vendredi 29 juin 2012

Dans la nuit brune

Dans la nuit brune - Agnès Desarthe
Éditions de L'Olivier (2010).

Armand, le petit ami de sa fille Marina vient de mourir dans un accident de moto. Face à la douleur de sa fille, Jérôme se sent impuissant, désemparé. L'évènement bouleverse profondément sa vie, lui l'enfant des bois, recueilli à l'âge de trois ans par un couple vieillissant dont il sait peu de choses. Lui qui n'avait jamais souffert consciemment des mystères de son existence va avoir besoin tout à coup de fouiller dans le passé. Des rencontres vont l'aider en ce sens : une cliente écossaise de son agence immobilière, un vieil inspecteur de police qui enquête sur la disparition d'une camarade de lycée de Marina et Rosy, l'amie de Marina, un peu médium sur les bords.

C'est un peu difficile de parler de ce livre car l'histoire part dans plusieurs directions et évoque beaucoup de thèmes différents, trop peut-être. Chaque personnage porte beaucoup de poids sur les épaules et cherche à s'en défaire, chacun à sa façon. Au final, je ne suis pas sûre d'avoir compris où l'auteur voulait nous emmener. Peut-être ne l'ai-je pas lu au bon moment. C'est dommage, l'écriture d'Agnès Desarthe est toujours belle, sobre, elle a l'art de faire percevoir le mal-être de ses personnages et de créer une ambiance très suggestive. Pour l'instant, mon préféré parmi ses romans reste toujours Un secret sans importance, dont il faudra bien que je parle un jour.

Extrait page 73 :
La lune repose au faîte d'un marronnier, comme sur le bord d'un calice. Jérôme s'immobilise, inspire longuement la fraîcheur de la nuit. L'air à l'oxygène raréfié l'enivre. Il écoute les pétales repliés dans leur sommeil végétal, et ceux qui, à l'inverse, se déploient pour accueillir les butineurs nocturnes. Il se sent à l'abri; à la merci du froid, de la pluie, des morsures, mais à l'abri d'une menace plus sérieuse qu'il peine à identifier. C'est une menace ancienne dont il perçoit la présence à la manière des animaux qui connaissent leur prédateur, sans avoir de nom ni de visage pour lui. Une menace d'avant, pense-t-il, d'avant les parents, mais que leur arrivée n'a pas réussi à détourner.

D'autres avis sur ce livre, lauréat du prix Renaudot des lycéens 2010 : Leiloona, Fabienne Pascaud de Télérama et Laurence du Biblioblog.
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mercredi 27 juin 2012

Chaman


ChamanGalsan Tschinag
Éditions Métailié (2012)
Traduit de l’allemand (Mongolie) par Isabelle Liber

Galsan Tschinag revient en Mongolie, son pays natal, après de nombreuses années passées à l’étranger. Il a fait ses études en Allemagne de l’Est, a été professeur à l’Université, puis a travaillé dans l'industrie du cinéma. Il s’est lancé dans la poésie, a écrit des livres, a acquis une certaine notoriété, a rencontré le Dalaï-Lama, a voyagé de par le monde. Et puis il a décidé de revenir dans sa province du Haut-Altaï, avec sa femme et un de ses petits-fils. C’est ce retour aux origines qu’il nous raconte dans ce livre, confrontant sans cesse ses expériences passées avec les retrouvailles avec sa tribu, sa famille et ses amis. Malgré sa longue absence, Galsan est toujours considéré comme le maitre par ses deux élèves chaman, deux jeunes femmes qui vont devoir se montrer dignes de lui et s’affirmer face aux membres de la tribu. Lui-même doit s’efforcer de se conformer à ce que tous attendent de lui, qu’il reprenne son rôle de chef et de guide.

J’ai découvert grâce à ce livre un univers étrange et inconnu, l’immensité de la steppe mongole, les rites et les cérémonies traditionnelles des Touvas, l’attachement de tous à la vie en groupe et les retrouvailles lors de fêtes organisées entre différents clans.
C’est un livre où il est surtout question de rapports humains, au sein de la famille, des amis et des membres de la tribu. A cause de ce qu’il représente, Galsan doit tenir un rôle conforme aux traditions, même si ses expériences à l’étranger lui ont fait connaître autre chose et lui apportent un certain recul. Il est le premier à défendre les coutumes locales et sait les faire respecter.  Son amour de la nature et des paysages de son pays s’exprime au travers de la narration mais pas suffisamment à mon goût. Moi qui suis fascinée par la Mongolie, j'aurais aimer trouver dans ce récit davantage de description de paysages et de la vie quotidienne. Malgré cela, c’était une lecture intéressante et je suis tentée de poursuivre ma découverte de cet auteur.
 
Extrait page 189 :
Avec tout ce qui s’est passé, cet été trépidant m’a paru infiniment long, mais se révèle finalement bien court – il décline et s’achève déjà. Le jour, c’est la couleur de la steppe montagneuse qui le dit, et la nuit, la position des constellations dans le ciel. Tout indique l’automne. Et cet automne dont les ocres terrestres se coiffent du bleu du ciel se charge bien sûr d’éveiller en moi quelques pensées pénibles. Pourtant, il y a de bonnes raisons de se réjouir de l’avenir. Je l’avoue, c’est une joie timide et douloureuse, ourlée d’incertitude. Mais l’incertitude reste heureusement invisible, comme la mort qui accompagne forcément la vie. Seul celui qui réfléchit plus loin que le bout de son nez, seul celui qui passe son temps à cogiter a conscience de la présence continuelle de l’ombre ; et seul celui qui possède en lui assez de sagesse et de courage peut alors la regarder en face, droit dans les yeux.

Merci aux éditions Métailié et à Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique.
tous les livres sur Babelio.com

lundi 18 juin 2012

Le grand huit


Le grand huitJanet Evanovich
Editions Payot (2005)
Traduit de l’américain par Philippe Loubat-Delranc

Huitième épisode des aventures de Stéphanie Plum, chasseuse de primes à Trenton dans le New-Jersey. Comme d’habitude, Stéphanie court après les DDC récalcitrants, et une fois de plus, elle a fort à faire. Andy Bender va lui coûter cher en menottes, lui qui réussit à fuir alors que Stéphanie l’a enchainé à sa propre voiture. 
Et puis, parce qu’elle n’écoute que son bon cœur, Stéphanie a accepté de rechercher Evelyn, la petite fille de Mabel, la voisine des parents de Stéphanie. Evelyn, qui vient de divorcer, a disparu avec sa fille Annie. En plus du souci que lui cause cette disparition, Mabel s’inquiète, car sa maison sert de garantie pour la caution de garde d’enfants demandée par le juge chargé du divorce. Si Evelyn ne revient pas avec Annie, la maison de Mabel sera vendue et elle se retrouvera à la rue. 
Sans grande conviction, Stéphanie se lance sur la trace d’Evelyn et ne tarde pas à se rendre compte qu’elle n’est pas la seule. Le propriétaire d’Evelyn, Eddie Abruzzi, à demi maffieux, veut à tout prix la retrouver et ne lésine pas sur les moyens et les menaces. Stéphanie va mettre du temps à comprendre qu’il y a autre chose en jeu que le loyer de l’appartement. 
Heureusement, elle peut compter sur l’aide de Ranger et de Joe Morelli, les deux hommes de sa vie. Sans compter Lula, Mamie Mazur et un nouveau venu, Albert Khloune, peut-être aussi gaffeur que Stéphanie, mais plein de ressources quand vient l'heure de manger.

J’ai bien aimé cet épisode, un peu différent des autres car cette fois, les dangers auxquels est confrontée Stéphanie sont plus sérieux qu’auparavant. Même Ranger s’inquiète pour elle, lui qui d’habitude est plutôt amusé par les péripéties de ses enquêtes. Et puis, Stéphanie commence à prendre conscience de ce qu’elle attend de l’amour, partagée entre Ranger et Morelli, l’un du côté de l’aventure sans lendemain et sans promesses, l’autre du côté de l’attachement durable et solide, même si rien n’est définitivement réglé. 
Je me demande ce que nous réserve le prochain épisode ?

Un extrait pour se mettre dans l'ambiance de Trenton (page 125) :
Je commandai un double mocacchino au lait écrémé et sirop de caramel et gagnai une place au comptoir devant la vitrine. Je me glissai à côté d'une vieille dame aux cheveux teints en roux flamboyant hérissés sur sa tête en une coupe punk. Elle était petite, grassouillette, des joues et un corps ronds comme une pomme. Elle portait de grosses boucles d'oreilles en turquoise et argent, des bagues sophistiquées à chacun de ses doigts noueux, un survêtement en polyester blanc et des tennis à plate-forme. Un magma de mascara épaississait ses cils. Son rouge à lèvres sombre s'était transféré de sa bouche à sa tasse de cappucino.
D'autres avis chez Tamara, Karine et Petite Fleur.
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mardi 12 juin 2012

La maison où je suis mort autrefois


La Maison où je suis mort autrefoisKeigo Higashino
Actes Sud (2010)
Traduction du japonais par Yutaka Makino

A la faveur d’une réunion d’anciens élèves du lycée qu’ils ont fréquenté, le narrateur retrouve Sakaya, qui a été sa petite amie pendant six années. Depuis, ils se sont séparés, elle s’est mariée et a eu une petite fille. Quelques jours plus tard, Sakaya lui demande un service : Son père, mort un an auparavant, lui a laissé un plan et une clé. Sakaya voudrait que le narrateur l’aide à localiser l’endroit indiqué sur le plan et à comprendre ce qui se cache derrière ce mystère, d’autant qu’elle n’a aucun souvenir de sa petite enfance. Après quelques hésitations, le narrateur accepte et voilà le jeune couple parti à la recherche de la maison. Nichée au fond des bois, elle est une véritable énigme : Tout y est étrange, la porte d’entrée principale est condamnée et il faut s’y introduire par le sous-sol. On dirait que rien n’a bougé depuis des années, la poussière s’est accumulée mais les meubles et les affaires personnelles de la famille qui y a vécu sont encore en place. Toutes les pendules sont arrêtées à la même heure, la maison n’est raccordée ni au réseau électrique ni à l’eau courante. En fouillant dans la chambre d’enfant, nos héros découvrent le journal écrit par un jeune garçon qui vivait là. Au fil de leur lecture, ils s’imprègnent des évènements qui se sont déroulés dans cette maison. Sakaya, petit à petit, se souvient être venue là, ce que confirme le journal. Mais pourquoi semble-t-il manquer une pièce et surtout pourquoi l’orientation de la maison est-elle en complète contradiction avec ce qu’a écrit l’enfant.

C’est une histoire étrange et terrible que vont exhumer les deux héros. Sakaya, qui a tout oublié de sa petite enfance, va découvrir pourquoi ses parents étaient si réticents à lui parler du passé, pourquoi ils n’avaient aucune photo de cette époque. Elle va surtout comprendre pourquoi elle maltraite son propre enfant et se libérer de la culpabilité qui l’étreint. 
Même s’il n’est pas directement impliqué, le narrateur est ébranlé par l’ambiance inquiétante qui règne dans la maison et qu’exacerbe la lecture du journal. Au fur et à mesure des découvertes qu’ils vont faire, les questions de sa propre enfance redeviennent très présentes, lui qui est un enfant adopté, mais qui a eu la chance de le savoir très tôt dans son existence. Il perçoit le désarroi de son amie et l’aide à lever le mystère de la maison des bois et de ceux qui y ont vécu.
Au fil de l’histoire, l’ambiance change et devient oppressante. Les hypothèses échafaudées par le narrateur ou par le lecteur au vu des indices fournis par le journal sont parfois exagérées et contribuent à la montée de l’angoisse. Et même si la vérité permet à l’héroïne d’échapper à ses démons, le malaise a persisté un moment chez moi après cette lecture, que je recommande volontiers.  

Un extrait que j'aime beaucoup, où le narrateur décrit ses premières impressions de Sakaya (page 138-139) :
Nous nous étions rencontrés parce que nous nous étions retrouvés dans la même classe en deuxième année de lycée. Je ne la connaissais pas avant. C’était une fille ordinaire, que l’on ne remarquait pas. C’est du moins ce que je pensais d’elle. Mais nous étions assis l’un à côté de l’autre et, quand nous avions commencé à parler, j’avais découvert que l’impression que j’avais d’elle était fausse.
Elle ne chahutait pas et ne criait pas sans raison comme la plupart des filles. Elle se tenait toujours en retrait, donnant l’impression d’observer pensivement ce qui se passait autour d’elle. Au début j’avais cru qu’elle était timide, mais je m’étais vite rendu compte que ce n’était pas le cas. Ses yeux, lorsqu’elle regardait ses camarades rire bêtement, étaient semblables à ceux d’un scientifique observant des animaux de laboratoire. Un peu comme si elle était spectatrice d’une pièce de théâtre intitulée « La Deuxième Année de lycée ». En fait, elle ne tentait jamais de monter sur scène. Son aspect enfantin était  en parfait décalage avec sa personnalité.
 Les premières pages sont à découvrir sur le site d’Actes Sud.

Les avis de Lily, Michel, Cécile et Pierre C
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jeudi 7 juin 2012

Manuscrit zéro


Manuscrit zéroYôko Ogawa
Actes Sud 2011
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino

Ce livre de Yôko Ogawa  ressemble au premier abord à un journal de bord que tiendrait la narratrice, racontant le quotidien banal d’un auteur en mal d’inspiration. Et puis, soudain,  ça dérape, il se passe des choses un peu extravagantes, on s’éloigne de la réalité, l’imaginaire de Yôko Ogawa se déploie, installant des ambiances bizarres et décalées. 

Un des thèmes importants dans ce livre, c'est la solitude, la vraie, celle que l’on ressent au milieu des autres. A plusieurs reprises, la narratrice se mêle volontairement à un groupe de personnes avec lesquelles elle ne partage rien, par exemple lorsqu’elle essaye de se faire passer pour une mère lors d’une fête scolaire. Elle voudrait tant trouver un rôle, avoir une position reconnue dans la société mais sa supercherie reste vaine. 
D’autres fois, le récit s’envole vers des expériences poétiques, à la limite du surnaturel, comme lorsque la narratrice, qui a reçu la visite de l’assistant social qui la suit régulièrement, se compare à une petite crevette installée dans une éponge, une incursion magique dans un monde animal magique, et pourtant bien réel.


Ah, je réalise que nous sommes blottis à l’intérieur de la trompette comme les Spongicola venusia. Tous les deux ensemble, épaule contre épaule, pour ne pas être découverts par les autres personnes visitées ni par les employés municipaux, nous nous dissimulons dans le pavillon de la trompette. La lumière qui transparaît vaguement, ce que l’œil voit et qui oscille, le monde extérieur qui s’éloigne, tout est comme l’Euplectella aspergillum. L’intérieur de la trompette est tiède de la salive de R. au point que l’on en oublie la profondeur des mers. L’air qu’il souffle ébouriffe mes cheveux. Nous flottons sur un océan de sons. Je ferme les yeux et relâche toute la force de mon corps. Je baigne dans la salive de R. Comme rivée à la chaise de mon bureau, comme l’enveloppe bien fermée contenant le dossier, comme la psyché à la sueur nocturne dans sa chrysalide, je reste immobile blottie à l’intérieur de R. (page 82)

A lire pour découvrir d’autres facettes de Yôko Ogawa, à condition de la connaître déjà à travers son œuvre romanesque. Un livre dont j’ai du mal à parler tant il est riche et surprenant, profond et décalé.

Ils en parlent bien mieux : Livrogne, Pascale Trück, Pierre C et Wictoria, bien sûr. 
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