mercredi 23 mars 2016

Juste avant l'oubli

Juste avant l’oubli – Alice Zeniter

Flammarion/Albin Michel (2015)

Franck aime Émilie et a l’intention de lui demander de l’épouser, lorsqu’il l’aura rejointe sur l’île de Mirhalay, dans les Hébrides, où elle se trouve depuis trois mois, afin de préparer le colloque consacré à Gavin Donnell. L’écrivain s’était réfugié sur cette île privée pendant plus de vingt ans après son divorce, poursuivant son œuvre à l’écart du monde, et avait disparu, il y a trente ans, vraisemblablement noyé au pied des falaises de Mirhalay. Son corps n’a jamais été retrouvé. Depuis, tous les trois ans, un colloque rassemblant des sommités de la littérature se tient sur l’île. C’est Émilie, qui a arrêté d’enseigner en collège et qui s’est lancée dans une thèse sur Donnell, qui est chargée cette année de l’organisation de cette manifestation qui ramène régulièrement un peu de vie et d’animation sur Mirhalay, où ne vit d’habitude que Jock, le gardien de l’île.
Après trois mois de séparation les retrouvailles entre Émilie et Franck sont un peu compliquées, d’autant que la jeune femme est occupée par la préparation des sessions du colloque et accaparée par les participants, universitaires brillants ou écrivains paumés qu’il faut chouchouter. Franck se rapproche alors de Jock, le gardien, qui lui fait découvrir l’île ainsi que des aspects de la vie de Donnell, dont il est aussi, à sa façon, un grand spécialiste.


Cette trame aurait pu faire de Juste avant l’oubli un livre relativement banal, mêlant l’histoire d’amour contrarié de Franck et Émilie aux péripéties du colloque, où on retrouve un peu l’ambiance de certains romans de David Lodge. Ce qui en fait l’originalité et qui y apporte son aspect le plus intéressant, c’est qu’Alice Zeniter recrée l’œuvre de Donnell, intercalant dans ses lignes des citations de ses romans fictifs, des analyses fouillées de ses écrits et des articles de journaux consacrés à l’écrivain, qui aurait été en son temps un véritable phénomène littéraire, et dont la disparition mystérieuse aurait contribué à entretenir le mythe. Ce subterfuge est une vraie réussite, on y croit vraiment à l’existence de ce Gavin Donnell et à la fascination qu’il exerce sur les protagonistes de cette histoire.

Quand je lis qu’Alice Zeniter n’a que vingt-neuf ans, je ne peux qu’être bluffée par son habileté à nous emmener en moins de trois cents pages dans un roman aussi construit et maîtrisé. Chapeau !

Juste avant l’oubli a obtenu le prix Renaudot des lycéens 2015.




Cinquième lecture pour le challenge 1% Rentrée littéraire 2015, où je progresse à mon rythme, doucement mais sûrement.

Encore un petit effort pour écrire les billets sur les livres déjà lus et que je peine à mettre en forme !


mercredi 16 mars 2016

La neige noire

La neige noire – Paul Lynch

Albin Michel (2015)
Traduit de l’anglais par Marina Boraso


La neige noire, ce sont les cendres qui recouvrent tout dans la maison de Barnabas Kane, après l’incendie qui a ravagé l’étable où se trouvaient ses quarante-trois vaches, et dans lequel a péri Matthew Peoples, son ouvrier agricole. Barnabas lui-même y serait resté si son voisin, Peter McDaid, ne l’en avait pas extrait, in extremis.
Malheureusement pour la famille Kane, en cette année 1945, à part Peter, il ne se trouve pas grand monde dans leur voisinage du Donegal pour leur apporter de l’aide pour surmonter cette catastrophe. Déjà que les fermiers du coin voyaient d’un mauvais œil l’installation de Barnabas sur les terres de son enfance, à son retour de New-York où il avait travaillé à la construction des gratte-ciels, et dont il avait ramené une femme, Eskra, elle-même fille d’émigrés irlandais, et Billy, leur fils de douze ans. Pour eux, il n’était qu’un « faux-pays », raflant des terres qui ne lui appartenaient pas avec de l’argent gagné ailleurs. La mort de Matthew, dont la femme l’accuse d’être le responsable, va cristalliser à l’encontre de Barnabas l’hostilité de la communauté qui voudrait les voir partir.


C’est une descente aux enfers que raconte Paul Lynch dans ce roman âpre et sombre, comme un long chemin vers l’expiation que va suivre Barnabas, qui au fond de lui se sent responsable de la mort de son employé. Refusant de se rendre à l’évidence, il ne veut pas envisager de vendre une partie de ses terres, comme le souhaiterait Eskra, et entreprend de reconstruire son étable, alors qu’ils n’ont plus un sou. Il s’enferme dans son malheur, se met à dos son seul ami et son fils et s’éloigne de sa femme, pour qui le départ serait la seule issue.

Une histoire bien noire que j’ai malgré tout appréciée, car l’écriture de Paul Lynch est belle. Il évoque à merveille la campagne irlandaise, la vie rude des paysans et leur repli sur eux-mêmes, leur animosité vis-à-vis de celui qui est parti et qui a réussi à l’étranger, le fatalisme qui les rend amers et peu enclins à aider ceux qui se débattent pour s’en sortir. J’ai beaucoup aimé le personnage d’Eskra, femme lucide et courageuse, qui tente d’aider et de soutenir son mari, même si elle le reconnait de moins en moins. C’est elle qui s’occupe des ruches, parce qu’elle est calme et paisible. Elle se met au piano quand elle a besoin de réconfort. Elle aussi sera finalement submergée par les épreuves et sombrera à sa façon.




Quatrième lecture pour le challenge 1% Rentrée littéraire 2015, orchestré par Sophie Hérisson.

D'autres avis chez Gambadou, Kiba-chan, Tiben, Eva, MicMelo et Fleur.

mardi 15 mars 2016

L'annonce

L'annonce - Marie-Hélène Lafon

Buchet/Chastel (2009)

Doux quarante-six ans cherche jeune femme aimant la campagne. Aimait-elle la campagne. Était-elle jeune. Oui. Elle était plus jeune que l’agriculteur de l’annonce domiciliée numéro CF41418. Elle répondrait. Elle appellerait au numéro du service vocannonce, elle serait d’abord à l’abri du téléphone. Elle essaierait. Pour ça elle aurait la force. Il le faudrait. Un autre hiver flasque commençait dans le vide de Bailleul. Éric. Il était sorti du cabinet du dentiste, gentil, un peu dolent, pressé de rentrer et d’être avec elle, eux seuls les deux, dans la petite cuisine. Il ne deviendrait pas quelqu’un comme ça, il n’aurait pas de place, il ne ferait pas sa place. Elle devait changer, partir, inventer, ailleurs et autrement. La campagne pourquoi pas. Ailleurs. S’arracher. (page 76-77)

Parce qu’elle veut changer sa vie et celle de son fils, parce qu’elle croit qu’il est possible de recommencer quelque chose, Annette, trente-sept ans, répond à l’annonce de Paul, un paysan du Cantal, qui lui aussi a l’espoir de vivre autrement que ce que sa sœur et ses oncles envisagent pour lui. Elle vient donc s’installer avec son fils dans la ferme de Paul, quittant le Nord et y laissant son seul point d’ancrage, sa mère. Paul, c'est un homme silencieux mais calme et décidé, qui sait imposer ses décisions par la persévérance, face à sa sœur et à ses oncles qui sont installés dans une routine dont ils se contentent et qui voient arriver ces deux "étrangers" du Nord en se demandant combien de temps ils tiendront avant de renoncer.
Annette sait que cette nouvelle vie ne sera pas facile, mais elle veut y croire, pour elle et pour son fils. Comme Paul, elle parle peu, elle n’a pas les mots mais elle ne craint pas l’effort, elle sait s’adapter et surtout, elle se sent en sécurité dans cette région, loin de Didier, le père de son fils, homme violent et imprévisible. Alors, petit à petit, elle fait son nid dans le peu d’espace qui lui est réservé, face à l’indifférence des oncles et à l’hostilité larvée de Nicole, elle gagne le droit d’être là sans le revendiquer, mais sans céder un seul pouce du terrain.

C’est une belle histoire que Marie-Hélène Lafon raconte dans ce roman simple et prenant, celle de deux êtres aux parcours très différents, qui grâce à cette annonce, se croisent un jour et décident de cheminer ensemble, d’associer leurs expériences, d’en tirer profit pour construire un avenir sur une base sincère et sans artifice. C’est aussi une vision de la vie à la campagne, loin de l’agitation des villes, c’est le quotidien des petits agriculteurs et éleveurs, celui dont on entend parler dans les médias quand c’est la saison du salon de l’Agriculture et que l’on oublie ensuite.

J’ai beaucoup aimé l’écriture de Marie-Hélène Lafon, que j’ai découverte avec ce roman. Pas de dialogues, des phrases qui s’enchaînent et qui décrivent les situations et les ressentis, sans excès, juste les mots qu’il faut mais qui disent si bien ce qui est.

D'autres avis : ceux de Yohan, Jostein, Clara et sur Babelio.