samedi 31 mars 2012

Une seconde vie

Une seconde vie - Dermot Bolger
Éditions Joëlle Losfeld (2012)
Traduite de l'anglais par Marie-Hélène Dumas

Sean Blake a failli mourir au cours d'un grave accident de la route. Pendant quelques instants il a été cliniquement mort et ce passage dans l'au-delà lui a fait rencontrer des visages connus comme celui de son grand-père ou de ses proches, et un autre qui reste pour lui un mystère, un jeune homme revêche et menaçant qui l'a repoussé fermement vers l'univers des vivants.
Sean se rétablit mais devient comme étranger à son milieu familial. Le traumatisme qu'il a vécu réveille en lui un épisode qu'il a caché à sa femme : Depuis l'âge de onze ans, Sean sait qu'il est un enfant adopté, mais jusque là, il s'est accommodé de ce secret. Après sa convalescence, Sean est décidé à retrouver ses parents biologiques, à comprendre les raisons de son abandon et à identifier ce jeune homme dont le visage le hante.

Si je vous dis que ce roman se passe en Irlande, vous devinerez très vite ce qui a pu se arriver à la mère de Sean et quelles sont les raisons qui l'ont poussée à abandonner son bébé. D'ailleurs, le mystère de la naissance de Sean est assez vite révélé au lecteur puisque l'auteur nous fait suivre en parallèle l'existence d'Élisabeth Sweeney, une vieille femme qui perd la tête et parcourt les rues à la recherche de son Petit Garçon Bleu.
Le roman s'attache plutôt à accompagner Sean dans son parcours à travers l'Irlande et à travers sa propre existence vers ce Francis qu'il a été quelques semaines, vers sa mère qu'il n'a pas connue et vers ce jeune homme dont il va découvrir le secret.
Le sujet est grave mais Dermot Bolger refuse de sombrer dans le larmoyant et la facilité. Son évocation de ces jeunes filles-mères, obligées d'abandonner leur enfant et forcées de cacher leur honte toute leur vie est poignante mais c'est la quête de Sean qui importe dans ce livre, sa volonté de comprendre ce qui est arrivé, à lui et à sa mère, afin de s'approprier sa première vie, de s'en libérer et de vivre la seconde en connaissance de cause.
De la mousse obstruait les gouttières de l'immeuble au coin de la rue. Il y avait sur le toit des ardoises cassées qui provoqueraient des dégâts pendants l'hiver. Une jeune étudiante jeta un coup d’œil à travers les rideaux en dentelles d'une lucarne. Tandis qu'elle se penchait pour observer les voitures bloquées dans les deux sens, je vis les ballons de fête dont elle avait scotché les ficelles sur la vitre et le haut de sa tête encore mouillée de la douche. Les automobilistes qui nous regardaient derrière leur pare-brise semblaient terriblement stressés. Où allaient-ils tous, en ces limbes d'entre Noël et le jour de l'An, quand les bureaux et les usines étaient fermés ? J'étais désolé pour eux, car voici qu'ils se retrouvaient forcés de contempler mon cadavre. Mais pas pour moi. Je ne ressentais vraiment aucune émotion particulière vis-à-vis de mon corps qui gisait à moitié hors de la voiture broyée, et à moitié dedans. (pages 15-16)
Ce qui est aussi intéressant, c'est que l'auteur a donné, lui aussi, une seconde vie à son roman. Ainsi qu'il l'explique dans sa note au lecteur en préambule, il avait publié sous le même titre un premier roman en 1993. Mais insatisfait de la façon dont il avait traité cette histoire, il avait toujours refusé les réimpressions et quelques années plus tard, il a réécrit son roman.

Ce roman n'est donc ni l'ancien ni tout à fait un autre. J'aime à le considérer comme un roman remanié, celui que j'aurais pu écrire si - plongé à la fois dans les évènements de ma vie personnelle et les changements de la société qui m'entourait - j'avais pris une respiration profonde et dit : "Je vais recommencer." (page 10)

J'ai découvert ce livre grâce au billet de Lewerentz et cette lecture me permet de participer au challenge Voisins-Voisines 2012 d'Anne pour l'Irlande.




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jeudi 22 mars 2012

Juke-Box

Juke-Box - Jean-Philippe Blondel
Éditions Robert Laffont (2004)


Dans Juke Box, chaque chapitre a pour titre une chanson, depuis 1970 jusqu'à 2004. Des chapitres qui s'enchainent et une vie qui se déroule, de l'enfance à l'âge adulte. Yoann égrène les souvenirs d'enfance, aux côtés de son frère et de ses parents. Il raconte les souvenirs de vacances, les dimanches chez la grand-mère, les disputes des parents et les chamailleries avec son frère. Certains épisodes sont cocasses comme le cours d'anglais, d'autres émouvants ou tragiques, lorsque le narrateur se retrouve seul dans la vie, à la suite d'un accident de voiture. Trop vite plongé dans l'âge adulte, il cohabite quelques temps avec Marie et Vincent, dans un ménage à trois qui fait jaser dans la ville de son enfance.  Insatisfait,  Yoann fuit en Amérique du Sud, entamant une existence de routard qui va durer quelques années. Puis c'est le retour en France et petit à petit, une existence qui se normalise, sans toutefois amener l'apaisement , qui ne viendra que longtemps après.

C'est une histoire pleine de nostalgie, autant par l'évocation des années qui passent que par les titres des chansons qui ponctuent les chapitres. C'est le deuxième livre de Jean-Philippe Blondel que je lis, après Le Baby-sitter et j'aime son style, plein de sensibilité et sans artifices. L'émotion effleure dans ces lignes mais est retenue, le narrateur raconte sans détour, s'exprime en toute franchise et ne cherche pas à masquer ses faiblesses et son désarroi.   
C'est le roman d'une vie, de la vie dans ce qu'elle peut avoir de tragique ou de bien-être, dans les bons et les mauvais jours, au fil des années qui s'écoulent, si vite et si lentement.

Extrait (page 199) :
Un trente-trois tours qui sent le voyage en Angleterre – la couverture noire et un danseur en blanc avec une chemise grande ouverte qui danse sur une piste multicolore, je n'ai pas eu le droit d'aller voir le film, parce que je suis trop petit, mais il m'offre le disque et me dit "le disque, c'est mieux, tu le gardes toute ta vie et tu l'écoutes autant de fois que tu veux". Je reconnais d'emblée les premières notes, les voix stridentes qui chantent qu'il faut rester en vie.
Les avis de LilibaPapillon, In Cold Blog et d'autres chez Babelio.
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vendredi 16 mars 2012

L'horizon

L'horizon - Patrick Modiano
Éditions Gallimard (2010)


Jean Bosmans et Margaret Le Coz se sont rencontrés par hasard à Paris lors d'une bousculade à l'entrée du métro, un jour de manifestation. Ce qui les rapproche, c'est une certaine solitude, une indépendance et une prédisposition à la fuite. Jean Bosmans cherche à éviter les agressions verbales de sa mère et ses exigences d'argent. Margaret veut échapper à un homme, Boyaval, qui la suit depuis longtemps. Pour le semer, elle a quitté Annecy, vécu et travaillé en Suisse, mais il réussit toujours à la retrouver et l'inquiète par sa surveillance. Quarante ans plus tard, en relisant de vieux carnets, Jean évoque ces mois passés avec Margaret et cherche à comprendre les secrets de la jeune femme qu'il n'a pas élucidés à l'époque.

Comme souvent dans les romans de Patrick Modiano, le lecteur parcourt Paris au gré des déplacements des personnages de l'histoire. Cette fois-ci, le héros est  un jeune homme qui travaille dans une librairie, dernier vestige d'une maison d'édition, dont il assume le rôle de gardien. Quand il rencontre Margaret, elle travaille dans un bureau aux activités douteuses puis trouve un emploi dans une famille pour s'occuper de deux enfants. Elle lui raconte des épisodes de sa vie, sa naissance à Berlin, son séjour en Suisse. Mais elle garde ses mystères, ne dévoilant sur elle que ce qu'elle veut bien raconter. 

Encore une fois, j'ai plongé avec délices dans l'univers de Modiano, son Paris d'un autre temps et celui de maintenant, les vies tourmentées ou banales de ses personnages, à la fois si proches et si lointains de nous, si humains en fait.
Une fille marchait devant Bosmans en poussant une voiture d'enfant et elle avait, de dos, la même silhouette que Margaret. Il ne connaissait pas ce parc, sur l'emplacement des anciens entrepôts de Bercy. Là-bas, de l'autre côté de la Seine, le long du quai que ne s'appelait plus de la Gare, des gratte-ciel. Il les voyait pour la première fois. C'était un autre Paris que celui qui lui était familier depuis son enfance et il avait envie d'en explorer les rues. Cette fille, devant lui, ressemblait vraiment à Margaret. Il la suivait tout en gardant entre elle et lui la même distance. La voiture d'enfant qu'elle poussait d'une seule main était vide. A mesure qu'il traversait le parc sans la quitter des yeux, il finissait par se persuader que c'était Margaret. Il avait lu, la veille, un roman de science-fiction, Les Corridors du temps. Des gens étaient amis dans leur jeunesse, mais certains ne vieillissent pas, et quand ils croisent les autres, après quarante ans, ils ne les reconnaissent plus. Et d'ailleurs il ne peut plus y avoir aucun contact entre eux : Ils sont souvent côte à côte, mais chacun dans un corridor du temps différent. S'ils voulaient se parler, ils ne s'entendraient pas, comme deux personnes qui sont séparées par une vitre d'aquarium. Il s'était arrêté et la regardait s'éloigner en direction de la Seine. Il ne sert à rien que je la rattrape, pensa Bosmans. Elle ne me reconnaîtrait pas. Mais un jour, par miracle, nous emprunterons le même corridor. Et tout recommencera pour nous deux dans ce quartier neuf. (page 127-128)
 L'avis d'Emeraude, qui en parle très bien.
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lundi 5 mars 2012

Rose Candida

Rosa CandidaAudur Ava Ólafsdóttir
Éditions Zulma (2010)
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
 

Arnljótur est à peine sorti de l'adolescence et il est déjà père d'une petite fille, née presque par hasard d'une relation éphémère avec Anna, une étudiante qu'il connaissait à peine. Depuis la mort de sa mère dans un accident de voiture, Arnljótur vit avec son père, un ancien électricien, et Jósef, son frère jumeau handicapé. Il poursuit avec amour l'œuvre de sa mère, la culture de multiples variétés de roses dans le jardin, sous la serre construite des années auparavant par le père. Arnljótura a travaillé quatre mois sur un bateau de pêche mais n'a pu s'habituer à la rudesse de cette vie en mer. Il vient de trouver un emploi de jardinier dans un monastère, loin sur le continent et s'apprête à quitter son village, emportant quelques boutures de rosiers, lorsque cette histoire commence.

Quel ravissement que ce livre d'Audur Ava Ólafsdóttir sur lequel j'avais lu de nombreux éloges. Comme une rose fragile implantée dans un terreau favorable, le héros s'épanouit au contact des autres, candide et sans préjugés, conscient de son ignorance mais prêt à tout apprendre. 
Porté par le souvenir de sa mère, il aborde l'existence en toute innocence, observe les choses et les gens et apprécie les petits bonheurs furtifs qu'il sait saisir et apprécier, d'autant qu'il a pris conscience de la fragilité de la vie et de sa destinée de mortel. 
Face à sa responsabilité de père, il ne se dérobe pas, même s'il est loin d'être sûr de lui. Lorsqu'Anna fait appel à lui pour s'occuper de Florá Sól pendant qu'elle rédige son mémoire, il accepte, malgré ses incertitudes. Grâce à son travail dans la roseraie du monastère, grâce à Frère Thomas qui lui apprend la vie à travers le cinéma, et surtout grâce à l'enfant et à la jeune femme, Arnljótur émerge d'un quotidien où la mort est trop familière pour se tourner vers la vie. 
Un roman magnifique !

Extrait p. 25-26 :
Maman avait parfois des idées, comme celle de prendre la route à l'aube pour aller cueillir des myrtilles le jour de son anniversaire, en quelque endroit mystérieux qui lui était cher. Elle allait ensuite nous inviter, nous les gars, comme elle nous appelait, papa, Jósef et moi, à manger des gaufres aux myrtilles fraîchement cueillies avec de la crème fouettée. Je me rends compte à présent que ça a dû parfois être dur de n'avoir que des hommes à la maison, de n'avoir pas de fille. Je prends tout mon temps avant d'approcher maman à l'intérieur de la voiture renversée dans le creux de lave. Je me donne vraiment le temps d'inspecter la nature, de tournoyer au-dessus des lieux, comme un caméraman prenant une vue aérienne du haut d'une grue, avant d'en venir à maman elle-même, l'actrice principale autour de laquelle tout gravite. C'est le sept août et je décide que l'automne a été précoce. C'est pourquoi je vois beaucoup de rouge et d'or flamboyer dans la nature ; je me représente toutes les nuances de rouge sur le lieu de l'accident ; la bruyère rousse, le ciel sanglant, les feuilles carmin sur des rameaux proches, la mousse mordorée. Maman elle-même portait un gilet bordeaux et l'on n'a pas vu le sang coagulé avant que papa ne rince le lainage dans la baignoire, à la maison.
Le premier chapitre est à écouter ici.
A consulter : La fiche du livre chez Zulma et les avis de Cathulu et Céleste

Lu dans le cadre du défi Voisins-Voisines 2012 d'Anne, pour l'Islande.

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