dans le métro. Submergé par le nombre, Bouli fut gravement blessé et Tristan définitivement déclaré lâche par Marcel qui, jusque-là, avait toujours rêvé son fils dans le rôle du héros. Tristan, écrasé par la honte, ne remet plus jamais les pieds au club et traine ses remords comme un fardeau, persuadé qu’il est et sera toujours un incapable. Dix ans plus tard, alors qu’il est devenu professeur d’histoire-géographie dans un collège difficile, il se retrouve dans une situation analogue, alors qu’il rentre d’une soirée. Une jeune fille se fait importuner par un groupe de jeunes un peu échauffés et Tristan doit décider en trente-huit secondes ce qu’il va faire : ne pas réagir et risquer de revivre les tourments qu’il a déjà traversés ou se porter au secours de la jeune fille au risque de se faire démolir par le groupe. Avec génie, il choisira une troisième solution qui changera le cours de sa vie et lui donnera accès à un milieu social jusque-là inatteignable et à une carrière politique qu’il n’aurait jamais envisagée.

Ce n’est que le début de la vie de Tristan et l’amorce des péripéties qui vont se succéder au fil des quatre cents pages de ce roman. Je ne peux pas dire que je ne l’ai pas aimé, sur le moment j’ai tourné les pages avec hâte, toujours avide de savoir ce qui allait arriver à Tristan, dans son destin de héros décidé depuis la naissance par son père et si difficile à assumer. Ce que j’ai aimé, c’est toute la partie qui raconte l’ascension politique de Tristan, la façon dont il s’impose avec le soutien de son beau-père. Mais je suis réservée sur le choix de Fabrice Humbert d’illustrer son propos par la théorie du héros qu’il développe comme fil conducteur de ce roman. J’avais d’ailleurs déjà ressenti cette impression avec un autre de ses romans, L’origine de la violence, où, de la même façon, il utilisait un discours théorique sur la violence pour soutenir une histoire qui, à mon avis, n’en avait absolument pas besoin.

En résumé, une petite déception, d’autant que j’ai lu de nombreux avis plutôt favorables sur ce livre. Je suis peut-être passée à côté de ce roman !

Merci à PriceMinister et aux éditions Gallimard qui m’ont gracieusement adressé ce livre dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire 2017.

mardi 24 octobre 2017

Une année studieuse

Une année studieuse – Anne Wiazemsky

Gallimard (2012)

Un jour de juin 1966, j’écrivis une courte lettre à Jean-Luc Godard adressée aux Cahiers du cinéma, 5 rue Clément-Marot, Paris 8e. Je lui disais avoir beaucoup aimé son dernier film, Masculin Féminin. Je lui disais encore que j’aimais l’homme qui était derrière, que je l’aimais, lui. J’avais agi sans réaliser la portée de certains mots, après une conversation avec Ghislain Cloquet, rencontré lors du tournage d’Au hasard Balthazar de Robert Bresson. (Page 11)

Après trois rencontres « ratées » entre la jeune fille et le cinéaste, c’est cette lettre d’Anne qui va inciter Jean-Luc Godard à la rejoindre près d’Avignon où elle passe ses vacances chez une amie. Et c’est là que va démarrer leur histoire d’amour au fil de quelques visites.

C’est une année qui ne sera pas uniquement studieuse que raconte Anne Wiazemsky car, si elle obtient finalement son baccalauréat de philosophie à la session de septembre grâce aux cours particuliers de Francis Jeanson et qu’elle s’inscrit à la faculté de Nanterre où elle côtoiera Daniel Cohn-Bendit , elle va aussi poursuivre sa relation avec le cinéaste, tourner dans son film, La Chinoise, et finalement épouser Jean-Luc Godard, tourner le dos à des études qui lui pèsent et dont elle ne voit plus l’intérêt.

J’avais aimé Jeune fille, le précédent livre d’Anne Wiazemsky où elle racontait sa première expérience cinématographique sur le tournage d’Au Hazard Balthazar.
J’ai encore plus aimé celui-ci où j’ai eu l’impression d’assister à la naissance d’un papillon, de voir celle qui n’est au début qu’une jeune fille peu assurée déployer ses ailes au fur et à mesure, prendre des décisions, se libérer de son cocon familial, découvrir une autre vie.
Et ce n’est pas seulement sa rencontre avec Godard et leur histoire d’amour qui vont être le déclencheur, mais aussi les leçons de Jeanson, le tournage du film, ses cours à la fac, les trajets en train, la découverte de la banlieue pour la petite parisienne des beaux quartiers. Autant d’expériences racontées avec candeur et sincérité, dans un style fluide et sans artifice que j’apprécie toujours autant.

jeudi 19 octobre 2017

Un vertige

Un vertige – Hélène Gestern

Éditions arléa (2017) collection 1er mille

Un homme et une femme se rencontrent, s’aiment pendant trois ans. Il la quitte car, marié et père de famille, il ne supporte plus la situation. Mais il continue à lui écrire. Sept ans plus tard, ils se retrouvent et la passion reprend, brièvement, jusqu’à ce qu’il lui signifie la rupture dans une longue lettre envoyée d’Asie.

Contrairement à ce que vous pourriez croire à la lecture des quelques lignes ci-dessus, il ne s’agit en aucune façon d’un résumé de ce livre d’Hélène Gestern, que j’ai reçu grâce à l’opération Masse critique. Non, c’est plutôt ce que j'ai retenu  des propos de la narratrice lorsqu’elle raconte ce que fut son histoire d’amour avec T. et qu’elle décrit les tourments qui ont suivi. Pas de chronologie dans son récit, mais plutôt une évocation de ce que furent les années où cet homme eut une place dans sa vie, succession de souvenirs déclenchés par des mots ou des expressions tels que solitude, messages, train, jalousie, chats, corps, piscine (de Saint-Malo), photographies, annonce (de la rupture), la forêt, Jean-Jacques, Bibliothèque nationale, salle d’attente, rue C., écrire.

Et ce dernier mot, écrire, voici ce qu’il lui inspire, dans cet extrait page 67 :
Écrire n’a pas été salvateur. La grande souffrance s’est faite dans le silence. Lorsque j’ai commencé à mettre en texte l’expérience – que je juge rétrospectivement effroyable - que je finissais de traverser, j’avais une idée assez précise du point où j’en étais sur la cartographie de la perte et du désenchantement. J’ai formé, en pensée, quelques-uns de ces récits en me disant que cet amour, les décisions graves qu’il avait entraînées, la force émotionnelle qu’il avait charriée ne pouvaient rester lettre morte. Que si j’abandonnais cette détresse dans l’entropie quotidienne des jours, je me tournerais en quelque sorte le dos et j’achèverais de consommer l’élément le plus intolérable de cette relation manquée : le sentiment de gratuité, d’absurdité, de gâchis.
À la suite de ce premier texte qui donne son nom au roman, l’auteur nous en offre un autre de moins de vingt pages, intitulé La séparation. Ici, elle s’interroge sur ce qui se passe lors de la séparation dans un couple, ce que ça signifie réellement en termes de perte, de désillusion, de repli sur soi, de colère, d’envie de vengeance. Jusqu’au jour où l’apaisement vient et qu’il est enfin possible de passer à autre chose.

Extrait page 76 :
On ne sait d’où est partie cette rumeur sourde qui a fini par faire trembler le sol, on ignore à quelle heure, quelle seconde, notre frère de chair a fait ce pas de côté, on ne sait à la faveur de quel mensonge, de quel concours de circonstances, s’est ourdie la catastrophe. On ignore, en somme, par quelles micro-blessures, quelles infimes trahisons, a coulé le sang de la relation. Mais voilà que, avec la même inexorabilité que le mouvement de la mer, l’amour commence son retrait, à bas bruit, ô à peine un recul, une lisière imperceptible qui se décale, et qui pourrait presque laisser croire, les jours de grand soleil, que rien n’a bougé.
Même si je dois avouer la légère déception qui a pointé au cours de cette lecture, je dois saluer la force qui émane de ces deux textes. Hélène Gestern fait preuve d’une grande lucidité, ne sombre jamais dans le pathos, décortique les petits signes de la passion et du désamour, analyse ses faiblesses et celles de l’autre, avec honnêteté sans jamais chercher à se donner le beau rôle.
Deux textes à découvrir sans hésitation, car ma déception tenait surtout à un malentendu, l'attente de retrouver dans ce livre une intrigue analogue à celle de ses romans précédents, comme Eux sur la photo ou L’odeur de la forêt. Ici, le récit est beaucoup plus personnel, l’écriture est un moyen de ne pas se laisser aller au désespoir, de comprendre ce que l’on vit et d’en émerger plus fort, apaisé.

Comme toujours, la plume d’Hélène Gestern est très agréable, précise et fluide. J’en redemande !

Merci à Babelio et aux éditions arléa pour l’envoi gracieux de ce livre.

jeudi 5 octobre 2017

Jeune fille

Jeune fille

Anne Wiazemsky
Gallimard (2007)


Drôle de hasard... En m’installant devant mon ordinateur aujourd’hui pour commencer à écrire ce billet, je découvre que la mort d’Anne Wiazemsky vient d’être annoncée par son frère. Juste avant, je m’interrogeais sur la façon dont j’allais commencer mon billet. Je n’imaginais pas que l’actualité allait m’offrir cette triste ouverture.
C’est la sortie du dernier film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, qui m’a incitée à emprunter ce livre à la médiathèque. Certes, le film est inspiré d’un autre livre d’Anne Wiazemsky mais je savais que dans Jeune fille, elle relatait sa première expérience d’actrice et il me semblait naturel de redécouvrir son parcours cinématographique depuis le début.

C’est en 1965 qu’Anne Wiazemsky, âgée de 17 ans, rencontre le cinéaste Robert Bresson qui va l’engager pour tenir un des rôles principaux dans son film Au hasard Balthazar. Le tournage a lieu pendant l’été et va participer à la transformation de l’adolescente, encore très protégée par son cocon familial, en une jeune fille plus libre et plus assurée.

J’ai déjà lu plusieurs livres d’Anne Wiazemsky, je les ai appréciés mais n’ai jamais réussi à en parler ici, pour des raisons que je n’identifie pas complètement. Peut-être parce que ces romans sont largement basés sur des éléments autobiographiques de l’auteur et qu’ils me parlent plus comme témoignage que comme intrigue romanesque. Et pourtant, il m’arrive d’écrire sur mes lectures d’essais ou de documents.

Ce livre-ci, aussi, je l’ai bien aimé. Sans doute parce que cette année 1965 me replonge dans l’enfance – j’avais sept ans et cette année a marqué un tournant dans ma vie, pas vraiment heureux, pourtant. Je retrouve dans les mots d’Anne Wiazemsky les traces d’une certaine éducation, des principes que l’on avait même dans des milieux moins intellectuels et privilégiés que celui où elle évoluait. Et puis j’ai beaucoup aimé la façon dont elle raconte sa découverte de l’univers du cinéma et des plateaux de tournage, sa complicité avec les équipes techniques, ses interrogations face à la personnalité complexe du réalisateur, la progression de sa compréhension de son rôle d’actrice. C’est très agréable à lire, un style sans fioritures, qui soutient un propos parfois léger, parfois plus grave, dans tous les cas sincère et pudique mais dénué de passion. C’est peut-être cette modération qui fait que j’ai du mal à parler des livres d’Anne Wiazemsky.

Un extrait (page 217)
Au sortir du métro Trocadéro, je m'arrête pour marquer une pause. Un brouillard humide et poisseux estompe les bâtiments du palais de Chaillot, l'esplanade, la tour Eiffel, un peu plus loin. Ce brouillard d'octobre accentue l'étrangeté de mon retour à la vie normale : la maison et ma famille, la veille, le collège de Sainte-Marie, maintenant. Depuis que je suis rentrée chez moi, j'ai le sentiment d'être une étrangère en visite. Ma vie n'est pas vraiment là. Ni auprès de Robert Bresson ni au sein de l'équipe du film, comme je l'avais cru durant l'été : cela aussi est terminé. Je l'avais compris en les voyant retrouver leur femme ou leur petite amie. Ma vie, ce serait encore autre chose. Le brouillard soudain se dissipe, la tour Eiffel surgit bien nette et, derrière elle, les jardins du Champs-de-Mars, Paris. Face à ce paysage nettoyé, il me semble que je la pressens ma vie, fugitivement mais à perte de vue.


Ce sont les dernière phrases du livre et la dernière, pleine d'élan, résonne aujourd'hui bien différemment, alors qu'Anne Wiazemsky vient de disparaitre.